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BRITTEN, Gloriana — Madrid

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Spectacle
14 avril 2018
Tardive, mais éclatante revanche

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes de Benjamin Britten

Livret de William Plomer d’après Lytton Strachey

Créé à Covent Garden le 8 juin 1953

Détails

Mise en scène

David McVicar

Décors

Robert Jones

Costumes

Brigitte Reiffenstuel

Lumières

Adam Silverman

Chorégraphie

Colm Seery

Direction du chœur

Andrés Máspero

Direction du chœur d’enfants

Ana González

Elisabeth I

Anna Caterina Antonacci

Robert Devereux

Leonardo Capalbo

Frances

Paula Murrihy

Lord Mountjoy

Duncan Rock

Penelope

Sophie Bevan

Sir Robert Cecil

Leigh Melrose

Sir Walter Raleigh

David Soar

Henry Cuffe

Benedict Nelson

A Lady-in-Waiting

Elena Copons

A Blind Ballad-Singer

James Creswell

The Recorder of Norwich

Scott Wilde

A Housewife

Itxaro Mentxaka

The Spirit of the Masque

Sam Furness

The Master of Ceremonies

Gerardo López

Coro y Orquesta Titulares del Teatro Real

Pequeños Cantores de la JORCAM

Direction musicale

Ivor Bolton

Madrid, Teatro Real, samedi 14 avril, 20h00

C’est Philippe II qui doit se retourner dans sa tombe ! Non contente d’avoir décapité sa cousine et ruiné son Invincible Armada, Elizabeth I est devenue l’héroïne d’un opéra grandiose et triomphe à Madrid même, sous les acclamations du public du Teatro Real. Avouez que la coïncidence ne manque pas de piquant. En réalité, la création espagnole de Gloriana pourrait bien revêtir une dimension historique car le spectacle conçu par David McVicar et Ivor Bolton réussit à en extraire la substantifique moelle et à en libérer tout le potentiel théâtral. Soixante-cinq ans après voir vu le jour, cet « enfant rejeté » comme l’appelait Britten (« slighted child »), rarement donné en dehors du Royaume-Uni, prend ainsi une tardive mais magnifique revanche qui conduira peut-être enfin à sa réhabilitation et à sa diffusion.

L’échec de Gloriana en 1953 était sans nul doute couru d’avance. Au-delà des réactions hostiles nourries tant par la jalousie de rivaux que par l’homosexualité et l’antimilitarisme de Britten (émigré aux Etats-Unis pendant la guerre), l’Establishment réuni pour célébrer le couronnement d’Elizabeth II ne pouvait que fustiger ce portrait sans concession et si loin du panégyrique attendu. Le livret de William Plomer montre, certes, le sens du devoir de la souveraine et son abnégation, mais également son orgueil, pour ne pas dire sa vanité, capricieuse. Impardonnable crime de lèse-majesté, il ose dévoiler sa déchéance physique lorsque, avec son amant, nous la surprenons dans l’intimité, sans fard ni perruque. Toutefois, si la partition regorge de beautés, même dans le si décrié divertissement à Norwich, sur le plan dramaturgique, celles et ceux qui s’aventurent à le monter doivent surmonter nombre de difficultés : des protagonistes aux contours sommairement dessinés, à l’exception du rôle principal, et surtout la structure morcelée, voire éclatée de cet ouvrage protéiforme où se mêlent vers et prose, anglais ancien et moderne. David McVicar suscite d’autant plus l’admiration qu’il réussit à fluidifier le discours et, malgré des changements d’atmosphère parfois abrupts, à maintenir sa lisibilité, ce qui n’est pas un mince exploit. Tout est immédiatement en place, juste, limpide et signifiant, l’Ecossais possédant un sens imparable du rythme et le regard d’un cinéaste, plus vif, mobile, moins emphatique et souvent plus nuancé, grâce auquel il parvient à transformer en tableaux vivants et confondants de naturel le huis clos le plus intime, le plus tendu, comme les triomphes et liesses collectives.  

