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30 septembre 1863 : Berlioz pêche une dernière perle

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30 septembre 2023
Il y a 160 ans, Georges Bizet crée ses Pêcheurs de perles

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Début 1863, Georges Bizet a à peine 24 ans. Lauréat du Prix de Rome en 1857, il est rentré de son séjour de trois ans en Italie, au cours duquel il avait bien essayé de composer un nouvel opéra (Don Procopio), une ouverture (La Chasse d’Ossian) perdue, et un opéra-comique (La Guzla de l’émir) tout aussi perdu, le cœur ne semble pas y être. Le jeune compositeur, par ailleurs pianiste virtuose, tâtonne, il hésite. Il s’essaie bien timidement à de la musique instrumentale, mais il ne pense qu’au théâtre. Il s’escrime à écrire un grand opéra autour de la figure du tsar Ivan IV, mais n’avance pas.

Alors, en mars 1863, lorsque le patron du Théatre-Lyrique, Léon Carvalho, lui propose de composer un opéra pour la fin septembre suivante, Bizet ne se sent pus de joie. Cette fois, il ne doit pas laisser passer sa chance. Il va travailler pour la première fois avec deux librettistes bien connus sur la place de Paris : Eugène Cormon, qui co-écrit nombre de livrets et qui dirige la scène à l’Opéra de Paris ; et Michel Carré, qui délaisse pour l’occasion son partenaire habituel Jules Barbier.

Ils choisissent de s’inspirer non pas une pièce de théâtre, comme si souvent, mais un ouvrage de géographie, L’Ile de Ceylan et ses curiosités naturelles, dû à Octave Louis Marie Sachot, explorateur qui a déjà écrit à cette date sur la Mer du Nord ou Madagascar. De quoi bâtir un Orient de pacotille et y coller une intrigue des plus communes, que les critiques descendront en flamme.

Bizet, lui, n’est pas Rossini. Il ne compose pas à la vitesse de l’éclair. Les quatre petits mois qu’il a devant lui l’obligent, tout comme Rossini d’ailleurs, à piocher dans ses partitions précédentes, en particulier dans l’opéra qu’il est en train d’écrire, Ivan IV. Au départ, il pense avec ses librettistes appeler cette nouvelle œuvre Leila, avant de choisir le titre définitif Les pêcheurs de perles, sans doute en écho à une œuvre précédente des deux librettiste, les Pêcheurs de Catane. On renonce aussi aux dialogues parlés initialement prévus, passant ainsi d’un opéra-comique à un opéra.

Le soir de la première, voici 160 ans, le public accueille favorablement la nouvelle œuvre de ce jeune compositeur si talentueux. Mais la critique voue immédiatement livret et partition tout ensemble aux gémonies, non sans railleries blessantes. Un homme, pourtant, va prendre la défense de ces Pêcheurs de perles, qui restera à l’affiche pour 18 représentations. Cet homme, très respecté, c’est Hector Berlioz. Pour cet anniversaire, voici l’intégralité de ce qu’il écrit le 8 octobre suivant dans la revue :

« Nous sommes dans l’Inde. Une peuplade de pêcheurs de perles imagine de se donner un chef. Un robuste gaillard a la confiance générale, et c’est sur lui que tombe le choix de la majorité. « Sois notre chef ! Nous t’obéirons, nous le jurons ! » Le nouvel élu est peu désireux de l’honneur qu’on veut lui faire, pourtant il accepte. Le voilà chef. Un autre personnage exerce encore dans la peuplade une influence extraordinaire : c’est une jeune fille mystérieuse dont l’emploi est d’attirer sur les travaux sous-marins des pêcheurs de perles la bénédiction de Brahma. Mais elle doit rester vierge, toujours voilée, et ne pas laisser s’éteindre le feu sacré qu’elle est chargée d’entretenir, sous peine d’être enterrée vivante, comme les vestales de Rome, comme les vierges du soleil du Pérou. Or voici venir un beau jeune homme, un ancien ami du chef, qui le reconnaît et l’embrasse. Leila, la jeune vestale, assiste à cette scène de reconnaissance, et son trouble devient manifeste en écoutant la voix de Nadir, le nouveau venu. Celui-ci, de son côté, examine la jeune fille qui, levant furtivement un coin de son voile, laisse entrevoir son visage. Nadir la reconnaît.  » O ciel ! c’est bien lui ! — O ciel ! c’est bien elle !  »

