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Brandon Jovanovich, Enée providentiel !

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Interview
24 janvier 2019
Brandon Jovanovich, Enée providentiel !

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Détails

Aujourd’hui, venu à la rescousse suite à de multiples péripéties de distribution, Brandon Jovanovich est Énée à l’Opéra Bastille. Hier, il était notamment  Hermann de La Dame de Pique à Salzbourg, Lohengrin à Berlin, Siegmund à San Francisco, Don José à Los Angeles tout en faisant ses débuts à Covent Garden en Sergei de Lady Macbeth of Mtsensk. Demain, il sera Florestan dans Fidelio, il chantera le rôle-titre de Parsifal à Berlin, le Prince dans Rusalka à Vienne…

Lors d’une conférence au Collège de France le 8 novembre dernier, Tcherniakov avait créé le suspense en dévoilant, extraits vidéos à l’appui, les chemins qu’il emprunte habituellement pour débusquer les motifs cachés, voire inconscients, des personnages qu’il met en scène. Qui donc mieux que cet Enée passé sans transition de la sage et dispendieuse production de David McVicar  à la vision diaboliquement décalée du metteur en scène russe aurait pu nous donner concrètement et à chaud quelques clés sur ses méthodes de travail ?


Comme Énée à Carthage, vous êtes arrivé à Paris en sauveur. A-t-il été difficile de passer en si peu de temps de l’univers de  David McVicar à la vision  décalée de Tcherniakov ?

Dmitri voit les choses d’une façon totalement différente. Ce qui a été très difficile pour moi, c’est que j’avais déjà chanté le rôle il y a deux ans à Chicago et que je venais juste de le chanter à Vienne. Heureusement l’histoire ne changeait pas (rire). La mise en scène de McVicar était très claire, très traditionnelle. Dmitri, lui, est très directif dans les moindres détails. Il s’acharne à expliquer exactement l’idée qu’il veut que le chanteur transmette. Pour lui, le personnage voit ce qu’il ressent. Alors se conformer à ce qu’il demande, en accord avec la musique, tout en conservant son propre point de vue est extrêmement compliqué. Il veut toujours trouver un angle différent. C’est un immense défi, mais j’aime relever les défis parce que ça me fait grandir !

Vous avez encore besoin de grandir ?

(Éclat de rire : Jovanovich mesure environ 2 mètres) Sérieusement, Dmitri est vraiment super ! Je serais heureux de le retrouver sur un autre opéra. J’aime la façon dont il dirige parce que j’aime approfondir le travail d’acteur.

Tcherniakov affirme « S’il y a de l’amour, il n’y a pas de trahison ». Êtes vous d’accord ?

Je vois ce qu’il veut dire par-là. Il a sa propre vision des Troyens. D’abord, il transpose l’action à  la fin du XXe ou au début du XXIe siècle. Pour lui, le fameux cheval n’existe pas. C’est une manipulation d’Énée. Troie n’est pas un royaume heureux, c‘est une dictature. Tout le monde s’y plaît, sauf Énée. Alors qu’il est veuf, il pense toujours à son épouse et il continue à la « voir ». Celle-ci est d’ailleurs représentée sur scène dans une robe jaune. Pour Dmitri, Énée est un traître ;  il tente de manœuvrer pour écarter du trône Astyanax (fils d’Hector et de sa veuve Andromaque) au bénéfice de son propre fils Ascagne. Quand on interprète Enée, cela donne au rôle une psychologie totalement différente. C’est très déboussolant. Ensuite, Tcherniakov y va carrément. Carthage n’est plus le nom d’une « fière cité », mais celui d’une clinique psychiatrique. Voilà sûrement un grand sujet de débat qui aura ses détracteurs et ses défenseurs. (Grand éclat de rire). Oui, même pour moi, qui suis Énée, c’est vraiment bizarre. Surtout quand il découvre Didon dans une robe jaune, pareille à celle de sa défunte… Énée est très troublé. Est-ce sa femme ou une autre ? C’est vrai qu’en amour, la superposition des objets est fréquente. C’est  subtil, difficile à faire passer, mais bien observé. Par la suite, la confusion persiste. Didon elle-même ressent cette dualité. Elle lutte entre son attirance pour Énée et la fidélité due à son époux disparu. Au moment où il chante « Debouts,Troyens », Énée est sous la pression de la relation amoureuse ; il ne répond pas à l’appel des dieux, il ressent le désir masculin de repartir. Et, c’est dans son esprit que résonne le fameux « Italie ! Italie ! ». Didon aussi à des problèmes psychologiques conflictuels. Intéressant non ?

