« Vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épine et sans parfum », assène Octave à la trop coquette Marianne. Au-delà de cette réplique culte transparaît la volage et libre George Sand déchirant le cœur fragile d’Alfred de Musset. Que devient l’œuvre théâtrale transposée par Henri Sauguet pour la scène lyrique, avec ses personnages faibles et torturés, son intrigue peu novatrice, et son « marivaudage » tragique ? Fort curieusement, l’opéra-comique créé au festival d’Aix-en-Provence en 1954 oscille plus que la pièce entre comédie et drame, mais les personnages n’y gagnent guère en consistance. La qualité première de la production présentée ce soir est d’avoir trouvé, grâce à l’excellente mise en scène d’Oriol Tomas, un juste équilibre entre ces diverses composantes.
Les conditions de préparation de cette production ont été évoquées par Laurent Bury dans son compte rendu des premières représentations à Reims avant une longue tournée à travers la France et en Suisse*. Il est certain qu’une solide préparation de deux distributions différentes composées de jeunes chanteurs, avec des possibilités d’échanges de certains d’entre eux de l’une à l’autre, rend l’ensemble extrêmement cohérent. L’équipe canadienne des décorateurs (Patricia Ruel et Laurence Mongeau) a créé une vision onirique des choses, avec de fort beaux éclairages d’Étienne Boucher, un peu comme si Peynet s’était promené dans la galerie Umberto Ier de Naples. Mais là s’arrête la comparaison ; la fluidité du spectacle qui en découle est particulièrement propice à l’enchaînement constant des scènes et aux entrées et sorties des protagonistes, et au total fort efficace.
La distribution de ce soir est quasiment sans faille. Bien sûr, si l’on fait référence à la créatrice du rôle de Marianne, Graziella Sciutti (et à Lily Pons qui avait été prévue à l’origine), on regrettera qu’Aurélie Fargues n’ait pas une voix aussi légère et aérienne. Mais elle construit au fil de la représentation un personnage qui se tient, sans jouer les femmes fatales irresponsables, et donc sans paraître vraiment antipathique. Marc Scoffoni (Octave) et Cyrille Dubois (Cœlio) sont, dans des registres différents, parfaitement complémentaires ; à la belle voix de baryton et à l’autorité du premier répond la voix de ténor parfaitement menée du second, qui ajoute au personnage un côté rêveur et immature encore accentué par la mise en scène. Une mère de grande prestance et à la fort belle voix de mezzo (Julie Robard-Gendre), un Tibia, une duègne et un chanteur de sérénade réjouissants (Carl Ghazarossian, Jean-Vincent Blot et Tiago Matos), un aubergiste fort amusant dans sa parodie de chanteur napolitain nous renvoyant aux plus beaux jours du Châtelet (Xin Wang). Seul Thomas Dear en Claudio, malgré toutes ses qualités vocales et scéniques, est moins crédible en mari trompé, du fait de son jeune âge.
L’orchestre de Massy, souvent un peu trop fort, est très bien dirigé par le jeune Gwennolé Rufet, second chef permanent de la production, qui insuffle à la partition un élan irrésistible, et maintient un bel équilibre musical et rythmique entre la fosse et le plateau. Serons-nous pour autant convaincus de l’intérêt de cette œuvre très datée, qui apparaît plus comme une curiosité que comme un chef d’œuvre universel ?
Opéra-comique en deux actes d'Henri Sauguet
Livret de Jean-Pierre Grédy
Créé le 20 juillet 1954 au festival d’Aix-en-Provence
Mise en scène
Oriol Tomas
Décors
Patricia Ruel
Costumes
Laurence Mongeau
Lumières
Étienne Boucher
Marianne
Aurélie Fargues
Hermia
Julie Robard-Gendre
Octave
Marc Scoffoni
Cœlio
Cyrille Dubois
Claudio
Thomas Dear
Tibia
Carl Ghazarossian
L’aubergiste
Xin Wang
Le chanteur de sérénade
Tiago Matos
La duègne
Jean-Vincent Blot
Orchestre de l’Opéra de Massy
Direction musicale
Gwennolé Rufet
Opéra de Massy, vendredi 5 décembre 2014, 20 h
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