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ROSSINI, Tancredi -Martina Franca

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Spectacle
4 août 2025
Délicieuses harmonies

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Mélodrame héroïque en deux actes (Venise, Teatro La Fenice, Venise, 6 février 1813)
Musique de Gioachino Rossini
Livret de Gaetano Rossi extrait de la tragédie en cinq actes Tancrède de Voltaire (1760)

Edition critique établie par Philip Gossett en 1984 pour La Fondation Rossini de Pesaro (en collaboration avec la Casa Ricordi)

Détails

Exécution du finale de la première version créée à la Fenice suivi aussitôt du finale de la version pour le Teatro Communale di Ferrara (mars 1813)

Mise en scène
Andrea Bernard

Décors
Giuseppe Stellato

Costumes
Ilaria Ariemme

Lumières
Pasquale Mari

Argirio
Dave Monaco

Tancredi
Yulia Vakula

Orbazzano
Adolfo Corrado

Amenaide
Francesca Pia Vitale

Isaura
Marcela Vidra

Roggiero
Giulia Alletto

L.A. Chorus, Lucania & Apulia Chorus

Chef de chœur
Luigi Leo

Orchestre de l’Académie Teatro alla Scala

Direction musicale
Sesto Quatrini

Martina Franca, Cour du palais ducal, samedi 2 août 2025 à 21h

 

 

 

 

La majorité des contemporains du jeune Rossini allait à l’opéra pour se distraire, et s’ils pouvaient s’émouvoir des malheurs des personnages, ils souhaitaient qu’à la fin des vicissitudes, tout finisse bien, c’est-à-dire que le bon triomphe du méchant et que les amoureux sincères soient réunis. Aussi, quand Gaetano Rossi adapta pour Rossini la tragédie de Voltaire Tancrède il ne fit pas mourir le héros dans le combat décisif mais le montra victorieux et enfin prêt à filer le parfait amour.

Ce dénouement, Rossini s’en accommoda, mais il avait conscience de sa fadeur. Aussi, un mois après la création à Venise de la fin « heureuse » il adopta à Ferrare le final tragique proposé par Luigi Lechi, un aristocrate mélomane cultivé et fortuné qui était et resta le compagnon de la créatrice du rôle de Tancredi, Adelaide Malanotte, composant pour l’occasion un chœur, deux récitatifs et une cavatine. Cette alternative fut rapidement oubliée car la faveur du public allait aux fins heureuses. Retrouvée grâce aux héritiers du comte Lechi, elle fut recréée à Pesaro pour l’édition 1999 du ROF et elle créa une impression si profonde que l’on se souvient encore de l’émotion créée par l’interprétation de Daniela Barcellona.

Est-ce un esprit d’émulation qui a suscité chez Andrea Bernard, le metteur en scène à Martina Franca, l’idée d’enchaîner les deux finales ? Outre qu’elle semble a priori saugrenue, elle a pour conséquence d’allonger considérablement la deuxième partie du spectacle, et l’on peut se demander si cela n’explique pas, outre la fraîcheur du vent qui s’était levé au premier acte, les sièges restés vides après l’entracte. Elle cherche la difficulté : comment coudre ensemble ces deux morceaux ? On apprend dans le programme que la solution trouvée est l’introduction d’un personnage, celui d’un enfant qui, s’étant pris d’affection pour Tancredi, quand il le verra gisant viendra le secouer et le ramènera ainsi à la vie, dispos pour retourner au combat duquel il était revenu blessé à mort, et prêt à revenir sur scène victorieux pour s’unir enfin à sa bien-aimée.

Et l’on voit en effet un enfant désœuvré errer dans le décor qui représente un mur à demi-éventré à la base duquel s’étend l’espace de ce qui était une aire de jeu dont il ne reste que des équipements délabrés et les vestiges d’un missile. A jardin et à cour, deux escaliers, par lesquels passeront les membres des factions d’Argirio et d’Orbazzano. Bien que le premier acte nous fasse témoins de l’accord enfin trouvé entre ces deux chefs de factions rivales, leurs hommes sont montrés qui continuent à l’occasion de se provoquer, voire de s’éliminer à l’occasion. C’est peut-être une lecture réaliste des rapports entre bandes, mais rend-elle plus claire les tourments sentimentaux et psychologiques qui sont la matière du drame ?

© clarissa lapolla

C’est faire de la guerre, tant interne qu’externe, et de ses conséquences – thème du festival – le sujet de l’œuvre, alors que les causes des tourments d’Amenaide et de Tancredi sont familiales  (jusqu’où son père ira-t-il pour la contraindre à une union dont elle ne veut pas) et sentimentales  (Amenaide a-t-elle été infidèle à ses serments d’aimer toujours Tancredi ?). La guerre aggrave la situation, mais elle ne l’a pas créée. C’est l’ambition d’Orbazzano de destituer Argirio comme ce dernier avait destitué le père de Tancredi qui a créé le chaos à Syracuse. Mais la ville est assiégée et on entend en bande-son une sirène d’alarme, des tirs en rafale, des coups de feu, tandis que dans l’espace entre les deux escaliers, un missile est encore visible. Des panneaux métalliques mobiles servent de barrière, peut-être au tout début de limite entre les zones d’influence des deux camps, et ils seront déplacés maintes fois sans que l’on comprenne toujours clairement dans quelle intention, hormis quand ils feront fonction des murs de la prison où Amenaide a été enfermée.

