Il y a des annonces qui braquent les projecteurs de manière inattendue. La nouvelle production d’Otello de Verdi à l’Opéra du Rhin attirait par sa jeune distribution prometteuse, la cheffe invitée et pour la troisième proposition in loco de Ted Huffman. L’annonce, l’avant-veille de la première, de sa nomination à la tête du festival d’Aix aura rehaussé d’autant l’enjeu.
Le travail du metteur en scène offre une vision « à l’os », dépouillée comme bien souvent chez lui de nombre d’attributs opératiques attendus : le plateau est vide pendant les deux premiers actes, les costumes ne font que donner quelque piste et la dramaturgie tient quasi exclusivement sur la direction d’acteur. Cela a fait mouche à Bruxelles pour The Times of our Singing ou encore à l’Opéra de Paris pour Street Scene délocalisé à Bobigny. Dès le troisième acte, les pièces du puzzle s’assemblent. L’arc narratif va de l’enterrement de vie garçon (la beuverie du premier acte) à la nuit de noces tragique, dans une assemblée qu’on devine maffieuse derrière les uniformes militaires. Le troisième acte se déroule pendant le repas du mariage et l’issue fatale se produira au milieu des tables à peine débarrassées. Une telle proposition repose en très large partie sur les interprètes et c’est là que spectacle trouve sa principale faiblesse. Certaines scènes sont très réussies – la première confrontation Iago/Otello installe la lutte psychologique et l’inversion du rapport de domination de manière très convaincante – quand d’autres peinent à trouver leur souffle. Le final précipité, aussi shakespearien que verdien, résiste aussi à cette lecture.
Car la distribution présente des acteurs chanteurs de qualités diverses. En Iago, Daniel Miroslaw, grande silhouette filiforme, habite l’espace à la manière d’un félin. Le baryton dispose en outre du volume et des couleurs pour brosser un portrait aussi retors que racé du capitaine félon. On lui reprochera toutefois quelques approximations notamment dans la chanson à boire du premier acte. Joel Prieto (Cassio) convainc davantage par l’incarnation scénique que par le chant, la faute à un legato sommaire. Adriana Gonzalez offre une solution médiane. Le jeu peine à sortir de positions convenues quand le chant séduit : nuances, demi-teintes ou encore sons filés. La soprano use de toute la palette requise pour incarner une Desdemona fragile et soumise. La voix, maintenant arrivée à pleine maturité, s’épanouit dans un son rond et charnu, tout à propos dans Verdi. D’Otello, Mikheil Sheshaberidze dispose très certainement du format vocal. Si l’aigu manque encore parfois de stabilité, l’endurance n’est jamais prise en défaut. Deux problèmes demeurent : le chant ne se colore pas et ne se pare de nuances que très rarement, au prix de voyelles complètement ouvertes. Surtout, la présence scénique reste très simpliste. Le portrait se fera d’un bloc, sans vraie évolution psychologique, dans une mise en scène qui ne s’appuie que sur ce ressort.

Les cinq rôles secondaires soutiennent la proposition de tous leurs talents scéniques et vocaux. Thomas Chenhall aura campé Montano blessé en quelques phrases. A son image, Jasurbek Khaydarov (Lodovico) fait mouche rapidement dans la scène de l’ambassade. Massimo Frigato met lui aussi à profit ses scènes pour incarner de la voix et du corps Roderigo, le veule suiveur de Iago. C’est surtout Brigitta Listra en Emilia qui retient l’attention : discrète mais ferme, l’actrice rend très vite crédible la sororité de sa relation avec Desdemona. Le mezzo se déploie aisément quand le timbre mordoré achève de donner du caractère à la suivante.
Enfin les forces jointes des chœurs des Opéras nationaux du Rhin et de Nancy-Lorraine jouissent d’une excellente préparation. Ils font preuve d’une cohésion à toute épreuve dans la tempête initiale et suivent à la baguette les nuances que Speranza Scappucci leur intime depuis la fosse. Cette dernière, à la tête d’un orchestre homogène, propose un Verdi haut en couleurs, de bruit et de fureur comme de langueurs élégiaques. Cette science des rythmes et des contrastes de l’opéra verdien ne se développe jamais à l’encontre du plateau, même dans les grandes scènes de foules.