Les deux jeunes gens se sont aimés autrefois ailleurs. En se retrouvant ainsi à l’improviste, ils sentent leur amour redoubler. Mais le chef, lui aussi, aime Leila, et le voilà qui commence à bouillonner de jalousie. Il épie son ami. Un soir que Leila, avec son réchaud allumé à côté d’elle, bénissait la mer du haut d’un promontoire élevé, Nadir s’avise de venir chanter à ses pieds. Elle l’entend, elle répond, elle s’approche ; il vont s’aborder, quand un coup de fusil tiré sur Nadir le fait disparaître. Il n’est pourtant pas mort ; on l’a manqué. On l’a manqué, oui, mais les gardes du chef l’ont entouré et fait prisonnier. Il est atteint et convaincu d’avoir séduit Leila ; le conseil des sages s’assemble, et les deux amants sont condamnés à mort. Leila sera enterrée vive ; Nadir sera brûlé vif. Déjà voilà le pauvre jeune homme attaché, non dessus, mais contre un petit bûcher que surmonte la statue de Brahma. Une foule de femmes viennent danser en rond autour de lui. On va l’allumer, quand Leila, tirant de son sein un collier de perles, le jette aux pieds du chef. Celui-ci le reconnaît pour un don fait autrefois par lui à une jeune fille qui lui avait sauvé la vie ; cette jeune fille est devant ses yeux, c’est Leila ! Une héroïque reconnaissance s’empare aussitôt de son cœur.  » Qu’on détache le prisonnier ! crie-t-il à la peuplade, retirez-vous ! — Il faut qu’il meure ! Nous voulons le brûler. — Obéissez, je l’ordonne, vous avez juré de m’obéir. Je suis votre chef !  » Les Indiens obéissent et se taisent, mais non sans murmurer.

Resté seul avec les deux amants, le chef se sent devenir de plus en plus généreux.  » Tu aimes Leila, dit-il à Nadir, tu es aimé d’elle. Leila m’a sauvé d’un danger terrible, je suis heureux de pouvoir lui prouver ma reconnaissance en vous sauvant tous les deux. Mais partez au plus vite, je ne pourrais bientôt plus contenir la fureur populaire, allez dans une autre patrie cacher votre bonheur.  » Nadir et Leila prennent aussitôt la fuite sans se le faire dire deux fois, et le chef s’arrange ensuite comme il peut avec ses enragés Indiens.

La partition de cet opéra a obtenu un véritable succès ; elle contient un nombre considérable de beaux morceaux expressifs pleins de feu et d’un riche coloris. Il n’y a pas d’ouverture, mais une introduction chantée et dansée pleine de verve et d’entrain. Le duo suivant :  » Au fond du temple saint « ,est bien conduit et d’un style sobre et simple. Le chœur qui se chante à l’arrivée de Leila a paru assez ordinaire ; mais celui qui le suit est au contraire majestueux et d’une pompe harmonique remarquable. Il y a beaucoup à louer dans l’air de Nadir, avec accompagnement obligé des violoncelles et d’un cor anglais ; Morini, d’ailleurs, l’a chanté d’une façon délicieuse. Citons encore un joli chœur exécuté dans la coulisse, un passage à trois temps dans lequel un solo de violon produit un effet original. J’aime moins l’air de Leila sur la montagne ; il est accompagné d’un chœur dont le rythme est de ceux qu’on n’ose plus écrire aujourd’hui. Une autre air de Leila, avec solo de cor, est plein de grâce ; l’intervention d’un groupe de trois instruments à vent, supérieurement amenée et ramenée, y produit un effet d’une ravissante originalité. Il y a de l’ampleur et de beaux mouvements dramatiques dans le duo entre Nadir et Leila :  » Ton cœur n’a pas compris le mien « . Je reprocherai seulement à l’auteur d’avoir un peu abusé dans ce duo des ensembles à l’octave. L’air du chef, au troisième acte, a du caractère ; la prière de Leila est touchante ; elle le serait davantage sans les vocalises, qui, à mon sens, en déparent la fin.

