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Laurent Campellone « J’apprécie chez Massenet sa capacité à toujours se remettre en cause… »

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Interview
7 novembre 2011

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Laurent Campellone © Cyrille Cauvet

Laurent Campellone est depuis 2003 Directeur musical de l’Opéra et de l’Orchestre symphonique de Saint-Etienne. Dans le cadre de la Biennale Massenet, il a eu l’occasion d’y diriger des œuvres rares comme Sapho, Le Jongleur de Notre-Dame ou Ariane. Alors qu’il s’apprêtait à se lancer dans les répétitions de La Navarraise, il a trouvé quelques instants dans un emploi du temps bien rempli pour nous accorder une interview téléphonique.

 

Avez-vous attendu d’être nommé à Saint-Etienne pour diriger des opéras de Massenet ?

 

Non, c’est le reflet d’un goût personnel, et quand on me confie des responsabilités dans une nouvelle maison d’opéra, je demande parfois à commencer par diriger du Massenet, même des œuvres moins souvent montées comme Don Quichotte, pour lequel j’ai beaucoup d’affection. J’apprécie chez ce compositeur sa capacité à toujours se remettre en cause, en créant des langages et des univers musicaux très différents d’une partition à l’autre. Il n’y a pratiquement rien de commun entre Werther, Le Roi de Lahore et Don Quichotte. Massenet a toujours manifesté une volonté assez impressionnante de se ressourcer, de changer de peau (contrairement à Puccini, par exemple). Outre les œuvres programmées à Saint-Etienne, j’ai dirigé Werther, Thaïs et Manon. Don Quichotte reste mon ouvrage préféré, qui me semble traversé par une inspiration continue, sans un seul moment creux, avec un couple de héros qui fonctionne très bien scéniquement et musicalement ; j’en ai dirigé une cinquantaine de représentations, dans quatre ou cinq productions différentes.

 

Vous êtes arrivé à l’Opéra de Saint-Etienne en 2003, et vous y êtes resté alors que Jean-Louis Pichon était renvoyé. Le changement de direction a-t-il entraîné des bouleversements, notamment dans les projets en cours ?

 

Ma mission est purement musicale, je suis en dehors des questions de direction générale ou de politique locale. Je suis très lié à mon orchestre, à cette maison où je me trouve bien. Nous formons une véritable équipe, avec le chef de chœur et le chef de chant, il y a une vraie unité musicale, cohérente et passionnée. Par ailleurs, les projets se mettent en place très lentement, et je serais incapable de distinguer entre ce qui était déjà bien avancé et ce qui n’était qu’à l’état d’ébauche. Quant à l’avenir du Festival après 2012, je reste pour ma part très attaché à l’interprétation de la musique française, mais tout dépendra des orientations de la direction et du goût du public.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur La Navarraise qui est proposée par Saint-Etienne cette saison ?

 

C’est une œuvre que je vais diriger pour la première fois, que j’aime bien. C’est vraiment un exercice de style, où Massenet a voulu se rapprocher des véristes italiens : l’orchestre va devoir faire de la musique française sans en faire ! A Londres, pour la création, La Navarraise avait été commandée pour être donnée en première partie de Cavalleria Rusticana*. A Saint-Etienne, nous donnerons ce diptyque dans le même ordre, « l’original » de Mascagni venant après « la copie » par Massenet. Cependant, pour éviter l’impression de redite, nous avons confié les deux œuvres à deux metteurs en scène différents, Vincent Vittoz pour Cavalleria et Jean-Louis Grinda pour La Navarraise. Ces deux histoires se ressemblent, et nous ne voulions pas, s’il n’y avait eu qu’un metteur en scène pour les deux, qu’il se sente gêné par ces similitudes. Quant à la distribution, c’est moi qui ai choisi la mezzo française Marie Kalinine pour être à la fois Santuzza et Anita la Navarraise. Il y a cent ou cent cinquante ans, les catégories vocales n’avaient pas exactement la même définition qu’aujourd’hui. Et tout dépend de la personnalité de l’interprète : tout en étant deux mezzos dont le répertoire se recoupe parfois, Marie-Ange Todorovitch et Béatrice Uria-Monzon n’ont pas du tout le même profil vocal, par exemple. Pour Anita, il faut une voix longue, à l’aise dans l’aigu, un timbre particulier. Il faut surtout une actrice, une chanteuse capable de s’investir scéniquement, car, avec le vérisme, le théâtre prend le dessus. Et avec Marie Kalinine, je crois avoir trouvé l’oiseau rare.

