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HALEVY, La Juive – Turin

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Spectacle
26 septembre 2023
Un miracle nommé Kunde

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en cinq actes de Jacques Fromental Halévy
Livret d’Eugène Scribe
Créé le 23 février 1835, à l’Opéra de Paris, Salle Le Peletier

Nouvelle production du Teatro Regio Torino

Détails

Mise en scène, décors, costume, chorégraphie et lumières
Stefano Poda
Assistant à la mise en scène
Paolo Giani Cei

Rachel
Mariangela Sicilia
Eléazar
Gregory Kunde
Eudoxie
Martina Russomanno
Léopold
Ioan Hotea
Brogni
Riccardo Zanellato
Ruggiero
Gordon Bintner
Albert
Daniele Terenzi
Le bourreau
Rocco Lia
Majordome
Leopoldo Lo Sciuto
Hommes du peuple
Lorenzo Battagion
Roberto Calamo

Orchestra e Coro Teatro Regio Torino
Chef des chœurs
Ulisse Trabacchin
Directeur musical
Daniel Oren

Turin, Teatro Regio, dimanche 24 septembre 2023, 15h

Le grand opéra français opère un retour en force sur les scènes européennes. Qui s’en plaindra ? Avant L’Africaine à Marseille et conjointement au Don Carlos genevois, Turin affiche La Juive, un titre emblématique du genre. Le chef d’œuvre de Fromental Halevy n’avait pas été donné au Teatro Regio depuis 1885. Encore s’agissait-il de la version italienne. Proposer un ouvrage de ce format avec ce qu’il implique de démesure tient de la gageure. L’équipe turinoise s’est donné les moyens de ses ambitions.

Réputé au sud des Alpes, le travail de Stefano Poda reprend les éléments de langage théâtraux qui lui sont caractéristiques. Dans un espace monumental, le glissement latéral et vertical des plateaux favorise les changements à vue de tableaux. En fond de scène, une croix lumineuse surmontée d’une inscription en lettres latines, semblable à celle que l’on trouve sur le fronton des églises de la ville, rappelle les enjeux religieux de l’œuvre – « Tantum religio potuit suadere malorum » – au cas où le livret ne serait pas assez explicite. Le mouvement lent d’une dizaine de danseurs et figurants plus ou moins dénudés en marge de l’action engendre deux niveaux de narration : le premier arrimé au livret, le second en arrière-plan supposé reproduire au ralenti la passion du Christ. Ces deux niveaux de lecture se rejoignent lorsqu’à la fin de l’opéra Rachel prend place sur la croix. Les costumes s’inspirent de l’imagerie biblique, à l’exception d’Eudoxie qui opte pour une panoplie d’hôtesse de peep show en pantalon de cuir et talons aiguille. A chacun ses fantasmes. Certains s’insurgeront de ce détournement d’une œuvre au profit des obsessions d’un metteur en scène. D’autres se réjouiront au contraire du renouvellement du propos, seule condition à la viabilité du répertoire – ce qui fut vrai dans les dernières décennies du XXe siècle l’est-il encore aujourd’hui ? Loin de toute querelle, disons que cette approche, si elle ne sert pas l’œuvre, ne la dessert pas. L’important est ailleurs, dans l’interprétation musicale d’une partition aux multiples difficultés, ici souvent déjouées pour notre plus grand plaisir.

© Andrea Macchia

Métronomique, la direction de Daniel Oren privilégie l’équilibre au détriment du souffle épique attendu. Mais les chœurs disposent d’une large palette de couleurs pour peindre a fresco les tableaux mis en musique par Halévy, et les chanteurs ont chevillé dans la voix l’éperon qui stimule les duos et les ensembles.

Que le Cardinal Brogni selon Riccardo Zanellato apparaisse moins imprécateur qu’homme de Dieu enclin à la miséricorde est un choix dicté par la douceur d’une basse dont l’autorité n’a jamais été le premier des atouts. Là où l’anathème du troisième acte se heurte à un défaut d’ampleur, les confrontations avec Rachel puis Eléazar, flattées par la noblesse du geste vocal et ponctuées de notes abyssales, touchent à l’humanité compassionnelle d’un rôle que l’on a trop souvent tendance à confondre avec le Grand Inquisiteur verdien.

