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CHOSTAKOVITCH, Lady Macbeth de Mtsensk – Athènes

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Spectacle
12 novembre 2023
Le Mal vainqueur du Bien ?

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en quatre actes et neuf tableaux (22 janvier 1934, Théâtre Maly, Léningrad)

Musique de Dmitri Chostakovitch

Livret d’Alexandre Preis et Dmitri Chostakovitch

d’après la nouvelle de Nicolaï Leskov

Détails

Production de l’Opéra National Grec

Mise en scène
Fanny Ardant

Reprise de la mise en scène
Ion Kessoulis

Décors
Tobias Hoheisel

Costumes
Milena Canonero, Petra Reinhardt

Eclairage
Luca Bigazzi

Reprise de l’éclairage
Dimitris Koutas

Mouvements
Collectif (LA) HORDE

 

Boris Ismailov
Yanni Yannissis

Zinovy Ismailov
Yannis Christopoulos

Katerina Ismailova
Svetlana Sozdateleva

Sergey
Sergey Semishkur

Aksinya
Sophia Kyanidou

L’intendant/Un policier/ Un sergent
Maxim Klonovskiy

Un portier, un garde
George Mattheakakis

Premier contremaître/Invité ivre
Nikos Katsigiannis

Deuxième contremaître
Charalambos Velissarios

Troisième contremaître
Panagiotis Priftis

Le balourd miteux
Nicholas Stefanou

Le cocher/L’instituteur
Andreas Karaoulis

Un messager /Le chef de la police
Vangelis Maniatis

Le pope
Tassos Apostolou

Le vieux condamné
Petros Magoulas

Sonyetka
Marissia Papalexiou

Une condamnée
Maria Mitsopoulou

Chœur de l’Opéra national Grec

Chef de chœur
Agathangelos Georgakatos

Orchestre de l’Opéra National Grec

Direction musicale
Fabrizio Ventura

Athènes, Opéra National Grec, dimanche 5 novembre 2023 à 18h30

 

 

 

 

Y aura-t-il un enregistrement ? On l’espère, s’il était à même de restituer la puissance et la finesse d’un maelstrom orchestral où entre rugissements et rutilances des cuivres sur tapis de percussions s’insinuent les timbres obliquant sur des dissonances et les caresses de mélodies vouées à l’avortement. Entre les deux avancées du premier balcon où se répartissent à cour et à jardin d’un côté tubas et trombones et de l’autre les trompettes. l’effet stéréophonique est garanti et porte à son paroxysme l’expressivité des éclats qui suggèrent  la courbe du désir assouvi, de sa montée irrésistible jusqu’à la descente piteuse dont Staline s’était offusqué. Cette luxuriante orgie musicale, Fabrizio Ventura la conduit magistralement, comme toute l’œuvre dans son ensemble, sans la plus petite baisse de tension, cette énergie inlassable étant celle qu’il faut pour parcourir la parabole du destin de Katerina Ismailova. On ne niera pas qu’à quelque moment la puissance sonore de la fosse semble pour les chanteurs plus un adversaire qu’un partenaire, mais globalement la balance est bonne, et le souffle de cette direction ne néglige aucune des délicatesses acidulées dont la partition n’est pas avare. Le son est d’une netteté admirable et on imagine le plaisir que les musiciens, tous pupitres confondus – cordes péremptoires, incisives ou caressantes, percussions savamment graduées, vents sarcastiques ou ambivalents – ont pu ressentir à affronter victorieusement  le monument.

