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BRITTEN, Owen Wingrave – Martina Franca

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Spectacle
6 août 2025
Aimer la paix plus que tout

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Opéra en deux actes op.85 (Première à la télévision BBC, 16mai 1971) Première représentation théâtrale : Covent Garden, 10 mai 1973

Musique de Benjamin Britten
Livret de Mayfanwy Piper d’après un récit de Henry James

Première représentation en Italie

Détails

Première représentation en Italie
Nouvelle production du festival de la Valle d’Itria

Mise en scène
Andrea Di Rosa

Décors
Giuseppe Stellato

Costumes
Ilaria Ariemme

Lumières
Pasquale Mari

 

Owen Wingrave
Äeneas Humm

Spencer Coyle
Kristian Lindroos

Lechmere
Ruairi Bowen

Miss Wingrave
Charlotte-Anne Shipley

Mrs Coyle
Lucia Peregrino

Mrs Julian
Chiara Boccabella

Kate Jullian
Sharon Carty

General Sir Philip Wingrave
Simone Fenotti

Narrator
Chenghai Bao

 

Figurants
Vito Blasi, Daniele Nardelli (les domestiques)
Bruna Punzi (l’enfant)

Chœur des voix blanches de la Fondation Paolo Grassi

Chef de chœur
Angela Lacarbonara

Orchestre de l’Académie du Teatro alla Scala

Direction musicale
Daniel Cohen

Martina Franca, cour du palais ducal, dimanche 3 août 2025 à 21h

 

 

 

 

 

Jamais représenté en Italie, Owen Wingrave vient d’entrer triomphalement au répertoire du Festival de la valle d’Itria dans la cour du palais ducal de Martina Franca. Avant-dernier opéra de Benjamin Britten, l’œuvre s’insérait comme naturellement dans le programme choisi par Silvia Colasanti, la nouvelle directrice artistique, avec pour fil conducteur le thème Guerres et Paix. Dans le contexte international actuel, le drame créé en 1971 à la télévision anglaise et adapté à la scène en 1973 garde un pouvoir de résonance qui durera probablement aussi longtemps qu’il y aura des guerres et des individus pour contester leur bien-fondé.

Le choix de la nouvelle de Henry James comme base d’une nouvelle œuvre lyrique est en lien tant avec la décision de Benjamin Britten d’être objecteur de conscience pendant la deuxième guerre mondiale qu’avec l’expression toujours plus forte, depuis 1968, d’un rejet de la guerre du Vietnam alors en train de s’intensifier. Comme ceux qui refusent d’aller combattre pour infliger la mort à d’autres êtres humains, le héros de l’œuvre s’expose à la réprobation violente de la société. La supportera-t-il ?

© clarissa lapolla

La question se pose d’autant plus pour Owen Wingrave qu’ il est le rejeton d’une famille dont la position sociale s’est consolidée de génération en génération parce qu’elle a toujours fourni des soldats au pays, car servir sous les armes, c’est être patriote et honorable. L’avenir du jeune homme, un brillant élève de l’école militaire dirigée par Mr. Coyle, semble tout tracé : il perpétuera la tradition dont la galerie de portraits familiaux représente l’ancienneté et la pérennité. Or, dès la première scène, il affirme calmement mais résolument sa décision de ne pas devenir soldat, son refus d’aller combattre.

Cette volonté bien arrêtée résiste d’abord aux pressions bienveillantes de Mr. Coyle, à celles, amicales et maladroites, de son condisciple moins doué, Lechmere. Il en sera de même quand retourné à Paramore, la maison ancestrale, Owen est la cible d’incessantes attaques destinées à obtenir qu’il abandonne sa position. Sa tante, sa fiancée, la mère de celle-ci, son grand-père, tous feront assaut de colère et de mépris, en vain. Cette résistance impavide malgré le chagrin d’être incompris et maltraité par ses proches sera admirée par son formateur militaire, venu avec sa femme. La mort mystérieuse d’Owen, qui surviendra en huis-clos à la suite d’un défi, plongera les survivants dans la consternation. Aurait-il été la victime des forces maléfiques qui hantent la demeure où la puissance des Wingrave s’incarne, liées au meurtre d’un enfant jadis tué par son propre père parce qu’il avait refusé de se battre contre son partenaire de jeu ? Cette fin énigmatique était celle de la nouvelle de James, et Britten décida d’y rester fidèle.

