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BIZET, Carmen – Rouen

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Spectacle
24 septembre 2023
La féérie qui sert de décor au drame

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en 4 actes
Musique de Georges Bizet (1838-1875)
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée
Création à l’Opéra-Comique de Paris, 3 mars 1875

Détails

Mise en scène
Romain Gilbert
Scénographie
Antoine Fontaine
Costumes
Christian Lacroix
Lumières
Hervé Gary
Chorégraphie
Vincent Chaillet

Carmen
Deepa Johnny
Don José
Thomas Atkins
Micaela
Iulia Maria Dan
Escamillo
Nicolas Courjal
Frasquita
Faustine de Monès
Mercedes
Floriane Hasler
Le Remendado
Thomas Morris
Le Dancaïre
Florent Karrer
Zuniga
Nicolas Brooymans
Morales
Yoann Dubruque

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie
Maîtrise du Conservatoire à rayonnement régional de Rouen

Direction musicale
Ben Glassberg

Opéra de Rouen Normandie, vendredi 22 septembre, 20h

Carmen comme à sa création, le fiasco en moins. La promesse est alléchante, et même si elle prétend ne pas s’enfermer dans une vision muséale (et quand bien même, il y a beaucoup de musées très vivants !), on est un peu déboussolés de trouver de la nouveauté dans une production qui veut simplement nous ramener en 1875. Après toutes ces Carmen transposées au XXe siècle, refusant de montrer toutes les fioritures du folklore qui parent néanmoins la musique, voilà la Giralda sur une toile peinte, des tableaux vivants à la fin du premier et dernier acte (le rideau se relevant pour montrer un instantané figé de l’action), un superbe lever de soleil dans la montagne à la fin de l’acte III, et ce que l’on pourrait ironiquement appeler la chance d’assister à un vrai défilé de la quadrille : comprendre enfin ce que sont l’alguazil, les chulos, les chubs, les banderilleros et les picadors. Les transpositions ternes sont devenues un tel stéréotype de mise en scène, qu’on est simplement ébahis par tant de richesse au service de l’œuvre. Comme si l’horizon d’attente du spectateur s’était soudain renversé. C’est le vieux qui fait neuf, qui surprend.

De plus, ne peut-on concevoir que la poussière, reprochée par beaucoup aux productions « traditionnelles », soit davantage le fruit d’une dégradation historique, des ans le réparable (sic) outrage, que d’un manque d’ambition originale ? Les mise en scène d’époque n’auraient-elles pas droit au même dépoussiérage que l’interprétation de l’opéra baroque ces 40 dernières années ? Car sans prendre parti dans une vaine querelle entre anciens et modernes, l’essentiel est bien l’attention portée à la qualité d’exécution. Ce soir, les toiles peintes sont flambant neuves (même le rideau de scène attaché est peint !), les costumes recréés par rien moins que Christian Lacroix, les éclairages soignés (même si on n’a sans doute pas poussé la minutie jusqu’à retrouver un éclairage au gaz), les déplacements du chœur et des figurants (les mieux documentés semble-t-il) réglés par Vincent Chaillet, ancien danseur de l’Opéra de Paris, et l’on peut faire confiance au Palazetto Bru Zane pour l’intégrité de la partition : même si, et c’est très dommage de notre point de vue, ils ont préféré gardé les dialogues chantés, on est heureux de voir enfin la scène du vieil époux ; pas la plus inoubliable certes, mais qui permet à Moralès de chanter davantage.

Reste la direction d’acteurs qui nous semble étonnamment moderne et fait deviner l’intervention de Romain Gilbert au-delà de la richesse des sources. Carmen qui caresse langoureusement la Manuelita pendant la Habanera (la rixe qui suivra serait-elle une querelle amoureuse ?), avant de s’accroupir à califourchon sur un homme qu’elle finira par étouffer de son châle ; les chœurs vociférant des cigarières qui finit par ne constituer qu’une masse menaçant Zuniga ; ces « olé » sur les points d’orgues de l’air du Toréador ; José qui pointe Carmen de son couteau dès la fin de l’acte III, avant que Micaëla ne s’en saisisse de ses propres mains ( Micaëla ! Tenir un couteau !), puis José qui menace de se suicider avec ce même couteau avant de tuer Carmen. Tout cela déjà en 1875, vraiment ? Quoiqu’il en soit, c’est très réussi. Surtout la monumentale gifle de José que ni Carmen ni le public n’ont vu venir (sursaut dans la salle) sur « Tu m’entendras ! », avant d’entonner « La fleur que tu m’avais jetée » tandis que Carmen reste effondrée sur la table, sidérée par la violence du geste, et qui ne bougera qu’avec crainte, n’osant pas toucher un amant qui vient poser sa tête sur ses genoux. Trouvaille extraordinaire qui éclaire à la fois l’alternance pathologique du soldat entre la brutalité et la tendresse, mais aussi l’attachement passionnel de Carmen qui ne fuit pas plus après ce coup qu’elle ne fuira devant celui qui lui sera fatal. A coté de ces coups de génie, les moments légers sont également rétablis (Lilas Pastia et son balai ; la chorégraphie du quintette). Avec ce retour au source, on comprend tout le génie de Bizet qui, selon les mots de Piotr Kaminski « oppose d’emblée les deux facettes de l’opéra : la féérie qui sert de décor au drame, et ce qui en constitue l’essence ».