M. Bizet, lauréat de l’Institut, a fait le voyage de Rome ; il en est revenu sans avoir oublié la musique. A son retour à Paris, il s’est bien vite acquis une réputation spéciale et fort rare, celle d’un incomparable lecteur de partitions. Son talent de pianiste est assez grand d’ailleurs pour que, dans ces réductions d’orchestre qu’il fait ainsi à première vue, aucune difficulté de mécanisme ne puisse l’arrêter. Depuis Liszt et Mendelssohn, on a vu peu de lecteurs de sa force. Mais, sans doute, on l’eût comme à l’ordinaire claquemuré dans cette spécialité, sans l’intervention bienveillante de M. le comte Walewski et la subvention léguée au Théâtre-Lyrique par cet ami des arts au moment où il quittait le ministère. Les cent mille francs dont M. Carvalho peut maintenant disposer annuellement lui donnent courage, et il ne recule plus devant les dangers que la plupart des prix de Rome passent pour faire courir aux directeurs des institutions musicales. La partition des Pêcheurs de perles fait le plus grand honneur à M. Bizet, qu’on sera forcé d’accepter comme compositeur, malgré son rare talent de pianiste lecteur.

Morini, le gracieux ténor, a chanté le rôle de Nadir en habile chanteur et en musicien consommé. Sa voix est douce et flexible, et il sait faire une usage très heureux des sons de tête, qu’il ne prodigue pas, et de la voix mixte qu’il emploie toujours à propos. Ismaël, qui débutait ce soir-là, est un artiste de beaucoup de talent ; il a cherché, on le voit, à remplir en province ce qu’on appelle en France les Martins, pour indiquer une voix de baryton qui emploie souvent les sons de tête et quelquefois les notes graves des vraies basses. Il a du style, du feu, mais une tendance à chanter un peu haut, contre laquelle il doit se tenir en garde. Mlle de Maesen a bien réussi, malgré les restes d’un rhume qui l’avait tenue éloignée du théâtre pendant plus de dix jours. Sa voix a de la force et beaucoup de justesse : elle anime bien la scène, et sa vocalisation, sans être très facile, suffit à l’exécution des traits, qui ne sont pas d’une grande complication. Mlle de Maesen est une excellent acquisition pour le Théâtre-Lyrique. Il y a encore dans les Pêcheurs de perles un petit rôle de brahmane que Guyot (une vraie basse) chante avec soin et d’une façon très musicale.

Avant la première représentation des Pêcheurs de perles, dont le succès a été brillant, Monjauze en avait obtenu un autre très grand dans la Statue, de M. Reyer, où la gracieuse Mlle Reboux l’avait bien secondé, mais en chantant trop haut encore. »

Le hasard voudra que cet article soit le dernier que Berlioz écrira pour le Journal des Débats et il sera pour encourager ce jeune compositeur, lucide sur son talent véritable et sourd aux sarcasmes de ses collègues. L’œuvre, cependant, mettra du temps à s’imposer. Elle est aujourd’hui la seule partition de Bizet jouée régulièrement dans les opéras du monde, en dehors de l’insurpassable Carmen.

Voici la célébrissime romance de Nadir, dans laquelle Berlioz voyait « tant de choses à louer », par l’un de ses tout meilleurs interprètes, Alain Vanzo, simplement parfait.

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