L’évocation, y compris musicale, de l’Angleterre élisabéthaine voulue par Britten et son librettiste (les lute songs, dont le bouleversant « Happy were he could finish forth his fate » écrit sur des paroles originales du comte d’Essex, le mask of Gloriana, les danses du II), rend périlleuse toute tentative de transposition. Le metteur en scène l’a parfaitement compris, mais il ne donne pas davantage dans la reconstitution muséale. McVicar a également la sagesse d’éviter l’anecdote et se concentre sur l’essentiel, nous épargnant ces gesticulations fastidieuses avec lesquelles certains croient devoir occuper en permanence l’esprit du spectateur, en l’occurrence déjà absorbé par un drame à l’écriture touffue. Robert Jones a réalisé un décor unique, plus symboliste que réaliste, dans des tonalités bleu nuit et dorées, dominé par une porte monumentale et les anneaux mobiles d’une manière d’astrolabe géant. Les lumières virtuoses d’Adam Silverman flattent les étoffes, en particulier celles que porte Elizabeth pour lesquelles Brigitte Reiffenstuel s’appuie sur l’iconographie de l’époque, et elles magnifient la prestation des acteurs, installant le climat de chaque scène dont David McVicar saisit la dynamique intrinsèque.


Queen Elizabeth I (Anna Caterina Antonacci) et Robert Devereux (Leonardo Capalbo) © Javier del Real | Teatro Real

Ainsi, fragment de théâtre dans le théâtre, le mask donné pour la Reine à Norwich serait trop long, certains commentateurs craignant d’ailleurs que, à l’image de Robert Devereux, l’auditeur ne s’ennuie et ne décroche. Or, moment de félicité sinon d’ivresse avant la catastrophe, il remplit une fonction importante dans le processus tragique (observée dès L’Orfeo de Monteverdi). Plutôt que de manier les ciseaux, il faut y croire et l’investir. Clin d’œil aux pratiques élisabéthaines, des travestis s’invitent dans la saynète enlevée avec juste ce qu’il faut de légèreté et une naïveté rafraîchissante, mais sans interdire l’émotion. La splendide chanson de l’Esprit du Masque nous révèle le ténor radieux et ductile de Sam Furness (le Novice dans Billy Budd ici même en 2017, après avoir interprété le rôle-titre d’Albert Herring à Toulouse en 2013). Honneur aux comprimarii, pour mettre en exergue la verve savoureuse de James Creswell en Chanteur de balades, lequel semble plus que jamais s’être échappé du Beggar’s Opera, et à la Confidente de la Reine, aux accents si touchants, d’Elena Copons.

Elizabeth, lit-on ici ou là, devrait être confiée à un lirico-spinto, voire à un soprano dramatique. De tels moyens sont-ils vraiment indispensables ? Par ailleurs, il est permis de se demander s’ils ne nuiraient pas à la crédibilité du personnage. Septuagénaire parfaitement saine d’esprit, meneuse d’hommes et croqueuse de jeunes gens comme semble vouloir le souligner David MacVicar en l’entourant de fringants gardes du corps, la soi-disant Reine Vierge n’en doit pas moins affronter les ravages du Temps, un déclin magistralement interprété par Anna-Caterina Antonacci. Elle finit par boiter et tremble de tous ses membres, mais conserve sa dignité et son port de reine jusque dans cet ultime et saisissant monologue où, reflet du dénuement moral et de la solitude où elle se trouve, les mots mêmes perdent leur habillage musical. La richesse des couleurs, la variété des ciselures prime sur le volume quand il s’agit de traduire la complexité d’une telle figure. Entre deux voix et entre deux âges, entre Virna Lisi et Jessica Lange, Anna Caterina Antonacci l’aborde avec un luxe d’intentions infiniment délectable. Tendre et voluptueuse dans les bras de son cher Robin, péremptoire et incisive dans la fureur que déclenche chez elle l’arrogance de Penelope, elle nous fend le cœur dans son dernier et lancinant duo avec l’objet de cet amour impossible et qu’elle doit détruire – thème récurrent chez le musicien britannique, qui n’a pas son pareil pour traduire l’ambivalence des sentiments.