© clarissa lapolla

Quand les droits de la télévision expirèrent, le compositeur adapta l’œuvre pour la scène, et il nous reste les enregistrements qu’il a dirigés. On suppose que c’est la partition définitive qui a été adoptée à Martina Franca. C’est peu dire qu’elle a été dirigée et interprétée magnifiquement par Daniel Cohen et les musiciens de l’Orchestre de l’académie de la Scala, qui sont superbement passés en trois jours d’un Chostakovitch difficile à un Rossini vibrant, jusqu’à ce Britten hypersensible. La musique, qui ne décrit pas, suggère, et après l’exposé des thèmes dans le premier prélude les reprendra, soumettant ainsi les personnages à l’emprise de la demeure qui exsude le passé guerrier de la famille. A l’évoquer pour en rendre compte, la précision chirurgicale  avec lesquelles l’exécution crée les climats, les différencie subtilement, et juxtapose les voix concomitantes dans les assauts contre Owen nous émerveille encore. Qu’il s’agisse du tissu des cordes, des scansions des percussions ou des échappées mystérieuses à la harpe, la clarté sonore n’en rend que plus péremptoire la progression des étapes du drame, pour déboucher sur l’inéluctable dans une sobriété qui subjugue.

Les mêmes louanges, nous les adressons aux enfants de la Chorale des voix blanches de la Fondation Paolo Grassi, au narrateur Chenghai Bao, dont la claire voix de ténor bellement projetée dans le parcours qu’il effectue devant l’orchestre sait infuser de l’émotion tout en conservant de la distance. C’est d’une belle subtilité. Premier intervenant, Kristian Lindroos prête à Mr. Coyle sa prestance physique ; il fait percevoir le calme de cet instructeur, qui enseigne la technique mais qui se soucie de former le caractère en canalisant l’irréflexion. Il porte la vivacité nécessaire à contester la décision d’Owen, mais il sait voir dans sa résistance aux assauts dont il est la cible la preuve de son courage et la voix exprime sans grandiloquence cette pondération. Le deuxième intervenant est l’élève Lechmere, condisciple d’Owen. C’est un jeune homme pressé qui ne rêve que de combats ; aussi ne comprend-il absolument pas la position de son camarade, qui semble si doué pour réussir dans l’armée. Sa maladresse agace, mais son ingénuité le rendrait sympathique car il ne voit que du feu au manège de Kate qui se sert de lui pour essayer d’affaiblir Owen. La voix de Ruairi Bowena a la fraîcheur discrètement claironnante qui sied au personnage et sa tenue scénique est impeccable, de l’exubérance initiale à l’ivresse feinte.

© clarissa lapolla

Mr Coyle est marié ; parmi ses élèves Owen est le préféré de sa femme, probablement le substitut du fils qu’ils n’ont pas eu, et l’affection qu’elle lui porte la poussera à intervenir pendant le séjour à Paramore, non pour le justifier mais pour inviter l’entourage hostile à essayer de le comprendre, déchaînant en vain une tempête. Directe et sincère dans l’expression de ses sentiments, elle attire la sympathie, et Lucia Peregrino capte celle du spectateur, tant par son élégante présence scénique que par une voix bien timbrée, bien projetée, d’une souplesse et d’une étendue notables, qui font de ses interventions des oasis de charme au milieu de l’agressivité des autres femmes.

Il y a d’abord la tante, la première informée de la décision d’ Owen. Désignée comme Miss Wingrave, elle serait donc célibataire, sans enfant, et d’autant plus déterminée à gérer la vie du garçon que c’est la réputation de la famille qui fait la sienne propre. De vieille fille peut-être laissée pour compte elle s’est arrogé le rôle de vestale des valeurs guerrières des hommes de Paramore. Charlotte-Anne Shipley lui prête une haute taille assortie d’une désinvolture scénique qui est l’insolence de ceux que l’idée de leur bon droit n’effleure pas, et elle assène ses vérités et lance ses invectives avec la fermeté et la hargne attendues. Il y a ensuite Mrs Julian, la veuve de guerre qui a trouvé chez les Wingrave un refuge et dont la fille, en épousant l’héritier du domaine, assure à la fois la sécurité financière et le prestige social. Elle s’associe aux protestations de la famille qui condamnent la décision d’Owen, et quand il persévère et que le patriarche le déshérite, elle exhale sans frein désappointement et rancœur car elle se sent menacée personnellement dans la chute probable de la maison Wingrave. Chiara Boccabella trouve elle aussi le ton juste où doivent se mêler intimement conviction et calcul.

© clarissa lapolla

Il y a enfin Kate, la fiancée, élevée dans le culte des héros et accueillie chez les Wingrave, comment remettrait-elle en cause sa vision de l’avenir ? Elle va épouser Owen, l’héritier de Paramore, qui sera officier et avec lui elle partagera l’histoire glorieuse de cette famille de conquérants. Comment pourrait-elle admettre qu’il refuse de tenir le rôle que sa naissance et elle lui ont assigné ? Conformiste et égoïste, à aucun moment elle ne se pose de questions, sûre d’être dans le vrai, et ne s’adresse à lui que pour l’insulter, le blesser : enfant, lâche. Les rares gestes de tendresse qu’elle esquisse sont-ils l’ involontaire effusion d’un sentiment réel ou la ruse d’une détermination qui masque son hostilité ? La rapidité avec laquelle elle semble disposée à séduire l’étourdi Lechmere jette la suspicion sur la profondeur de son amour pour Owen. Sharon Carty est impeccable dans ce rôle, tant vocalement que scéniquement, jusqu’à l’expression finale de son désarroi à la découverte du cadavre d’Owen.

