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BELLINI, Norma – Lausanne

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Spectacle
5 juin 2023
Le bel canto finalement plus fort que l’esthétisme

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en deux actes
Musique de Vincenzo Bellini sur un livret de Felice Romani
Création à la Scala de Milan le 26 décembre 1831

Détails

Mise en scène, décors, costumes, lumières, chorégraphie
Stefano Poda
Assistant mise en scène, décors, costumes, lumières, chorégraphie
Paolo Giani Cei

Norma
Francesca Dotto
Pollione
Paolo Fanale
Adalgisa
Lucia Cirillo
Oroveso
Nicolai Elsberg
Clotilde
Eléonore Gagey
Flavio
Jean Miannay

Orchestre de Chambre de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne dirigé par Donato Sivo
Direction musicale
Diego Fasolis

Opéra de Lausanne

4, 7, 9, 11, 14 juin 2023

 

 

NB : Spectacle vu lors de la répétition générale publique le 29 mai à 19h00

Le décor est aussi spectaculaire que photogénique. Il semble terrasser de son gigantisme disproportionné la gentille petite salle Arts-Déco. Graphique, d’une blancheur impitoyable, qui fait penser à l’époque où Norman Forster mettait des carrés blancs partout ou aux immeubles hygiénistes qu’Henri Sauvage recouvrait de faïences immaculées, il se reflète sur un sol noir brillant, très Busby Berkeley et 42nd Street. Colossale installation, élégante et suréclairée comme une vitrine de bijouterie, elle enferme la scène sur trois côtés, implacablement, et monte jusqu’aux cintres. A l’occasion elle peut s’ouvrir par une grande porte au lointain sur une gigantesque Lune, se soulever du sol, et se refermer sur le quatrième coté, quand descend une grille tout aussi orthogonale, obsessionnelle, carcérale.

© Opéra de Lausanne / Jean-Guy Python

Symphonie en blanc majeur

D’autant plus incongru dans ce décor immarcescible (on aura remarqué qu’on essaie à tout prix d’éviter l’inévitable comparaison hospitalière), un énorme tronc, aux branches émondées, mais aux racines tentaculaires, forme hirsute, tellurique, obstinément concrète, descend des cintres, y remonte, en redescend. C’est le chêne, bien sûr, suggérant quelque religion de la terre, impérative et mystérieuse.
L’hymne à l’architecture se poursuivra par l’apparition portée par des licteurs d’une maquette, évidemment blanche, du Panthéon d’Hadrien, et par l’apparition descendue de cintres décidément inépuisables d’une demi-coupole du même temple et de sa colonnade. Et, en effet, quoi de plus romain que ce monument qui nous est parvenu, énigmatique et intact, et qui fut jadis éblouissant de blancheur et de pureté quand en Gaule d’hirsutes moustachus en braies, saillons et brogues labouraient la glèbe.

Les Gaulois de Lausanne sont eux d’une élégance immatérielle. De longs manteaux noirs recouvrent leurs costumes blancs immaculés, tels des dignitaires soufis, et ils se regroupent sous le chêne autour du grand prêtre Oroveso, dont la silhouette hiératique évoque davantage le culte amarnien d’Aton que celui, saxon et forestier, d’Irminsul.
Ils évoluent dans ce décor, sur une chorégraphie ralentie et vague, s’alignent parfois le long des parois, s’assemblent pour invoquer le tronc protecteur de leurs mains s’agitant.
Mais parfois ce sont les Romains qui apparaissent dans cette clairière électrique, vêtus de strictes tuniques dont les manches brodées font lointainement penser aux reflets cuivrés de cuirasses.

© Opéra de Lausanne / Jean-Guy Python

Et alors ? demandera-t-on. Et alors, pas grand chose. De ce beau décor, la mise en scène ne fera guère usage. Les parois monteront, descendront, et l’éclairage souvent violent et glacé prendra parfois des couleurs ambrées, sans raison évidente (*). On constatera quelques fantaisies, certaines comiques, comme le surgissement de Pollione par une trappe, ou plus désagréables comme l’apparition par la même trappe d’une boîte de plexiglas emprisonnant les deux enfants de Norma, ou franchement conceptuelles comme au deuxième acte l’envahissement de la scène par des lettres de tailles variées avec lesquelles joueront les enfants pour composer dans une lumière bleutée soit le nom de Norma, soit Roma, soit Amor…

Esthétisme et décorum

Pour tout dire, on avait trouvé l’esthétisme de Stefano Poda, auteur ici de la scénographie, des costumes et des lumières, beaucoup plus convaincant dans sa récente Alcina sur la même scène. Peut-être que le royaume de la magicienne s’y prêtait mieux que l’exotisme romano-celtique du livret de Felice Romani. D’ailleurs l’essentiel de Norma est-il dans ce pittoresque romantique, inspiré d’une tragédie du bien oublié Alexandre Soumet ? L’histoire pourrait se passer dans un salon de 1831 : le drame d’un homme qui, après avoir eu deux enfants avec son épouse, voudrait s’enfuir avec la meilleure amie de celle-ci. Le poison remplacerait le bûcher et ce serait du Balzac.

