Créée au Théâtre San Carlos de Lisbonne en 1826, composée huit ans avant en 1818, l’Adina de Rossini est une turquerie comme le XVIIIe siècle en était friand, avec calife tyrannique mais amoureux transi et belle retenue au sérail contre son gré. Là où dans L’Italiana in Algeri Rossini déployait en 1813 un irrévérencieux humour irrésistible, Adina creuse une veine plus sérieuse, et si l’auditeur se prend à sourire, c’est des incongruités d’un livret peu inspiré. Là, et dans sa brièveté sans doute peu commode pour les programmateurs de nos maisons d’opéra, se trouve sans doute la raison de l’oubli à peu près complet d’Adina, jamais reprise entre 1826 et 1963. Même Stendhal, si amateur du Pesarais qu’il n’hésitait pas à inventer sa présence à quelques représentations mémorables, n’osent pas prétendre l’avoir vu, n’en faisant pas du tout référence dans sa Vie de Rossini. Et, avouons, malgré notre amour partagé pour Rossini, que Stendhal n’a pas manqué grand-chose. Malgré quelques beaux passages, Adina est bien une œuvre très mineure, dont la partition ne partage pas les audaces formelles et la verve inventive des autres compositions de Rossini à la même période.
Malgré tout, puisque reprogrammée au Rossini Opera Festival en 2018 et maintenant disponible en DVD, le lecteur pourra se faire son propre avis sur Adina. Redonnons l’intrigue en un mot : Adina, a été enlevée par un calife, frappé par la ressemblance de l’esclave avec une femme qu’il a aimé dans sa jeunesse. L’intrigue se déroule le jour fixé par lui pour leurs noces, tandis que Selimo, amant d’Adina introduit dans le sérail sous un déguisement de jardinier projette de la délivrer. La production que propose Rosetta Cucchi, metteuse en scène habituée du festival, est colorée, organisée autour d’une pièce-montée faisant office de demeure à Adina et au calife. Une fois passée la surprise du décor, le spectacle tourne pourtant un peu à vide, la direction d’acteurs restant sommaire et le tragique des situations, déjà assez difficilement crédible, n’étant guère soutenu par une atmosphère si décalée. Heureusement, dans la fosse, Diego Matheuz dirige avec toute l’énergie nécessaire un Orchestra Sinfonica Gioacchino Rossini bien inspiré.
Sur scène, le festival réunit une jolie distribution, avec à sa tête un duo de chanteurs jeunes alors, qui ont bien tenu leurs promesses depuis. Notons d’abord le très bon, quoique discret, Mustafà de Davide Giangregorio, sorte de Fiorillo tout droit sorti du Barbiere di Siviglia, bien chantant et maîtrisant parfaitement l’art du récitatif comique outré. Dans le rôle du calife, Vito Priante fait preuve d’une belle assurance, possédant toute la morgue et l’autorité du tyran, bien servi par une partition qui le met très en valeur. Au vu des applaudissements, le charisme du chanteur devait faire son effet à la scène, mais le DVD ne le sert pas autant et avouons avoir trouvé sa vocalisation un peu brouillonne et son vibrato un tantinet trop large. Le Selimo de Levy Sekgapane, en revanche, est charmant. La voix est légèrement nasale, mais d’une agilité confondante. Son aigu crâne rappelle un jeune Juan Diego Flórez, avec un timbre plus clair. Très à l’aise dans son air « Giusto ciel », dont la cabalette élégante et ornée lui va comme un gant, il est tout ce que l’on souhaite chez un contraltino rossinien. Face à lui, Lisette Oropesa, alors un mois à peine avant sa renversante Marguerite de Valois parisienne, fait preuve de toutes les qualités qui en font aujourd’hui l’une de nos plus séduisantes belcantistes : une vocalise tourbillonnante qui paraît aller de soi et un charisme irrésistible. Son Adina est délicieuse, merveilleuse dans un « Fragolette fortunate » à l’aigu facile et fruité, excellente dans le tragique frénétique de la scène « Dov’è son ? Ancor respiro ?», où elle croit à la mort de son amant. Quelles envolées vers l’aigu, et quel trille impeccable, sans fin apparente ! Quel dommage, que la partition, avare en ensemble, ne nous donne pas de duo soprano/ténor pour ce couple de chanteurs véritablement excitants.
Malgré une mise en scène passe-partout et une partition assez pauvre, cette Adina vaut donc le coup-d’œil, ne serait-ce que pour la très belle performance de Lisette Oropesa dans le rôle-titre.