Des hommes de Paramore, le grand-père est le maillon le plus proche de ceux dont les portraits perpétuent individuellement la mémoire et dont l’ensemble reflète l’histoire héroïque de la famille. Il est bien mal en point physiquement, sans que l’on sache si sa décrépitude est celle de l’âge ou liée aux séquelles des combats qu’il rappelle complaisamment. Si le corps est délabré la voix ne doit pas l’être, et exprimer avec vigueur tant le mépris que la colère. Simone Fenotti s’acquitte avec les honneurs de cette composition. Owen, son petit-fils, s’exprime d’abord avec calme car il doit faire entendre que sa décision de renoncer à s’engager dans l’armée n’est pas l’expression d’une exaltation passagère mais le résultat d’une maturation qui ne sera pas remise en cause. Ce calme, il le gardera, même sous les insultes, parce qu’il est la preuve que son attitude ne dépend pas des opinions des autres, même violemment exprimées. Parvenu à savoir ce qu’il pense et ce qu’il veut, il est désormais prêt à le vivre, et il a commencé. Ce n’est que resté seul, quand tous seront allés se coucher, que dans son monologue il affirmera avec force sa détermination à être ce qu’il veut être, un pacifiste, et on l’entend clamer sa foi dans la paix comme « la voie de l’amour ». Cette animation subsiste pendant qu’il apostrophe les portraits pour les rejeter. Nous avons trouvé Äeneas Humm impeccable, autant vocalement, avec ce contrôle du volume conforme à nos attentes, que convaincant dans les intentions et le jeu scénique.

© clarissa lapolla

Le jeu scénique, justement, semble avoir été judicieusement et minutieusement dirigé et mis en valeur par les éclairages étudiés de Pasquale Mari. Le décor de Giuseppe Stellato réemploie des éléments du Tancredi – comme les escaliers latéraux et le manège – qu’il enrichit d’éléments divers comme des blocs mobiles, réunis ou séparés en configuration variées avec une astuce féconde en images suggestives. Réunis ou disposés en carré, ils contribuent à créer une image de forteresse pour le résidence de la famille Wingrave, cette structure défensive étant aussi l’image de la fermeture mentale du clan. Ils servent de support aux nombreux cadres – plus nombreux que ceux prescrits – où en guise de portraits on voit des silhouettes dont le visage est une cible, résumé du destin des héros de la famille, et expression directe de leur destination en tant que soldats. Dans ce décor suggestif Andrea Di Rosa compose une mise en scène fidèle aux indications du compositeur, que ses touches personnelles ne compromettent pas. Ainsi au début de l’œuvre, avant la musique, un large espace entre deux panneaux montre en fond de scène un espace où un enfant joue sur un manège avant d’écarter les bras et de s’effondrer, les bras écartés, et derrière lui un adulte s’écroule simultanément, dans la même attitude christique. On les retrouvera à la fin, sur le manège, assis l’un en face de l’autre, figés dans l’immobilité de la mort, l’adulte étant évidemment Owen. Nous ne décrirons pas davantage les évolutions de ces panneaux, solutions simples et peu coûteuses ou des escaliers eux-mêmes amovibles, grâce auxquelles sont organisés les différents espaces nécessaires. Le seul point problématique est la scène où Owen à Hyde Park se récite du Shelley tandis que Mr. Coyle informe la tante de la résolution du neveu. Il n’a pas été forcément très clair pour un néophyte – rappelons que c’était la première représentation scénique en Italie – de comprendre la simultanéité de cette déclamation et des échanges dans l’appartement de la tante. Mais c’est une exception de peu de durée qui ne pèse rien par rapport à la réussite de cette production, qu’un public nombreux a très chaleureusement et très longuement applaudie.

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Musique de Benjamin Britten
Livret de Mayfanwy Piper d’après un récit de Henry James

Première représentation en Italie

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Première représentation en Italie
Nouvelle production du festival de la Valle d’Itria

Mise en scène
Andrea Di Rosa

Décors
Giuseppe Stellato

Costumes
Ilaria Ariemme

Lumières
Pasquale Mari

 

Owen Wingrave
Äeneas Humm

Spencer Coyle
Kristian Lindroos

Lechmere
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