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Unsuk Chin : Une bonne musique a toujours quelque chose de nouveau

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Interview
5 février 2023

Infos sur l’œuvre

Détails

Nous avons rencontré Unsuk Chin à l’aube du Festival Présences qui lui est consacré. La compositrice coréenne revient sur son parcours de créatrice, et plus particulièrement sur ses œuvres vocales. Portrait d’une personnalité singulière de la création aujourd’hui, chez qui l’humour et la vivacité se conjuguent à une rigueur d’écriture et une pensée formelle en profondeur.


Ce qui nous réunit aujourd’hui, c’est avant tout le Festival Présences, qui vous est dédié, et qui s’ouvre le 7 février à Paris. Quels sont pour vous les temps forts de ce festival ?

Tous les concerts sont importants, bien sûr, mais la création française de mon deuxième concerto pour violon Scherben der Stille par Leonidas Kavakos est bien sûr importante pour moi. Par ailleurs, je me réjouis du concert avec l’Orchestre national de France, qui donnera la création mondiale de Alaraph, ma dernière pièce d’orchestre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette nouvelle œuvre ?

C’est une pièce assez courte, d’un petit quart d’heure, mais où j’ai essayé d’incorporer des éléments de la musique traditionnelle coréenne pour la première fois de façon aussi directe. On y retrouve des rythmes de la musique rituelle de cour, mais aussi de musiques populaires. J’ai extrait ces éléments, puis les ai stylisés et comprimés pour mieux me les approprier.

Cette approche tardive de la musique traditionnelle a-t-elle une raison ?

Je n’étais pas encore prête. Ma pièce d’ensemble Gougalōn est certainement d’inspiration coréenne, mais les éléments ne le sont pas directement.

Vous avez activement participé à la programmation du festival. Pouvez-vous nous parler des compositeurs invités pour l’occasion ?

Je suis heureuse d’avoir pu proposer le nom de Chia-Ying Lin, compositrice taïwanaise qui a un sens très développé de la structure et du timbre. Je suis curieuse d’écouter la nouvelle pièce d’Artur Arshelyan, compositeur arménien, dont la musique paraît si simple, mais qui cache certainement quelque chose. Un peu plus proche de ma génération, il y a Martin Smolka, dont l’économie de moyens à l’œuvre dans sa musique m’a toujours beaucoup intéressée. J’ai enfin beaucoup de respect pour York Höller, dont Bertrand Chamayou créera une nouvelle œuvre pour piano. La tradition allemande joue un rôle prépondérant dans sa musique, et c’est quelque chose que j’admire profondément.

Il vous importe que la musique soit attachée au passé ?

Oui, et pas seulement à l’histoire de la musique européenne, mais à celle des musiques du monde entier. J’ai toujours essayé de construire ma musique sur ce socle. Bien sûr, j’écris de la musique nouvelle, mais ce n’est pas le but premier. Une bonne musique a toujours quelque chose de nouveau.

Si l’on s’intéresse aux textes que vous avez mis en musique, on trouve des auteurs et des provenances très diverses. Est-ce qu’une forme de mondialisation du matériel littéraire est à l’œuvre dans votre musique ?

La provenance géographique ou historique du texte ne m’importe pas. Lorsque j’écris une pièce vocale, je pars de l’idée musicale et je cherche ensuite le texte qui lui convient.

Chronologiquement, c’est donc la musique qui prime sur le texte ?

Pas tout à fait. J’ai une idée de départ de la musique, mais elle est assez vague. Le texte m’aide à affiner cette idée, à mieux la cerner. Je dois ajouter que mes goûts littéraires ont beaucoup changé au cours des dernières années. Je suis passé de textes très abstraits ou déstructurés jusqu’à être méconnaissables, à un rapport beaucoup plus immédiat au sens. On a moins de difficultés à dire les choses telles qu’elles sont avec le temps.

Qu’est-ce qui vous gênait dans la compréhension immédiate de l’auditeur ?

La musique peut se laisser submerger par le sens des mots. Si le texte que vous mettez en musique dit « je t’aime », votre musique sera balayée par la force du propos sémantique, et passera immanquablement au second plan. Pour certaines pièces, telles que Akrostichon-Wortspiel, j’ai donc opté pour un texte narratif, mais incompréhensible.

Est-ce que cela rejoint ce que Ligeti souhaitait pour ses Aventures, à savoir un chant qui véhicule des affects plutôt que du sens ?