La mise en scène de Fanny Ardant s’attache à mettre efficacement en évidence les relations entre les personnages, en particulier la violence qui caractérise l’ensemble de leurs rapports. Le riche marchand Boris exerce sur ses employés, dont l’obséquiosité ne cache pas toujours le ressentiment que la crainte les contraint à dissimuler, la même autorité brutale que sur son fils et sa bru. Dans cette société que les costumes ne situent pas précisément  le puritanisme règne : surprise en galante compagnie, Anietka est longuement maltraitée et humiliée par les hommes et aussi par les femmes, qui renchérissent probablement par pusillanimité opportuniste. Est-ce ce conformisme moral et social qui a conduit Fanny Ardant à les traiter le plus souvent comme des blocs, avec pour conséquence une présence scénique figée ? Cette mobilité réduite a l’avantage que les artistes des chœurs peuvent se concentrer sur leur chant et réussissent haut la main leur morceau de bravoure, l’assaut qui tourmente la cuisinière. Quant à Boris, obsédé par la conservation et la transmission de ses biens, ce tyran domestique a émasculé son fils en le maintenant dans une soumission quasi-infantile et se verrait bien engrosser sa bru, encore infertile après cinq ans de mariage. En imposant à son fils de se rendre sur un chantier éloigné il crée les conditions de l’engrenage qui verra Katerina succomber.

Un nouvel employé, Serguei,  vient d’arriver. Son physique et son comportement attirent immédiatement Katerina, ce qu’en prédateur en quête de partenaires sexuelles, de préférence liées au pouvoir dans l’entreprise, il perçoit aussitôt. Katerina essaie de résister – conformisme vertueux, prudence imposée par la surveillance rapprochée du beau-père ? – mais enfin elle cède et cette relation charnelle lui devient absolument nécessaire. La chambre conjugale qui étouffe sous les feuillages et les fleurs de la tapisserie surplombe le porche où le beau-père se cache pour saisir l’amant qui se sauvait par la fenêtre. Aidé par ses gens qui maintiennent l’audacieux il va le battre jusqu’à n’en pouvoir plus, avant de l’enfermer dans le cellier et d’envoyer informer le mari. Il paiera de sa vie cette brutalité, en mangeant les champignons à la mort aux rats que lui a servis Katerina. C’est dans ce même cellier que Serguei et elle, après avoir assassiné le mari, déposeront le cadavre dont un ivrogne indiscret révèlera la présence, entraînant ainsi l’arrestation des amants criminels et leur déportation en Sibérie.

© Georgios Kalkanidis

Limpide donc dans sa mise en images de l’action, la mise en scène pêche pourtant lors du moment fatidique de la découverte du corps putréfié. Fanny Ardant montre Katerina recevant sa parure de noces dans la chambre alors qu’elle devrait être auprès du cellier, comme montant la garde, puisque c’est cette vigilance insistante qui aurait dû induire l’ivrogne à supposer que ce réduit recèle les meilleurs breuvages et à en forcer la serrure. Si ce personnage de ce balourd manque de truculence, le traitement du poste de police ne convainc pas vraiment non plus. On nous montre une sorte de Police Academy, avec des subalternes qui singent en cachette leur instructeur sentencieux, quand la scène nous semble saisir sur le vif les protecteurs de l’ordre en train de comploter pour trouver l’idée d’une crapulerie de bon rapport. Et que sont les personnages ajoutés pendant l’ouverture et à la clôture, ces deux éphèbes nus et leur danse auréolée de leurs corolles de plumes respectivement noire et blanche ? Renseignement pris, ils seraient en fait les anges, celui du Bien et celui du Mal, ce dernier reparaissant seul à la fin, tenant une femme dans ses bras, apparemment morte. Avouons-le, cet apport esthétisant nous a semblé gratuit dans la mesure où l’œuvre ne représente pas la défaite du Bien, à moins de considérer que celui-ci consistait dans la situation initiale.

Outre le brio et le brillant de l’expressivité orchestrale, une autre satisfaction tient à la tenue vocale de la grande majorité des interprètes et au sentiment d’une équipe qui se dégage du spectacle. Il faut les citer tous, de Petros Magoulas, le vieux prisonnier, à Andreas Karaoulis, l’instituteur socialiste, Vangelis Maniatis, le chef de la police pontifiant, George Mattheakakis, le portier dévoué jusqu’à l’aliénation, et le pope Tassos Apostolou, dont les regards sur Katerina lors de l’agonie de Boris annoncent déjà l’intérêt particulier qu’il épanchera lors du banquet des noces. Dans le bref rôle de la détenue Sonietka, Maria Mitsopoulou a l’abattage attendu de celle qui ne s’en laisse pas conter et Sophia Kyanidou assume crânement la scène qui la voit assaillie longuement et violemment malmenée par les hommes sous le regard complice des autres femmes.