Venons-en à votre carrière. Comment êtes-vous devenu chanteur d’opéra ?

Quand j’étais petit, j’habitais dans le Montana. Ma mère aimait jouer du piano. On chantait tout le temps. J’ai commencé par chanter dans le chœur à l’école. Je jouais aussi au football américain. Après, j’ai obtenu une bourse pour aller à l’Université en Arizona. Là, j’ai décroché mon diplôme principal en musique et le deuxième en art dramatique. Puis, je suis allé à New York pour me faire connaître. Les premières années, j’ai chanté dans des comédies musicales ou des opérettes comme Le Mikado de Gilbert et Sullivan. J’avais du succès et mon nom dans le New York Times. Pendant une dizaine d’années, pour gagner ma vie, j’ai travaillé comme serveur extra en smoking blanc, je passais des plateaux d’argent avec champagne et  petits fours aux invités de réceptions sélect. Peu à peu, j’ai rencontré des gens ; j’ai fait des concours de chant et tenté des auditions. On m’a dit que j’avais une voix puissante, trop puissante pour chanter dans de petites salles. J’ai essayé différentes choses et lentement je me suis tourné de plus en plus vers l’opéra. Ma carrière a vraiment décollé en 2000. J’ai eu de bons professeurs et surtout d’excellents coachs. J’ai toujours continué à faire du sport pour garder la forme et pouvoir faire sur scène tout ce qu’on pourrait me demander.

Vous êtes à l’aise avec la langue française réputée très difficile à chanter, on vous comprend parfaitement. Est-ce un don ?

Sans doute… (Grand rire), je suis à l’aise avec le son et la mélodie des mots – que ce soit en français, en allemand, en italien, en russe, en tchèque… on me comprend. Mais c’est aussi beaucoup, beaucoup de travail.

Quels sont vos cinq rôles préférés ?

Oh my gosh ! En premier Don José. C’est un rôle fantastique que j’ai beaucoup fait. J’adore l’histoire, la musique, le personnage. Dans Wagner, j’aime surtout Siegmund de La Walkyrie parce qu’il n’abandonne jamais. J’aime aussi chanter Cavaradossi dans Tosca. Ensuite, c’est Hoffmann. Quel personnage ! Quelle belle musique ! Enfin, c’est Peter Grimes de Benjamin Britten. Je l’ai chanté à Naples et que j’ai vraiment adoré.

Et quels sont les nouveaux rôles que vous êtes impatient de chanter ?

Parsifal que je vais bientôt aborder à Berlin au Deutsche Oper ; Canio dans Pagliacci à cause de l’intérêt du personnage ; Samson avec Garanca en Dalila et aussi dans plusieurs productions avec différentes mezzo-sopranos ; bientôt Otello… Et aussi – pour celui-là il faudra attendre dix ans peut-être – pourquoi pas Tristan ?

Durant votre premier long séjour à Paris quand vous avez débuté ici-même en 2016 dans Les Maîtres chanteurs, vous aviez, dans une interview, déclaré l’atmosphère de la ville « merveilleuse et apaisante ». Diriez-vous de même aujourd’hui ?

Peut-être pas pour les Parisiens qui y vivent.  Mais pour moi, rien n’a changé. J’adore me balader, m’arrêter à une terrasse pour prendre un café l’après-midi. Les gens sont tellement détendus. Pour moi, Paris est toujours une ville très relaxante ! (Dernier éclat de rire encore plus sonore).

Propos recueillis le 22 janvier 2019

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