La présence de l’enfant éclaire-t-elle quoi que ce soit ? Pas pour nous. Sa relative indifférence aux manifestations de brutalité a-t-elle pour but de mettre en évidence une déplorable accoutumance ? Ou est-elle l’heureux détachement d’un enfant que ces épisodes violents n’ont pas encore traumatisé ? Il a bon cœur, il apporte de l’eau à Amenaide dans sa prison. Et après ? Maintes fois sa présence nous a semblé décorative plus que signifiante, à moins de considérer que quand il fait des photos il est un témoin indispensable de cette histoire qui est aussi la sienne.

© clarissa lapolla

Heureusement, l’interprétation musicale et vocale n’a pas permis que cette perplexité l’emporte sur la réception de ce chef-d’œuvre. Comme pour la symphonie de Chostakovitch, l’orchestre est celui des jeunes musiciens de l’Académie de la Scala, placés sous la direction de Sesto Quatrini. Direction ô combien séduisante, par sa précision extrême, le dosage d’orfèvre des intensités, la clarté des plans, l’intensité et le contrôle du lyrisme, un ensemble de qualités qui comblent et restituent tout le charme  captivant de cette belle partition. Quelques fugaces imprécisions dans les chœurs ne suffisent évidemment pas à discréditer une participation globalement très satisfaisante.

A ce bonheur musical s’ajoutent les bonheurs de la distribution. Passons sur le Roggiero de Giulia Alletto, très-trop-léger. Marcela Vidra a la désinvolture scénique requise par la mise en scène : Isaura est comme toutes les femmes exposée à la brutalité masculine dans cette ville où les mâles ont le dessus et elles doivent savoir se défendre, c’est-à-dire ne pas céder à la peur et se mettre à trembler. Vocalement elle est sans reproche et elle tire le meilleur parti de son air « Tu che i miseri conforti ». Le rôle d’Orbazzano ne réclame pas les graves profonds de la partie de basse dans la symphonie de Chostakovitch, aussi Adolfo Corrado est-il d’emblée à son aise et sa voix prend toute sa part dans les divers récitatifs où le personnage est impliqué.

Le père conforme aux stéréotypes du pater familias, dont les enfants sont sa propriété dont il peut disposer comme il veut, le livret le montre vulnérable quand il doit signer l’arrêt de mort de sa fille ; ce choix cornélien pour un Français et digne de l’antique pour un Italien, Dave Monaco en rend sensible la complexité douloureuse, et comme l’exécution du parcours virtuose ne lui pose aucun problème dans l’ascension des aigus – fugitivement nasals, mais le vent n’aidait pas – que la diction est ferme et la projection bonne, le lecteur ne s’étonnera pas qu’il ait recueilli nombre d’ovations aux saluts.

Ovations en pluie aussi pour Francesca Pia Vitale, qui mène sans faiblir son personnage de jeune femme décidée, auxiliaire de santé d’abord rudoyée par les sbires d’Orbazzano – une option peu convaincante – au travers des vicissitudes multiples auxquelles elle résiste, en déployant des ressources vocales qui tiennent la distance et lui permettent des feux d’artifice de figures et d’ornements, indéniablement une grande Amenaide.

© clarissa lapolla

La palme, s’il doit y en avoir une, nous la donnerons cependant à Yulia Vakula, dont la voix étendue reste sonore dans les profondeurs dont elle atteint la plupart sans poitriner et dont le tissu est à la fois moelleux et ferme. Son air d’entrée est un sans-faute interprétatif, que la qualité du timbre rend captivant. Elle ne déçoit à aucun moment, et si nous gardons en mémoire de grandes interprètes du rôle, sans nul doute Yulia Vakula y a déjà sa place.

On serait incomplet sans mentionner le plaisir multiplié par l’union de ces voix dans les ensembles, tous parfaitement réussis !

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Mélodrame héroïque en deux actes (Venise, Teatro La Fenice, Venise, 6 février 1813)
Musique de Gioachino Rossini
Livret de Gaetano Rossi extrait de la tragédie en cinq actes Tancrède de Voltaire (1760)

Edition critique établie par Philip Gossett en 1984 pour La Fondation Rossini de Pesaro (en collaboration avec la Casa Ricordi)

Détails

Exécution du finale de la première version créée à la Fenice suivi aussitôt du finale de la version pour le Teatro Communale di Ferrara (mars 1813)

Mise en scène
Andrea Bernard

Décors
Giuseppe Stellato

Costumes
Ilaria Ariemme

Lumières
Pasquale Mari

Argirio
Dave Monaco

Tancredi
Yulia Vakula

Orbazzano
Adolfo Corrado

Amenaide
Francesca Pia Vitale

Isaura
Marcela Vidra

Roggiero
Giulia Alletto

L.A. Chorus, Lucania & Apulia Chorus

Chef de chœur
Luigi Leo

Orchestre de l’Académie Teatro alla Scala

Direction musicale
Sesto Quatrini

Martina Franca, Cour du palais ducal, samedi 2 août 2025 à 21h

 

 

 

 

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