Deux timbres semblables

Seules comptent finalement les passions qui se jouent là : l’amour trahi, l’amitié bafouée, le désir de mort. Tout ce que portent la musique et les voix. Le reste n’est que décorum.
Au centre du drame les deux femmes, dont cette production met avec insistance l’accent sur la gémellité. Vêtues l’une en blanc, l’autre en noir au premier acte, et inversement à l’acte 2, Norma et Adalgisa se ressemblent par la vêture, la silhouette, la coiffure semblable, et même la voix, et ce dernier point est le plus déroutant : deux timbres similaires là où on a coutume d’entendre un soprano dramatique et un mezzo-soprano, ou du moins un soprano au timbre plus charnu. Cette proximité vocale a des prolongements psychologiques intéressants : la druidesse qui célèbre le culte de la chaste déesse, la Casta Diva, a trahi ses vœux de pureté ; elle est devenue femme et mère, et seule une différence d’âge la distingue de la jeune prêtresse. C’est donc à un double d’elle-même que Norma confiera ses enfants. Ce qu’on gagne là en richesse dramatique, on le perd en richesse musicale.

© Opéra de Lausanne / Jean-Guy Python

Du fruité, de l’élan, un son très présent

La richesse musicale, en tout cas, est très présente dès la belle ouverture, drue, fruitée, pleine d’accents et d’élan. Diego Fasolis aime à faire sonner cette musique qu’il anime constamment d’une verve à la fois populaire et élégante, entre bois pimpants et cordes volubiles dans la partie allegro. Et l’Orchestre de chambre de Lausanne est là dans son époque de prédilection.
Tout aussi précis, solide, ferme sera le premier chœur « Dell’aura tua profetica », répondant au timbre sépulcral, tellurique, d’Oroveso, la jeune basse danoise Nicolai Elsberg, à la stature aussi imposante que sa puissance sonore (et son air avec le chœur, « Guerrieri ! A voi venirme ! », au deuxième acte sera très beau de ligne musicale et de sentiment). Si les mouvements du toujours excellent chœur de l’Opéra de Lausanne nous sembleront parfois erratiques, en revanche son incisivité, la profondeur de sa palette et sa projection ne seront jamais en défaut sous la direction pour la première fois de Donato Sivo.

Très belle interprétation aussi, celle de Pollione par Paolo Fanale, vrai ténor lyrique, et plus on avancera dans la représentation, plus nous serons convaincu par la richesse du timbre, la souplesse des phrasés, par cette voix large, homogène, chaude. On aurait envie que la direction d’acteur l’aide un peu davantage, lui suggère des gestes et des déplacements, mais il y supplée par sa sincérité et on le constatera dans le sublime duo final, où seuls sur une scène vide désormais Norma et lui pourront se laisser porter par la musique. Pollione a ici un double à la fois physique et vocal en Flavio incarné par Jean Miannay, auquel Bellini n’offre guère de notes pour s’exprimer il est vrai…

© Opéra de Lausanne / Jean-Guy Python

Une direction d’acteurs un peu négligente

Il semble en effet que Stefano Poda ne se soit pas beaucoup attaché à diriger ses chanteurs-acteurs qui, à l’instar des choristes, semblent parfois jouer aux quatre coins. Mettons au chapitre des idées amusantes à force d’être incongrues celle d’asseoir dos à dos Norma et Adalgisa, comme les deux pièces d’un serre-livres pour leur grand duo du premier acte. Manière sans doute de signaler qu’elles sont en miroir l’une de l’autre, mais qui ne les aide guère à faire s’envoler leurs voix (**).

Bizarre et énigmatique aussi la gestuelle saccadée, mécanique, des druidesses lors de leur entrée et dont on se dit que ce doit être la stylisation de la cueillette du gui, d’autant que, juste après, Norma et elles semblent tenir entre leurs mains un objet (absent) qui pourrait être le tabernacle où elles le recueilleraient, transmutation moderniste et virtuelle des corbeilles d’osier dont parle le livret… Ainsi rêvasse l’esprit qui sémiologise pour s’occuper, car souvent, à l’instar des intervenants, l’esprit se surprend à flotter dans l’indécis…

© Opéra de Lausanne / Jean-Guy Python

Bel canto ou pas ?

