Christophe Rizoud l’appelait de ses vœux et Richard Jones le fait. Oui, ce même metteur en scène qui signait une morne nouvelle production de Parsifal à l’opéra de Paris le mois dernier. En septembre, le Royal Opera House lui confiait la lourde tâche de remplacer un pilier de l’institution londonienne et Jean-Michel Pennetier s’en était fait l’écho ici même, précisant que certains détails restaient à peaufiner. Cette première reprise laisse présager de la belle endurance que devrait connaître ce spectacle. Moderne, il l’est avant tout par sa scénographie où la vastitude du plateau vide et obscur – sur lequel il neige sans discontinuer jusqu’au dernier acte, retour du printemps et heure de la séparation obligent – sert d’arrière-plan à des décors mobiles : la sous-pente certes encore trop propre et où ne se trouvent aucun matelas, des galeries parisiennes sous verrières, Momus ou la cabane de la barrière d’Enfer. On est loin des reproductions grandeur nature et maniaques zefireliennes tout en restant dans une forme d’élégance qui a pour principal atout d’être moins rigide et où les changements à vue sous cette neige incessante poétisent tout le déroulé du spectacle. L’on se concentre néanmoins sur la direction d’acteur, extrêmement détaillée et naturelle : Musetta, éméchée, s’écrase contre le mur de Momus avant d’entonner « Quando m’en vo », les badinages de nos bohèmes ou les multiples activités des groupes du chœur au deuxième acte. En somme on rit, on pleure, on est transporté devant ces personnages attachants qui prennent vie.
D’autant que Nicola Luisotti dirige l’œuvre en un geste majestueux et généreux, excellemment secondé par un orchestre irréprochable et aux solistes inspirés. Si le tempo se veut allant, le chef sait retenir et ponctuer les phrases de quelques points d’orgues bienvenus pour permettre aux chanteurs de briller.
© Catherine Ahsmore / Royal Opera House
La distribution contribue à cette part de rêve. Jeremy White, vétéran de la scène londonienne, ouvre le bal et compose un Benoît désopilant. Suit Daniele De Niese (Musetta), un rien sous-dimensionnée et parfois peu précise dans ses vocalises mais dont l’abattage scénique emporte tout le deuxième dans un maelström avant qu’elle ne délivre une prière émouvante dans la dernière scène. C’est aussi le cas de Duncan Rock (Schaunard) qui compense une projection limitée par ses facéties scéniques. Fernando Radó (Colline) jouit de beaux moyens vocaux bien qu’il n’habite pas encore tout fait son rôle de la profondeur nécessaire à l’image d’une « vecchia zimarra » encore scolaire. Pour ses débuts londoniens, Etienne Dupuis s’impose comme un Marcello idéal tant par la santé vocale que par la présence et l’intelligence de l’interprétation faite d’autorité et d’enfantillages. Rodolfo et Mimì sont quant à eux servis par deux chanteurs admirables. Maria Agresta qui nous avait paru un rien froide à Milan, fend ici l’armure dès le duo d’entrée, sans renoncer à une diction et une déclamation parfaites. Faussement timide en scène, elle magnétise les regards en deuxième partie, notamment lors de son agonie toute en demi-teintes. Matthew Polenzani ne lui cède en rien. Son émission claire et son timbre lumineux sont l’évidence même dans ce rôle lyrique. Le ténor américain ne se repose pas uniquement sur ses moyens généreux, qui nous valent une « speranza » solaire et tenue dans « che gelida manina ». Le chant se pare de couleurs et d’accent très personnels qui renouvellent l’interprétation de ces airs pourtant si rebattus.