En dépit d’un répertoire parmi les plus riches, le Metropolitan aura longtemps tardé à s’intéresser à l’opéra baroque. Il faut attendre 1984 (soit plus de 100 ans après la création de la compagnie) pour voir affiché le premier titre haendélien : Rinaldo avec Marylin Horne et Samuel Ramey. Samson suit en 1986, mais avec une distribution incluant Jon Vickers et Leona Mitchell, on était loin des approches musicologiques actuelles. En 1988, c’est au tour de Giulio Cesare avec Tatiana Troyanos, Kathleen Battle et Martine Dupuy. Il faut attendre 2004 pour retrouver un nouveau titre avec Rodelinda, monté pour Renée Fleming, avec un entourage et un orchestre qui commencent à ressembler à une authentique version baroque. Souhaitant sans doute aller au devant des préventions d’un public finalement toujours aussi peu intéressé par ce répertoire, Peter Gelb, l’actuel patron du Met, a commandé à Jeremy Sams un pastiche baroque, plus à même de convaincre au travers d’une intrigue plus actuelle et offrant un plus large éventail de compositeurs. Il est vrai que le genre, avec ces schémas très structurés, se prête bien à cet exercice : le Bajazet de Vivaldi, utilisé ici, est lui-même un pasticcio ! Au final, l’ouvrage proposé par Sams ne remplit pas vraiment tous ses objectifs : sur les 44 morceaux chantés*, 27 sont tirés d’opéras de Haendel (le seul compositeur baroque jamais donné au Met), 9 de Vivaldi et 4 de Rameau. André Campra, Jean-Marie Leclair, Henry Purcell et Giovanni Battista Ferrandini ont chacun un morceau (pour le dernier, un air longtemps attribué à … Haendel !). Quant à Jean-Féry Rebel, il se contente d’être incorporé au ballet, noyé entre deux compositions de Rameau. On est donc loin de la variété que permettait la démarche : au contraire, on aurait presque ici un 43e opéra de Haendel ! De plus, tous les morceaux ne sont pas du même niveau (notamment certains Haendel moins connus) et leur succession n’est pas toujours assez variée (plusieurs airs lents peuvent être donnés à la suite). Tirée d’ouvrages de Shakespeare (La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été), l’intrigue n’est pas non plus un modèle de simplicité (des paroles en anglais ont été réécrites pour tous ces morceaux, sans rapport avec le texte original) : on se croirait dans un vrai ouvrage baroque, mais avec les réparties en plus. Car ce qui sauve l’entreprise, c’est qu’on ne s’y prend pas au sérieux : la salle éclate de rire à de nombreuses reprises. Même humour dans la production, d’un kitsch spectaculaire assumé, ainsi que dans des costumes inventifs, qui revisitent au second degré les fastes baroques du XVIIIe siècle : on n’oubliera pas de sitôt Neptune au fond des océans, entouré de choristes-pieuvres et de sirènes qui évoluent dans les cintres. Finalement, malgré quelques défauts de construction, The Enchanted Island reste un ouvrage tout à fait intéressant per se, et pas un simple substitut d’opéra baroque (voir brève).
Vocalement, le plateau oscille entre le bon et le très bon, voire l’exceptionnel. David Daniels est un Prospero au timbre toujours aussi somptueux et à la musicalité exemplaire. Il est dommage que l’ouvrage ne lui offre pas davantage d’airs brillants, ce qui aurait permis d’apprécier toutes les facettes de son art. C’est un peu l’inverse avec l’Ariel de Danielle de Niese à la virtuosité sans faille : le timbre n’est pas des plus opulents, mais l’abattage est indéniable dans ce rôle d’esprit espiègle et maladroit. Dans la plénitude de ses moyens, Joyce DiDonato touche presque au sublime dans l’improbable Sycorax, un personnage initialement un peu bouffon qu’elle finit par nous rendre touchant. A la fois drôle et bien chantant, Luca Pisaroni est physiquement méconnaissable (c’est la Bête de Cocteau en multicolore). En ce qui concerne la jeune génération, on avouera un faible pour la belle Layla Claire, très musicale. Lisette Oropesa chante également fort bien, mais est moins mise en valeur par le choix des airs. Elizabeth DeShong est très drôle scéniquement, mais un peu acide vocalement. En revanche, on ne cherchera pas à départager Paul Appleby et Elliott Madore, également excellents. Le Ferdinand du contre-ténor Anthony Roth Costanzo a pour sa part du mal à séduire, avec un timbre à la Dominique Visse. Gardons pour la fin le vétéran Placido Domingo, remarquable dans ses courtes apparitions : il faut dire que la virtuosité n’y est guère sollicitée et qu’il suffit au ténor de faire résonner sa voix de bronze pour camper un Neptune plus vrai que nature. La direction de William Christie est parfois un peu sage, mais on lui saura gré de son travail qui permet de donner une couleur baroque à l’orchestre. La soirée s’achève par un triomphe : il n’est pas du tout évident que l’essentiel du public sera pour autant tenté par un « vrai » opéra baroque, mais on se prend à rêver d’une reprise avec de nouveaux interprètes, quelques ajouts ou retraits de numéros … Le plus beau compliment qu’on puisse faire à cette tentative n’est-il pas de souhaiter qu’elle reste au répertoire ?
* Le détail des airs n’est disponible qu’en ligne sur le site du Metropolitan Opera : https://www.metopera.org/metopera/news/enchanted-island-music.aspx
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The Enchanted Island — New York
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- Orchestre
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Infos sur l’œuvre
Détails
Jeremy SAMS
The Enchanted Island
Baroque fantasy en deux actes (2011)
Musiques de George Friedrich Haendel, Antonio Vivaldi, Jean-Philippe Rameau, André Campra, Jean-Marie Leclair, Henry Purcell, Jean-Féry Rebel et Giovanni Battista Ferrandini
Livret de Jeremy Sams
Mise en scène
Phelim McDermott
Décors
Julian Crouch
Costumes
Kevin Pollard
Lumières
Brian MacDevitt
Chorégraphie
Graciela Daniele
Vidéo
59 Productions
Prospero
David Daniels
Ariel
Danielle de Niese
Sycorax
Joyce DiDonato
Caliban
Luca Pisaroni
Miranda
Lisette Oropesa
Helena
Lalyla Claire
Hermia
Elizabeh DeShong
Demetrius
Paul Appleby
Lysander
Elliott Madore
Neptune
Placido Domingo
Quartet
Ashley Emerson
Monica Yunus
Philippe Castagner
Tyler Simpson
Ferdinand
Anthony Roth Costanzo
Choeurs du Metropolitan Opera
Orchestre du Metropolitan Opera
Direction musicale
William Christie
Metropolitan Opera, New-York, samedi 21 janvier 2012, 13h
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Phelim McDermott
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