En partie. Ma démarche n’est pas aussi extrême que dans Aventures, car Ligeti pousse les possibilités expressives de la voix jusqu’à leurs limites. Ma façon de procéder est plutôt de démolir des textes préexistants jusqu’à les rendre méconnaissables, afin qu’ils deviennent des objets pour le chant.

Est-ce que c’est cette force immédiate du sens qui vous a jusqu’à présent empêché de mettre en musique des textes coréens ?

Oui, je connais et comprends trop bien cette langue pour pouvoir m’en servir. Je n’ai d’ailleurs toujours pas trouvé de texte adéquat en coréen. Mes goûts ont aussi beaucoup évolué depuis que je vis en Europe : je vis et pense autant en allemand qu’en coréen, ce qui n’est pas sans influence sur mon rapport à ma langue maternelle. En revanche, j’envisage d’écrire un jour un théâtre musical pour un ensemble proche de celui utilisé dans Gougalōn. Je devrais alors rédiger les textes moi-même, en coréen, pour des chanteurs coréens.

N’est-il pas délicat de plaquer la technique vocale européenne qu’est le chant lyrique sur des textes coréens ?

Bien sûr, il faudrait pour cela que je refonde en profondeur mon langage musical. Si vous prenez le pansori, forme traditionnelle de la musique coréenne, c’est absolument parfait, et cela convient comme un gant à cette langue. A côté, ma musique, en l’état actuel des choses ne peut être que fondamentalement inadaptée.

Un autre protagoniste de votre musique est l’orchestre symphonique

Il est vrai que j’ai beaucoup écrit pour orchestre ces dernières années, mais je souhaiterais faire une pause. La pièce pour l’Orchestre national de France sera donc la dernière avant un moment. Je voudrais me concentrer sur d’autres projets, notamment un opéra pour la Hamburgische Staatsoper.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce nouveau projet ?

Je me suis inspirée de la vie du scientifique autrichien Wolfgang Pauli, sorte de génie de la physique quantique, au profil ambivalent : professeur réputé le jour, et buveur débauché la nuit. Il entretint une correspondance abondante avec Carl Gustav Jung, cherchant dans la psychiatrie un degré supplémentaire de connaissance. Je vois la relation entre ces deux géants comme un pacte méphistophélique entre un physicien souhaitant formuler une Théorie du Tout, et un psychiatre à la recherche de reconnaissance scientifique.

Ce sera, après Alice in Wonderland, votre deuxième opéra. Votre musique donne pourtant l’impression permanente d’être un opéra sans paroles.

Je suis en effet toujours sensible à la dramaturgie. Des œuvres telles que mon Double concerto pour piano et percussion racontent toujours une histoire, aussi abstraites soient-elles. Je ne peux pas m’empêcher de penser ma musique comme un flux d’émotions.

Vos œuvres cultivent le paradoxe d’une musique légère et pleine d’esprit, cachant un métier exigeant, mais aussi une forme de tragique.

C’est tout à fait cela. Prenez Cantatrix sopranica : c’est une pièce qui peut paraître légère et amusante en surface, mais il ne s’agit que de sarcasme. J’ai écrit cette pièce à la mort d’une amie très proche, me plongeant dans une dépression épouvantable. C’est la distance vis-à-vis de ce que je fais et de ce que je vis qui m’a donné cet humour noir, et qui m’a permis de terminer la pièce.

Cette ambivalence entre tragique et humour, on la trouve chez Perec, qui est à la source du texte de Cantatrix sopranica.

Ou chez Ligeti, qui partage avec Perec un sens aigu de l’humour cachant un drame familial et personnel. C’est à mon sens la raison pour laquelle il se refusait tout sentimentalisme romantique en musique comme en privé. Mais sa musique et sa personnalité sont d’un charisme extraordinaire.

Nous disions que votre musique était aussi forte d’un métier exigeant. Les idées ne font pas tout ?

Bien sûr, la clarté de pensée est une étape importante, mais elle ne se suffit pas à elle-même. Il faut pouvoir coucher ces idées sur le papier, et dans ce cas, il en va pour nous comme pour les pianistes ou les violonistes : il faut travailler, sans méthode, en faisant confiance à ses oreilles et à son esprit critique. C’est un apprentissage long et pénible, mais c’est le seul possible. Son pire ennemi est la vanité, qui vous aveugle et vous empêche de progresser.

 

Propos recueillis en allemand le 2 février 2022 à Paris. Toute la programmation du Festival Présences est à retrouver sur le site de Radio France.

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