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Karine Deshayes : « Rossini m’a porté chance »

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Interview
21 novembre 2011

Infos sur l’œuvre

Détails

A l’approche de la quarantaine la mezzo-soprano Karine Deshayes affiche une décontraction étonnante… Loin des clichés de la diva « désuète », elle vit son époque et sa carrière à 100%. Dans quelques jours elle chantera au Palais Garnier, Angelina dans La Cenerentola, un des opéras de Rossini qu’elle affectionne particulièrement…

 

Que ressent-on lorsqu’on reçoit une victoire de la musique ?

Cela est très émouvant, j’ai d’ailleurs bafouillé au moment de faire mon discours. Gagner une victoire de la musique est pour moi la preuve que mes pairs reconnaissent mon travail. On s’imagine souvent que ceux qui gagnent une victoire sont soutenus par les gros labels. La preuve que non car je ne suis pas en exclusivité dans une maison de disque. Je crois que finalement tout le monde a sa chance et que cette récompense est bien le résultat de notre travail.

 

Un passage obligatoire dans une carrière ?

Pas nécessairement. Au niveau du travail et des contrats, cela ne change pas grand-chose car la plupart sont parfois signés 3 à 4 ans l’avance. Cela peut éventuellement permettre au public de mettre un nom sur un visage mais surtout de se faire connaître auprès des maisons de disques pour des projets d’enregistrements.

 

Dans l’art lyrique, à l’inverse de la variété, les maisons de disques marchent avec très peu de chanteurs. Qu’en pensez-vous ?

Il est vrai que les maisons de disques marchent avec un petit nombre de sopranos, de barytons… Et qu’ils prennent très peu de gens de l’extérieur. Ces chanteurs leur doivent un certain nombre de disques par an. Ils sont donc « obligés » de travailler exclusivement ensemble et cela laisse très peu d’ouverture aux autres. Je trouve cela dommage. Personnellement je n’ai pas à me plaindre car j’ai eu la chance d’être régulièrement invitée par des maisons de disques. Ceci est sans doute la preuve que tout est possible.

 

En ce moment vous êtes encensée par la presse. Cela a t-il toujours été le cas ?

Je touche du bois parce que j’ai toujours eu des bonnes critiques. Cela m’a d’ailleurs réconforté par rapport à mes choix. Il est toujours délicat de refuser un rôle. Cela fait deux fois que je défends Fauré, un compositeur qui n’est pas toujours très populaire. Je vois que les gens me suivent dans cette démarche et cela est très encourageant. Une bonne critique fait toujours plaisir. Nous y sommes tous sensibles, même si nous essayons parfois d’occulter les mauvaises. Dieu merci certaines d’entres elles sont constructives. Il faut prendre ce qu’on doit prendre et avancer tout simplement.

 

D’après vous les critiques négatives empêchent-elles de faire carrière ? 

Je ne pense pas. Nous avons déjà vu de très grands chanteurs être systématiquement critiqués, souvent par une même personne d’ailleurs. Vous savez il existe des gens qui ont leur tête. Pour le chant cela est particulier car il s’agit d’histoire de timbres. Vous êtes touché différemment selon la personne que vous écoutez. Heureusement nous n’aimons pas les mêmes voix sinon ce serait toujours les mêmes qui travailleraient. Tout cela est au fond très subjectif.

 

Les critiques d’opéras ne devraient t-ils pas préciser que leurs analyses sont justement subjectives ? 

 Ils devraient peut-être le faire. Certains écrivent parfois qu’ils ont préféré un artiste dans un répertoire et moins dans un autre. Voilà qui est constructif. A l’inverse écrire simplement que le chanteur a été mauvais, sans autres explications, cela est un peu gratuit. Il faut expliquer les choses dans ces cas là. Il est certain que nous nous sentons mieux dans un répertoire plus qu’un autre. Il y a cela aussi. Après nous faisons des essais et nous voyons si cela marche ou pas. De nous-mêmes nous nous rendons compte si cela fonctionne.

 

En parlant de critique justement, la mise en scène de Rolando Villazon à l’Opéra de Lyon a été très controversée. Cela vous a touché ?

Bien évidemment parce que j’ai aussi défendu ce travail. J’ai lu une critique comme quoi il n’y avait eu aucune direction d’acteurs. Ceci est absolument faux. Pour ma part, j’étais en prise de rôle. J’ai apporté ce que je pouvais de mes expériences précédentes mais Rolando a fait le reste. Nous ne pouvions pas faire ce que nous voulions, nous étions guidés. Cet acharnement m’a rendu triste. Cela est étonnant de se rendre compte de l’impact d’une mise en scène selon les pays. Par exemple ce spectacle a été encensé en Autriche et en Allemagne alors qu’en France il est loin d’avoir fait l’unanimité. J’ai trouvé pourtant qu’il y avait beaucoup d’idées intéressantes et novatrices. Prenez par exemple la fin. Nous voyons toujours le même scénario, Werther mourant dans les bras de Charlotte durant vingt minutes. Rolando a eu une autre idée en nous laissant chacun de notre côté. Cela n’a rien enlevé à l’émotion. Il n’a pas trahi l’œuvre. Je dis pourquoi pas ? Il n’y a pas eu de non-sens.