En Boris Ismailov, Yanni Yannissis impose immédiatement le personnage grâce à une autorité vocale qui fait exister le possédant face à ceux qui dépendent de lui ; il mesure justement le côté scabreux du beau-père, qui n’a pas honte de ses pensées concupiscentes envers sa bru et les exprime sans se mentir. De même l’agonie du personnage est exempte de tout histrionisme qui l’alourdirait. A cette voix mâle du père répond la voix claire du fils, chanté par Yannis Christopoulos, dans un rapport de timbres qui fait de celui-ci l’enfant du premier. Elle semble avoir une étendue et une souplesse qu’on aimerait goûter davantage. Scéniquement, il passe de la soumission initiale à une violence maladroite qui semble un instantané de la réalité. Son rival heureux a reçu de la nature un sex-appeal dont il tire parti auprès des femmes liées au pouvoir, et son rêve d’en conquérir une qui l’épousera va s’accomplir avec Katerina. Sergey Semishkur prête au personnage sa haute stature et une voix de ténor barytonnant qui séduit par son aplomb mais aussi sa souplesse insinuante, quand il lui suggère sans le dire la solution qui permettrait à Katerina de continuer à se griser de leur liaison. Son expressivité de comédien ne laisse rien à désirer, qu’il considère avec une extase incrédule tout l’espace de la propriété désormais à sa disposition ou qu’il rabroue sans ménagement celle qui a favorisé son ascension en lui reprochant d’être exclusivement coupable de sa chute.

© Georgios Kalkanidis

Mais le plus grand défi est le lot de l’interprète de Katerina, qui devra exprimer tout  un kaléidoscope  émotionnel en chantant cette partition si éprouvante dans sa version originelle. Alors, oui, quelques aigus nous ont semblés un peu bas, mais à ce niveau d’écriture, quand le chant devient par moments un corps-à-corps avec l’orchestre, quand les notes ne sont plus les signes d’un langage mais l’aveu rendu inévitable d’une fatigue de vivre, l’expression douloureuse de la conviction d’être dans une impasse, l’horreur de l’impuissance et le désarroi  devant la force du désir, c’est le panorama d’une âme que Svetlana Sozdateleva porte à son terme, entre tourments internes et désir inassouvi d’une tendresse qu’elle semble chercher en étreignant un coussin. Souvent à l’avant-scène pour ne pas sombrer dans les vagues de l’orchestre quand il s’emporte l’interprète domine sa partition et peut ainsi faire passer sur son visage les expressions correspondantes aux situations et aux sentiments. On n’oubliera pas de sitôt justement  cette inexpressivité apparente du dernier acte, quand le désespoir a déjà englouti le personnage avant même qu’elle ne se tue. Criminelle, Katerina ? Oui, mais cette interprétation rappelle le spectateur à son statut, celui de témoin, mais pas de juge.

Vif succès aux saluts pour tous, avec une prime au rôle-titre et au chef d’orchestre. L’équipe des décors était absente ; si celui des trois premiers actes, la cour du domaine de Boris Smailov, témoigne de l’habileté d’une conception qui fait circuler la chambre sur des rails pour la rapprocher de l’avant-scène,  selon les situations et les climats orchestraux, le dernier, toile peinte où se devine un paysage de la taïga, arbres esquissés, lointain flou, indistinct, s’accorde remarquablement à l’avenir de ceux qui vont poursuivre la longue marche des condamnés et disparaître dans l’aube boréale aussi pâle qu’un crépuscule, atmosphère créée aussi par les belles lumières reprises par Dimitris Koutas.  Louange donc à tous les artisans et à tous les artistes !

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Production de l’Opéra National Grec

Mise en scène
Fanny Ardant

Reprise de la mise en scène
Ion Kessoulis

Décors
Tobias Hoheisel

Costumes
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