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BACH, Passion selon saint Matthieu – Paris

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Spectacle
6 avril 2023
Le théâtre de la Passion

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Matthäus-Passion (Passion selon saint Matthieu) BWV 244 de Johan Sebastian Bach (1685-1750) sur un livret de Christian Friedrich Henrici, alias Picander.

Création en l’église Saint-Thomas de Leipzig le 11 avril 1727 et reprise dans la même église le 15 avril 1729 dans une version revue.

Version de 1729

Détails

L’Évangéliste

Ian Bostridge

Jésus

Benjamin Appl

Soprano (Uxor Pilati)

Anna El-Khashem

Alto (alto Testis)

Mari Askvik

Ténor (ténor Testis)

James Way

Basse (Judas, Petrus, Pilatus)

Thilo Dahlmann

Ancilla I

Wei-Lian Huan

Ancilla II

Aurélie Moreels

Pontifex I

Samuel Namotte

Pontifex II

Laurent Bourdeaux

Les Talens Lyriques

Chœur de chambre de Namur

Chef de chœur

Thibaut Lenaerts

Direction

Christophe Rousset

 

Paris, Philharmonie, mardi 4 avril 2023, 20h

À la fin du Carême, lorsque le Chrétien entre dans une église pour y entendre le récit de la Passion, il revit un drame abyssal mais nécessaire. La crucifixion – la mort – porte déjà en elle la résurrection – la vie –, et le Chrétien sait que cela devait advenir. La Semaine sainte annonce Pâques, la Passion célèbre la vie en racontant la mort. Position ambiguë, instable et, dès lors, déchirante.

À la fin du Carême, lorsque le Musicien entre dans une salle de concert pour y entendre le récit de la Passion, il sait qu’il sera pris entre les mêmes pôles : ténèbres et lumière se rencontrent en une narration et une partition dont l’expressivité dépasse les convictions.

À la fin du Carême, lorsque le Chrétien et le Musicien entendent le récit de la Passion, ils se livrent tous deux à une longue méditation, ils écoutent une histoire, ils revivent un drame. Car c’est bien de cela qu’il s’agit avant tout : un moment dramatique, c’est-à-dire un moment théâtral. Tel semble être le parti pris adopté par Christophe Rousset, le 4 avril dernier à la Philharmonie de Paris.

Répartis en deux chœurs et deux orchestres comme l’exige la partition, les Talens lyriques et le Chœur de Chambre de Namur, préparé par Thibaut Lenaerts, offrent tout du long une homogénéité remarquable, tant dans les couleurs que dans les intentions. S’il est certain que, dans les conditions originelles d’exécution de l’œuvre, le Coro II (le second groupe d’instrumentistes et de choristes) comprenait moins de musiciens que le Coro I – l’église Saint-Thomas de Leipzig comptant à l’époque deux tribunes dont l’une était significativement plus petite que l’autre  –, le choix se porte ici sur deux chœurs et orchestres de même ampleur, ce qui semble pertinent dans le contexte d’une salle de concert.

Dès le premier chœur et choral, le jeu de réponses entre les deux chœurs est magnifiquement mené, tandis que le choral de sopranos plane au-dessus du dialogue, comme une prière. Manière d’affirmer d’emblée l’unité spirituelle du propos. D’une manière générale, les chorals sont vifs, tantôt animés, tantôt suppliants – et parfois les deux à la fois, on pense au « Herzliebster Jesu » – jamais appesantis, toujours proches du texte. Ils offrent des moments d’apaisement et d’union dans un contexte tourmenté (le « Wer hat dich so geschlagen » résout ainsi la tension accumulée dans le dialogue Évangéliste-chœur qui précède). C’est encore aux chœurs que l’on doit deux des moments les plus éblouissants de l’exécution (il s’agit certes aussi de deux des moments les plus forts de la partition) : alors que Jésus est prisonnier, les éléments se déchaînent. Le « Sind Blitze » – dont on connaît la difficulté – est parfait : inquiet mais pas lourd, tout en nuances, pressé sans être précipité. Le « Wir setzen uns mit Tränen nieder » est un moment d’extase musicale. Le Christ est au tombeau, il ne souffre plus. Il ne reste que le recueillement, au Chrétien comme au Musicien. Et l’espoir.