Queen Elizabeth I (Anna Caterina Antonacci) © Javier del Real | Teatro Real

Difficile d’exister à côté d’une cantatrice de cette envergure. Du reste, le comte d’Essex semble avoir un peu moins inspiré Britten que sa royale maîtresse. Alfredo dans La Traviata de McVicar à Genève (2013) puis à Barcelone (2014), Leonardo Capalbo s’impose néanmoins par l’intensité de son jeu et un charisme indéniable, ses lute songs dévoilant un raffinement que des débuts très fougueux et une émission d’abord assez appuyée ne laissaient guère présager. Adversaire puis complice du favori d’Elisabeth, Lord Mountjoy hérite du physique râblé et du galbe élégant de Duncan Rock, familier de l’univers de Britten (Death in Venice au Teatro Real, The Rape of Lucretia, Billy Budd, A Midsummer Night’s Dream) qui tire son épingle du jeu malgré une partie moins développée et peu gratifiante. Notons au passage que cette production madrilène réussit à concilier une distribution de haut niveau et un casting digne des Tudor  ou de Game of Thrones  – détail peut-être frivole, mais ce n’est pas une raison pour bouder son plaisir. Trompée par son mari et humiliée par sa rivale (Antonacci est impayable dans l’épisode du bal où elle subtilise ses trop riches atours), Frances (Paula Murrihy) tend à se replier sur son quant-à-soi tandis que la Penelope de Sophie Bevan (Pamina in loco en 2016) crève l’écran et darde d’insolents aigus avant que son cri de désespoir ne nous glace le sang. Robert Cecil et Walter Raleigh, les éminences grises d’Elisabeth, sont impeccablement servis par Leigh Melrose et David Soar, avec une mention particulière pour les manières insinuantes du premier où affleure déjà Quint (The Turn of the Screw).

Si Gloriana occupe une place unique dans les opéras de Britten, c’est également par l’ampleur sans précédent (et sans suite) des ressources convoquées en 1953 par le compositeur qui, d’ailleurs, ne se limitait pas aux forces vives de Covent Garden. Alors que le corps de ballet devait exécuter les pavane, gaillarde et autre courante jouées au II, sans oublier cette volta que réclame Elizabeth – dont les pas sont ici joliment réglés par Colm SerryGloriana alignait une pléiade de figurants et une maîtrise en plus du chœur de l’Opéra pour donner à entendre la voix des « boys of Essex ». De la délicate complainte a cappella des suivantes d’Elizabeth aux tutti exaltés en passant par l’impitoyable vox populi qui exige la mort du traître, la performance du Coro Titular del Teatro Real n’appelle que des louanges et contribue à la réussite de cette production. Il faut saluer le travail de préparation d’Andrés Máspero comme celui d’Ana González avec les Pequeños Cantores de la JORCAM.

Fédérer une équipe aussi vaste serait, faut-il le dire, impossible sans une parfaite connexion entre la fosse et le plateau, le chef et le metteur en scène et, de fait, une même urgence, une même intelligence quasi organique de l’œuvre les anime et forge un geste unique, musico-dramatique. Directeur musical de l’Orquesta Titular del Teatro Real depuis 2014, Ivor Bolton sait en tirer le meilleur pour rencontrer les exigences de la partition. Il réussit à tendre l’arc tragique, maîtriser ses climax et ses élans mélodramatiques, mais également ses ruptures et sa déroutante diversité stylistique, de la poésie néoélisabéthaine aux déflagrations si modernes de cuivres et de percussions. Il assume la pompe, la restitue dans sa plénitude en évitant l’écueil de la raideur, l’innervant ou glissant avec une habileté remarquable cette ombre fugitive et menaçante par laquelle Britten instille le doute et suggère l’ambiguïté des apparences. Cette nouvelle production de Gloriana a été montée en coproduction avec l’ENO et le Vlaamse Opera, qui l’auront vraisemblablement programmée au cours d’une prochaine saison. En outre, elle a été filmée et pourrait donc être immortalisée en DVD, surclassant aisément les versions, fort décevantes, déjà disponibles sur ce support

 

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Créé à Covent Garden le 8 juin 1953

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Robert Jones

Costumes

Brigitte Reiffenstuel

Lumières

Adam Silverman

Chorégraphie

Colm Seery

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Elisabeth I

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Paula Murrihy

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