Et puis il y a Bellini. Sa manière unique d’exprimer tout le jeu des passions par les longues mélodies, les couleurs de l’harmonie, la discrète orchestration. Une flûte ici (« Casta Diva »), une clarinette ou de beaux cors mélancoliques ailleurs suffisent à suggérer un climat. Quant au bel canto, c’est évidemment la grande difficulté. Comment concilier le canto spianato, c’est-à-dire élégiaque, suspendu, en un mot planant, avec la distribution d’accents expressifs, avec le drame qui se joue là ? Nous dirons que les deux chanteuses hésitent un peu. Et que l’on a parfois l’impression que dans le même air, ou le même passage, on approche de la grande ligne belcantiste mais qu’un style plus ébouriffé, moins soutenu, surgit pour bousculer les lignes.

Impression qu’on aura eu dès « Casta Diva », non sans aimer d’ailleurs la puissance de notes hautes intenses et solidement projetées. Impression confortée par exemple dans l’air d’entrée de l’acte 2, « Dormono entrambi » (après un beau prélude velouté) : Norma chante à la fois son amour, et sa détermination à tuer, telle Médée, les enfants qu’elle a eus secrètement de Pollione, plutôt que de leur faire vivre le supplice en Gaule ou l’opprobre à Rome.

La difficulté est d’exprimer ce dilemme, plutôt mélodramatique, tout en gardant le grand style lyrique. Gageure pas tout à fait tenue ici par Francesca Dotto, au style ici un peu trop hérissé selon nous, mais il est vrai que, poignard en main, la situation y prête… Impression que nous aurons encore dans l’aria « Deh ! Con te, li prendi », en duo avec l’Adalgisa de Lucia Cirillo, un peu échevelée elle aussi, outre la ressemblance des timbres que nous avons dite, frappante dans leurs unissons. Leur duo, si beau, « Mira, o Norma », parsemé de vocalises un peu titubantes, s’achèvera par une cabalette bien allante, à l’enthousiasme sympathique.

© Opéra de Lausanne / Jean-Guy Python

L’idéal bellinien

Mais à d’autres moments, dans le court duo « Ei tornerà » avec la Clotilde d’Éléonore Gagey (jolis timbre et legato dans un rôle évidemment brévissime), on appréciera une ligne maîtrisée, puis la flamme de Francesca Dotto dans ses terrassants appels guerriers. Rôle terrible que celui de Norma, non seulement par sa longueur, mais aussi parce qu’il reste constamment dans le haut de la tessiture.
C’est dans le grand duo avec Pollione, sur une scène désertée, où ils se dresseront comme deux statues drapées de noir, qu’on approchera le mieux d’un idéal bellinien, dans le grand phrasé sur « Pel tuo Dio, pei figli tuoi », sur un tissu orchestral suave (un Diego Fasolis très à l’écoute, aussi ému que ses chanteurs), dans la très belle ligne et le rallentando sensible de « Vedi, vedi a che son giunta », dans la fierté de « Nelle fiamme perirà ! », dans l’insinuant « Nel suo cor ti vo’ ferire ». Et Paolo Fanale lui aussi à son meilleur rayonnera dans le « In me sfoga il tuo furore » préludant à leur emballant unisson.

© Opéra de Lausanne / Jean-Guy Python

Sur cette lancée, le final ménagera de très belles choses, les notes filées sur « L’innocente accusar del fallo mio », la fierté de « Norma non mente », surtout la mélancolie de l’aria « Qual cor tradisti », d’une couleur enfin vraiment belcantiste – comme celles du ténor, timbré, mâle, radieux dans un « Col mio rimorso… Moriamo insieme » d’un style parfait. Une très belle colorature, mélancolique à souhait, sur « Ah ! Padre ! Un prego ancor » introduira l’aria « Deh ! Non volerli vittime », limpide, touchant, et un incandescent final avec chœur.

Les grandes parois blanches auront alors disparu dans les cintres, le blanc cédé au noir d’une grotte ou de catacombes, où montera l’émotion que suscite parfois l’opéra quand soudain tout semble réuni et qu’on touche à une certaine vérité.

(*) Un spectatrice tout-à-fait digne de foi nous dit que ces éclairages ont été grandement améliorés entre la générale et la première. Dont acte…

(**) La même spectatrice, ayant vu la générale et la première, nous raconte avoir été stupéfaite de l’écart entre l’une et l’autre, les deux cantatrices allant chacune au bout d’elle-même, d’où une ovation sans fin au terme du spectacle. Impression qui nous faut d’autant plus regretter de n’avoir pu assister qu’à une ultime répétition, qui fut d’ailleurs saluée avec beaucoup de chaleur par un public jeune et saisi par la puissance de cet opéra.

© Opéra de Lausanne / Jean-Guy Python

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