Si le chœur est depuis toujours l’un des éléments indispensables à toute tragédie, le récit de la Passion trouve en Ian Bostridge un Évangéliste particulièrement investi. La projection est parfaite, l’incarnation, théâtrale, nerveuse quand le texte l’exige. Loin d’être le narrateur neutre d’un récit passé, Bostridge vit l’action. Lorsqu’il est question de Judas – ou, plus rarement, de Pierre qui, au troisième chant du coq, devient lui aussi un traître – il s’anime, il nasalise, quitte à laisser, pour quelques instants, le chant de côté pour verser dans la déclamation ; ou à perdre son timbre, voire à franchement buter sur une vocalise dans l’aigu. Mais c’est l’acteur talentueux que nous retiendrons, celui qui fait parfois entendre Britten en chantant Bach, celui qui, par un subtil sens du phrasé donne une ampleur particulière aux mots les plus anodins.

Le Jésus de Benjamin Appl, par contraste, est apaisé, déjà résigné. Il déploie une ligne souple aux graves amples bien que parfois un peu écrasés (mais peut-être est-ce à des fins dramatiques, tant les mots concernés sont chargés : « Meine Seele ist betrübt bis an den Tod ? »).  Anna El-Khashem est une soprano convaincante à la voix ronde et chaude. Son « Ich will dir mein Herze schenken »  déroute d’abord tant il semble exalté. Le texte – à nouveau – justifie néanmoins pleinement cette interprétation (« Je veux t’offrir mon cœur, descends-y, ô mon Sauveur ! Je veux me noyer en toi… »). Mari Askvik, alto, offre une voix bien accrochée, ronde, aux graves généreux et sonores. Son « Buß’ und Reu’ » est sombre et particulièrement dramatique, tandis que le dialogue avec le chœur qui ouvre la seconde partie est abordé nerveusement (mais, encore une fois, le texte ne l’exige-t-il pas ?), et que le « Erbarme dich » est, comme il se doit, un moment de pur recueillement abordé très sobrement, le violon solo soulignant le dialogue avec Dieu sans apporter le lyrisme (sans doute inapproprié) que l’on entend parfois. James Way, ténor, s’il offre un  « Ich will bei meinem Jesu wachen » très convaincant, rehaussé d’un phrasé somptueux au hautbois, déroute dans son « Geduld ! » (il s’agit ici de la version avec violoncelle) : la justesse n’y est pas toujours et l’attaque du « Unschuld » pèche par excès d’enthousiasme. Enfin, Judas, Pierre et Pilate trouvent en Thilo Dahlmann un interprète engagé, parfois nerveux – voire agité – mais toujours sûr. Dans la seconde partie du « Gerne will ich mich bequemen », il se précipite parfois sur les temps faibles, alors même que ses récitatifs laissaient entendre une parfaite maîtrise de la phrase musicale. Les servantes de Wei-Lian Huan et Aurélie Moreels et les Grands prêtres de Samuel Namotte et Laurent Bourdeaux, solistes du chœur, complètent idéalement une distribution résolument tournée vers l’expression narrative et musicale.

Le 15 avril 1729, alors que le chœur d’ouverture déploie son magnifique dialogue entre les deux chœurs, une femme serait  sortie de l’église en s’écriant « Protège tes enfants, Seigneur ! C’est comme si on était dans un opéra ou dans une comédie ». À la fin d’Accattone, Pasolini met en scène une bagarre sur la musique du dernier chœur de la saint Matthieu. Moment de cinéma d’une beauté et d’une intensité inouïes. Il y a bien quelque chose qui dépasse la prière dans cette œuvre ou, du moins, quelque chose qui veut aller au-delà du Chrétien, peut-être même au-delà du Musicien. Quelque chose qui se situe du côté du théâtre, de l’expressivité quasi plastique du texte et de la musique. Christophe Rousset en a assurément tiré le meilleur.

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Matthäus-Passion (Passion selon saint Matthieu) BWV 244 de Johan Sebastian Bach (1685-1750) sur un livret de Christian Friedrich Henrici, alias Picander.

Création en l’église Saint-Thomas de Leipzig le 11 avril 1727 et reprise dans la même église le 15 avril 1729 dans une version revue.

Version de 1729

Détails

L’Évangéliste

Ian Bostridge

Jésus

Benjamin Appl

Soprano (Uxor Pilati)

Anna El-Khashem

Alto (alto Testis)

Mari Askvik

Ténor (ténor Testis)

James Way

Basse (Judas, Petrus, Pilatus)

Thilo Dahlmann

Ancilla I

Wei-Lian Huan

Ancilla II

Aurélie Moreels

Pontifex I

Samuel Namotte

Pontifex II

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