 

N’est-ce pas finalement un problème français : cette tendance à mettre les gens dans des cases ?

Oui peut être… Rolando Villazon est un chanteur, il ne peut donc pas être metteur en scène. Moi je prétends le contraire car il connaît justement la scène et ses difficultés. Il sait que nous devons être acteur mais il sait aussi que notre corps est notre instrument et qu’il faut savoir allier les deux sans mettre le chanteur en péril. De plus il connaissait l’œuvre par cœur, les répliques de tout le monde et il était en permanence sur scène avec nous… Ce qui n’est pas le cas de tous les metteurs en scène. Certains ne connaissent parfois rien à l’ouvrage. Il faut le dire. Alors pour Rolando je dis chapeau ! Il fallait le faire. Il a donné sa lecture, que je trouve pleine de poésie. Personne n’est nu sur scène, rien de vulgaire, rien de choquant. Comme le Werther était mexicain tout le monde a dit qu’il était son clone. Pas du tout. J’ai trouvé la critique un peu rapide, un peu dure.

 

En juin dernier, vous avez interprété Dorabella au Palais Garnier. Cosi Fan Tutte est une œuvre que vous aimez ?

Elle n’est pas ma préférée de la Trilogie. Je trouve que l’acte 2 est un peu long par rapport à l’acte 1. On y trouve beaucoup de longueur musicale, des longs récits, des successions d’airs. Même au niveau de l’histoire, cela retombe un peu.

 

Et le rôle ?

Le rôle est en revanche plutôt intéressant, même s’il ne met pas la femme en valeur. Dorabella est la fille facile qui trompe les hommes, à peine partis sur le champ de bataille. Il a fallu entrer dans le personnage et j’aime cette recherche. J’ai eu aussi un vrai plaisir musical. Au niveau de la voix, Mozart est formidable. Tout ce qui se passe dedans, duo, trio, quatuor, quintet… Le final de l’acte 1 est extraordinaire. Musicalement c’est le pied.

 

Mozart a pourtant la réputation d’être difficile ?

Les œuvres de Mozart sont difficiles car il s’agit d’une écriture très fine comme de la dentelle. On entend presque la moindre note. Résultat, on pardonne moins l’erreur à l’inverse du Bel canto ou de Massenet. Il ne faut pas se permettre de chanter des notes entre deux notes. Cela est une question de style comme pour la musique baroque. Nous sommes plus dans le contrôle de notre voix. Mais lorsqu’on le travaille en amont tout va bien. Mozart ne veut pas dire non plus petite voix. Il existe des grands chanteurs qui ont chanté Mozart mais également Wagner et Verdi. Chez Mozart, nous avons une plus grande palette au niveau des nuances. On peut faire des choses très précises, des piani… J’adore les gens qui chantent Mozart à pleine voix.

 

Vous interprétez la Cenerentola à Garnier… l’un de vos rôles préférés ?

Je suis vraiment très heureuse de pouvoir chanter le rôle d’Angelina qui effectivement est l’un de mes préférés, tant vocalement que musicalement. Je suis d’autant plus ravie que nous sommes dirigés par le Maestro Campanella que j’adore. Je peux dire que le rêve devient réalité car j’ai en plus la chance d’être à Garnier ! Et chanter la Cenerentola à Garnier, c’est magique.

 

Rossini est votre compositeur préféré ?

Oui car il m’a porté chance. J’adore les vocalises, j’adore cette musique vivante et pétillante. Pour l’instant mon opéra préféré de Rossini serait la Cenerentola. Cela dit je n’en ai chanté que trois, La Dame du Lac l’année dernière à Garnier, le Barbier de Séville et la Cenerentola. Cela est toujours difficile de choisir parce j’adore aussi Mozart, son écriture. Maintenant que ma voix s’élargit, je peux aussi aller vers les Bellini, les Massenet, les Berlioz. Chaque plaisir est différent évidemment.

 

Votre carrière connaît-elle un tournant ?

Ma carrière a réellement pris un tournant à l’époque où Nicolas Joel m’a offert un rôle de premier plan à l’Opéra de Paris avec le Barbier de Séville justement. Je chantais déjà ces rôles mais en province uniquement. Depuis je ne fais que des premiers rôles. Il m’a donné un gros coup de pouce. En vieillissant, la voix évolue. J’ai de la chance que celle-ci s’élargisse un peu et m’emmène vers d’autres compositeurs. Aujourd’hui je découvre des rôles que je ne connaissais pas. Cela est formidable, tant au niveau du chant que du théâtre. J’ai déjà la chance de varier les plaisirs, en jouant des personnages de femmes, de travestis… J’aborde de plus en plus des rôles plus tragiques de personnages qui meurent sur scène.

 

La grande question à la mode : êtes vous une chanteuse qui joue ou une comédienne qui chante ?