© Julien Benhamou

Du point de vue musical, la donne est moins exceptionnelle mais de bonne qualité. Rien à redire sur l’excellent assemblage du Chœur Accentus et de celui de l’Opéra de Rouen Normandie. C’est vivant, précis et très maitrisé, sous la direction de Christophe Grapperon. L’Orchestre de l’Opera de Rouen-Normandie manque parfois de couleurs et de lié dans les enchainements mais fait filer le drame à une vitesse tragique sous la baguette vigoureuse de Ben Glassberg. Mention spéciale pour les deux très belles flûtes de Jean-Christophe Falala et Kouchyar Shahroudi. 

De tous les seconds rôles dignement tenus, on remarque surtout les très comiques Thomas Morris et Florent Karrer, et la stature impressionnante du Zuniga de Nicolas Brooymans dont la clarté de l’élocution, forgée dans le répertoire baroque, n’est pas le moindre atout. Nicolas Courjal déçoit quelque peu en Escamillo : la voix sonne toujours avec ampleur sur un timbre profond et sa diction est sans reproche, mais l’acteur semble engoncé, limité théâtralement dans son costume, comme s’il le réduisait à un toréro d’opérette. Un peu comme la Micaëla de Iulia Maria Dan, qui évolue avec bien peu de naturel sur le plateau. La voix est par ailleurs plus mezzo que soprano à nos oreilles : ce medium très riche rapproche étonnamment la villageoise de la bohémienne, mais les aigus sont trop difficilement arrachés pour séduire.

Thomas Atkins campe un Don José étonnant, respectueux des piani de la partition (Don José est plus proche de Nadir que de Tannhäuser, et son grand air davantage une confession rêveuse qu’une passion claironnée) mais également capable de forte saisissants, sans jamais perdre en éloquence et intelligibilité. L’acteur est en outre très vivant et alterne avec effroi la supplication enflammée, la froideur maléfique et l’autorité féroce dans la dernière scène. Dommage qu’il s’économise à ce point dans le duel où il est presque inaudible. Sans doute en méforme (il sera remplacé dès le lendemain), sa prestation est d’autant plus méritante et recueille un triomphe aux applaudissements.

Remplaçant tardivement Marianne Crebassa qui a préféré reporter ses débuts dans le rôle de Carmen, Deepa Johnny est une révélation. Difficile de croire qu’elle n’est pas francophone tant le français est limpide, un peu rond (comme un faux air de Régine Crespin), quoique plus en difficulté dans le redoutable air des cartes, certes. La couleur de la voix est superbe, avec des graves puissants et des aigus maitrisés. Elle investit le plateau avec fièvre et assurance. Ne lui reste qu’à trouver plus de ressources pour varier ses reprises et introduire plus de subtilité dans son jeu, parfois trop prompte à caractériser davantage la sorcière que la femme libre.

Pour ceux qui ne pourraient se rendre à Rouen, et en attendant sa reprise à Versailles en janvier 2025, ce spectacle fera l’objet d’une retransmission gratuite en direct le 30 septembre dans plusieurs villes et en ligne (listes ci-dessous).

 

Rouen, place de la Cathédrale & hall de la gare SNCF / Alençon, Maison des Étudiants / Bernay, Le Piaf / Carentan, Cinéma Le Cotentin / Charleval, Salle Charles IX / Conches-en-Ouche, Salle Jean-Pierre Bacri / Deauville, Cinéma Morny / Dieppe, Cinéma Grand Forum / Duclair, Théâtre / Elbeuf, Cinéma Grand Mercure / Eu, Théâtre / Terres-de-Caux, La Rotonde / Fécamp, Cinéma Grand Large / Hérouville-Saint-Clair Conservatoire / Houlgate, Cinéma du Casino / L’Aigle, Cinéma L’Aiglon / Le Havre, Le Volcan / Les Andelys, Cinéma Le Palace / Montivilliers, Cinéma Les Arts / Petit-Caux, Hôtel de Ville / Pont-Audemer, Cinéma Le Royal / Saint-Marcel, Centre Culturel Guy Gambu / Val-de-Reuil, L’Arsenal / Vandrimare, Centre socioculturel / Yquebeuf, Espace Arts & Culture / Yvetot, Cinéma Les Arches Lumières / Tunis, Institut français / dans trois centres de détention (en différé - Val de Reuil, Le Havre, Caen) / dans trois Ephad (La Compassion (Rouen), La Filandière (Déville-lès-Rouen), Les Jardins de Matisse (Grand Quevilly)).
Et sur le site Internet de l’Opéra et celui de France 3 Normandie (via France.tv), sur Facebook live (Opera de Rouen + Palazzetto Bru Zane), sur la chaîne TV du CHU de Rouen. Retransmission en différé, sur France 3 Normandie à l’été 2024. (à confirmer)

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Musique de Georges Bizet (1838-1875)
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée
Création à l’Opéra-Comique de Paris, 3 mars 1875

Détails

Mise en scène
Romain Gilbert
Scénographie
Antoine Fontaine
Costumes
Christian Lacroix
Lumières
Hervé Gary
Chorégraphie
Vincent Chaillet

Carmen
Deepa Johnny
Don José
Thomas Atkins
Micaela
Iulia Maria Dan
Escamillo
Nicolas Courjal
Frasquita
Faustine de Monès
Mercedes
Floriane Hasler
Le Remendado
Thomas Morris
Le Dancaïre
Florent Karrer
Zuniga
Nicolas Brooymans
Morales
Yoann Dubruque

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
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