 

Si Massenet est si peu donné de nos jours, pensez-vous que cela soit lié au déclin de l’école de chant français ?

 

Absolument pas. Ce ne sont pas les chanteurs qui manquent. Les raisons sont tout autres. Dans une maison d’opéra de taille moyenne, pour une saison lyrique, on tourne autour d’une dizaine de titres, grand maximum. Il faut trouver un équilibre entre les titres populaires et les œuvres rares, entre les ouvrages français et étrangers. On retient en moyenne deux opéras français, on donne Carmen et Faust tous les dix ou quinze ans, et quand on décide de monter un Massenet, il y a toujours plusieurs titres à faire avant d’en arriver aux raretés. Les ouvrages de second plan n’arrivent qu’après tout le reste. Les voix ne manquent pas, et quand la prononciation du français est bonne, les questions de style peuvent toujours se discuter. Non, le problème vient de ce qu’en cinquante ans, le nombre d’œuvres à l’affiche a été divisé par quatre. Et quand une œuvre n’est plus jouée, il y a parfois de bonnes raisons : il se peut tout simplement qu’une partition ne soit pas de qualité suffisante, que son livret ait mal vieilli, que l’œuvre ne corresponde plus à nos habitudes du fait de sa longueur (je pense à Meyerbeer, par exemple). Et il y a les mauvaises raisons. Toutes les partitions du XIXe siècle ont été créées à l’époque des toiles peintes, et sont aujourd’hui devenues impossibles à monter scéniquement. Dans Le Mage, par exemple, on doit assister à l’incendie de la ville. Or c’est une œuvre qui ne fonctionne pas sur le symbolisme, vous ne pouvez pas vous contenter d’une mise en scène abstraite. La solution est donc la version de concert, car on sait bien qu’il vaut mieux un concert réussi qu’une version scénique ratée, même s’il y a des œuvres pour lesquelles ça ne marche pas (Le Prophète est inconcevable en version de concert).

 

Après La Navarraise, quels sont vos projets Massenet pour 2012 ?

 

Je vais beaucoup diriger Massenet à l’étranger : en tant que chef principal invité de l’Opéra de Sofia, je dois diriger une nouvelle production de Werther et assurer une reprise de Don Quichotte. En août 2012, je serai à Bogota pour Manon. A l’automne, pour la Biennale de Saint-Etienne, nous aurons Cendrillon dans la production de Benjamin Lazar, coproduite avec l’Opéra-Comique. A la même occasion, il est fortement question de donner Le Mage en version de concert, le projet devrait être tout à fait confirmé d’ici un mois. C’est un ouvrage que j’aime particulièrement, dont la musique se situe entre Thaïs et Le Roi de Lahore. On n’en connaît que quelques airs, et ce serait donc une grande redécouverte. En matière de disques, tous les grands titres de Massenet ont déjà été enregistrés, avec de très grands chanteurs ; pour les œuvres rares, il faut trouver une maison de disques courageuse, et nous pensons en avoir trouvé une pour enregistrer Le Mage, mais il est encore trop tôt pour en parler. Je regrette que l’Ariane donnée à Saint-Etienne en 2007 n’ait pas donné lieu à un enregistrement commercial ; il y a un projet avec l’orchestre de Montpellier, mais là encore, ce n’est qu’une piste pour le moment. Bacchus est un de ces ouvrages impossibles à monter parce qu’il demanderait des moyens énormes, mais c’est une partition splendide. Et il y aussi une œuvre qui me tient à cœur, mais la partition est à restaurer car elle n’a été qu’en partie créée, à cause de problèmes d’orchestration. C’est une musique sublime, pleine d’innovations révolutionnaires, un peu comme Amadis. Mais je dois garder le mystère, vous en saurez plus d’ici deux ans !

 

Propos recueillis par Laurent Bury, 5 octobre 2011

 

* En fait, le 20 juin 1894, à Londres, la création de La Navarraise fut précédée d’extraits d’Orphée de Glück. La deuxième représentation associait l’œuvre de Massenet au Philémon et Baucis de Gounod. Pour les trois dernières, le complément de programme était Signa, opéra vériste anglais de Frederick Cowen (1852-1935).

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