Je me considère plutôt comme une chanteuse qui joue. Au départ mon métier est de chanter. Ma première formation est la musique. Ce n’est qu’après que j’ai fait du théâtre. Quand les gens écoutent un disque, ils découvrent d’abord une voix. En récital, nous ne jouons pas. Nous sommes devant un piano et nous faisons a priori très peu de mouvements. L’expression de la musique doit se sentir dans la voix, cela doit se voir sur le visage à travers le regard. Il se dégage quelque chose de très fort. Le jeu est la cerise sur le gâteau. Je retiendrai toujours cette phrase de Régine Crespin lorsque j’ai travaillé avec elle. Cela ne sert à rien d’agiter les bras car quelque chose de très fort passe dans la voix et dans le regard. Cela est vrai. Parfois un chanteur est sur scène pendant 5-10mn sans bouger. Cela est tout simplement magnifique.

 

Fin 2012 vous allez chanter Carmen à Bastille. Qu’est-ce que cela vous fait de chanter un personnage mythique ?

J’ai mis du temps à prendre ma décision, je l’ai mûrie. Carmen est un rôle que nous mettons sur un piedestal. Ici la difficulté réside plus dans le travail théâtral que dans la musique. Carmen est un des rares rôles que des mezzos et des sopranos peuvent chanter. Il n’existe pas de grandes difficultés vocales avec des supers graves ou des aigus à devoir chercher.

 

Allez-vous vous inspirer des autres chanteuses pour interpréter ce rôle ?

Oui certainement mais l’inspiration dépend toujours des moyens vocaux de chacune. Moi j’ai une voix plutôt légère, claire donc je ne vais évidemment pas copier des gens comme Olga Borodina ou Béatrice Uria-Monzon, qui ont des voix plus sombres et plus larges. Je m’en inspirerai peut-être au niveau du jeu mais je serais plus influencée par Teresa Berganza dont je suis plus proche vocalement. Elle a d’abord chanté les Rossini, les Mozart… Et plus tard Carmen. 

 

Le milieu de l’Opéra aujourd’hui, cela vous inspire quoi ?

Je trouve que depuis l’ère du DVD nous avons donné beaucoup d’importance à l’image et justement à la mise en scène. Dans l’histoire de l’Opéra, chacun a eu sa période. Nous avons vu le temps des divas, des chefs. Aujourd’hui nous sommes dans l’ère des metteurs en scène. Ce sont les mises en scène qui priment, qui vont sauver ou tuer un spectacle. Il est vrai qu’avec l’histoire de la télé et des DVD on donne beaucoup d’importance au physique des gens. Je trouve cela dommage. Aujourd’hui pour certains rôles, on entend très souvent : « trop gros, trop grand, trop petit… » On a l’impression d’être dans publicité pour La vache qui rit. J’ai beaucoup d’amis qui ont souffert de cela et moi-même entre 2002 et 2005 j’avais parfois des commentaires désagréables après une audition. On me disait que j’étais trop grosse pour jouer tel ou tel personnage, souvent les travestis… Au bout d’un moment j’ai fini par me prendre en main. Depuis je n’ai plus de soucis.

 

Cela est terrible tout de même ?

Effectivement car on en arrive à la triste conclusion qu’à notre époque des chanteurs comme Caballé ou Norman ne feraient pas carrière alors qu’elles ont une voix sublime. Les gens n’ont plus envie de voir une Juliette qui fait 100 kg. Ils veulent entendre une voix et voir un physique de cinéma américain. Regardez le plateau du MET à New York, c’est le physique qui prime. La voix est pour moi l’aspect le plus important. Aujourd’hui on nous demande presque de la chirurgie esthétique pour faire tel poids, telle taille… Ce n’est pas possible. Idem pour les hommes.

 

Facile ou difficile de se faire une place dans l’opéra à l’heure actuelle ?

Cela est plus difficile pour les jeunes avec la disparition des troupes. Au niveau du travail, les opéras ont moins de subventions donc moins de productions. Avec l’ouverture des frontières, nous voyons arriver des chanteurs des Pays de l’Est qui coûtent moins cher que les chanteurs français. 40% environ. Résultat les maisons d’Opéra préfèrent engager des étrangers. Mais certaines choses m’échappent et je ne suis pas la seule à le penser. Prenez par exemple le Festival d’Aix-en-Provence. Dans une saison, il arrive que l’on ait un voire deux chanteurs français maximum sur toutes les productions. Comment est-ce possible alors que le Festival est subventionné par l’Etat ? Cela n’existe nulle part ailleurs. La question n’est pas de mettre des quotas, mais nous avons juste envie de comprendre. J’ai été très heureuse de retourner à l’Opéra de Lyon avec la nouvelle direction, mais cela faisait 9 ans que je n’y avais pas mis les pieds alors que j’avais été en troupe 4 ans là-bas…

 

Vous avez l’air bien dans votre peau ?

Plus j’avance et mieux je me sens dans ma peau. Cela est une évidence. Évidemment au niveau de la vie professionnelle quand on a du travail à l’avance, cela est moins stressant. Dans ma vie privée je suis aujourd’hui très heureuse. Je crois qu’on s’assume en vieillissant donc… À l’approche de la quarantaine, je me sens mieux que lorsque j’avais 20 ans.

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