Comme à Genève l’an passé, Ioan Hotea rappelle avec témérité la filiation rossinienne de Léopold (et comment son appariement à Eléazar reproduit le tandem formé à Naples dans les années 1810 par Giovanni David et Andrea Nozzari, l’un contraltino, l’autre baritenore). Quelques aigus étranglés, nasalités et autres tensions trahissent l’effort sans cependant altérer la conformation de l’amant félon.

Martina Russomanno évite l’insipide gazouillis de la colorature pour offrir à Eudoxie une densité dans le médium qui la positionne en digne rivale de Rachel. L’interprétation dispense peu d’effets belcantistes, ce qu’autorise une partition originellement dévolue à Julie Dorus-Gras, mais la virtuosité est assumée, dans la cadence brillante de l’air du 3e acte plus encore que dans le boléro.

En quelques années, Mariangela Sicilia a franchi d’un soprano alerte les étapes qui mènent du lyrique léger – Musetta dans La Bohème à la Bastille en 2014 – à des rôles plus dramatiques – prochainement Donna Elvira dans Don Giovanni après avoir chanté Donna Anna (en 2019 à Orange notamment). Sans malmener la ligne, ni bousculer l’homogénéité du son, la voix assume l’écriture centrale de Rachel, sa véhémence orgueilleuse, sa fièvre (« Il va venir ») et, tout aussi essentiel, ses pudeurs amoureuses. De délicats allègements alternent avec les traits furieux pour composer un portrait qui recueillerait au moment des saluts tous les suffrages si Gregory Kunde ne suscitait un plus grand engouement, dès la fin de « Dieu que ma voix tremblante », sans parler de l’interminable ovation qui accueille « Rachel, quand du seigneur », une des plus mémorables qu’il nous ait été donné de vivre pendant une représentation d’opéra.

Quels mots trouver lorsqu’un artiste défie ainsi les lois de la nature et hisse l’art lyrique à d’ineffables sommets ? A 69 ans, le ténor américain ajoute un nouveau drapeau à son palmarès avec l’intelligence qu’on lui connaît, conscient des limites imposées par certaines notes, par certaines pages – la cabalette que peu de ténors parviennent à transgresser – mais prétextant Eléazar pour offrir une extraordinaire leçon de chant. Alors, le phrasé certes ; le tracé impérieux de la ligne – et quelle assurance dans l’attaque ! Quel aplomb dans la manière de projeter le son ! – ; l’accent oui, d’autant plus qu’Eléazar n’exige pas la plastique vocale d’un jeune premier ; et au-delà, le tourbillon d’oxymores qui sont l’essence même du rôle, écartelé entre vengeance et pardon, amour et haine, force et douceur, bonté et sévérité, révolte et découragement – l’accablement avec lequel est entonné « Rachel, quand du seigneur ». Cette vérité du personnage, Grégory Kunde la donne à éprouver, avec une intensité hors du commun.

Last but not least dans le dithyrambe, la maîtrise de la langue française que le ténor partage à un degré supérieur avec ses partenaires, comme lui non francophones. Derrière l’attention que tous portent à la diction, condition nécessaire – mais non suffisante – à l’interprétation de ce répertoire, se mesure le soin mis par le Teatro Regio pour sortir La Juive des limbes italiennes. Cet effort se voit justement récompensé par l’enthousiasme du public, debout au moment des saluts.

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Créé le 23 février 1835, à l’Opéra de Paris, Salle Le Peletier

Nouvelle production du Teatro Regio Torino

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Mise en scène, décors, costume, chorégraphie et lumières
Stefano Poda
Assistant à la mise en scène
Paolo Giani Cei

Rachel
Mariangela Sicilia
Eléazar
Gregory Kunde
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Martina Russomanno
Léopold
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Ruggiero
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Le bourreau
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Majordome
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Hommes du peuple
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