La discographie puccinienne est généreuse, du moins en ce qui concerne ses opéras les plus populaires. Face aux nombres de versions, le choix s’avère souvent difficile. Si toute sélection reste discutable, voici quelques enregistrements qui se posent en référence.
Le Villi (Opéra en deux actes, créé à Milan le 31 mai 1884)
Lorin Maazel, National Philharmonic Orchestra – Renata Scotto, Placido Domingo, Leo Nucci… (Sony Classical, 1979)
Le Villi est le premier des dix (ou douze) opéras composés par Giacomo Puccini. Être l’ainé de la famille n’est jamais une sinécure. Générosité mélodique, imagination orchestrale, ampleur vocale… : la partition contient tous les ingrédients des chefs d’œuvre à venir, le génie dramatique en moins. Trois grands chanteurs pucciniens – Renata Scotto, Placido Domingo, Leo Nucci – et un chef d’orchestre incontournable dans ce répertoire – Lorin Maazel – ne sont pas de trop pour entraîner malgré lui Roberto, l’amant infidèle, dans la ronde infernale des Villis.
Alternative : Marco Guidarini, Orchestre Philharmonique de Radio France – Melanie Diener, Aquiles Machado, Ludovic Tézier… (Naive, live 2002)
Edgar (drame lyrique en trois actes, créé à Milan le 21 avril 1889)
Eve Queler, Opera Orchestra of New York – Renata Scotto, Carlo Bergonzi… (CBS, live 1977)
Edgar pour « E Dio ti GuARdi da quest’opera ». Puccini lui-même n’était guère tendre avec sa deuxième tentative lyrique. Comme Le Villi, l’ouvrage ne brille pas par ses qualités dramatiques et comme pour Le Villi, il faut des interprètes émérites si l’on veut revigorer une partition remaniée trois fois. Renata Scotto et Carlo Bergonzi, captés dans le feu de l’action, font partie de ces chanteurs à même de raviver une flamme puccinienne chancelante.
Alternative : Alberto Veronesi, Accademia nazionale di Santa Cecilia – Adriana Damato, Placido Domingo… (Deutsche Grammophon)
Manon Lescaut (Drame lyrique en quatre actes, créé en 1893 à Turin)
Bruno Bartoletti, New Philharmonia Orchestra – Montserrat Caballe, Placido Domingo… (Warner Classics, 1972)
Quelle digue résisterait aux flots déversés par Montserrat Caballe et Placido Domingo dans cet enregistrement de Manon Lescaut. Aux coquetteries belcantistes d’une Manon inépuisable de souffle et superbe de ligne répond l’étreinte fougueuse d’un des Grieux éperonné par le tisonnier de la passion. Conscient des enjeux symphoniques de la partition, Bruno Bartoletti ajoute encore à l’agitation des sentiments. Le duo du deuxième acte est de ceux pour lesquels un âge légal d’écoute est requis.
Alternative : Giuseppe Sinopoli, Orchestra of the Royal Opera House Covent Garden – Mirella Freni, Placido Domingo… (Deutsche Grammophon, 1984)
La Bohème (opéra en quatre tableaux, créé à Turin le 1er février 1896)
Herbert Karajan, Orchestre philharmonique de Berlin – Mirella Freni, Luciano Pavarotti… (Decca, 1973)
Il n’est pas question de réchauffement climatique dans le Paris de Karajan. L’orchestre brasille au Café Momus puis grelotte dans le matin glacé de la Barrière d’Enfer. Si l’oreille frissonne et l’œil larmoie, ce n’est pas de froid. Splendides lurons que ces Bohèmes-là. Les illusions de leur jeunesse échouent dans une mansarde digne d’un palais. Mimi est le meilleur rôle de Mirella Freni. Rodolfo n’est jamais aussi idéal que chanté par Luciano Pavarotti. Elle, émouvante sans artifice ; lui, dardant d’aveuglants rayons. Ces deux-là s’aiment d’un amour contre lequel ne peut lutter aucune autre version de la discographie, pourtant généreuse.
Alternative : Riccardo Chailly, Orchestre du Théâtre de la Scala de Milan – Angela Gheorghiu, Roberto Alagna… (Decca, 1999)
Tosca (opéra en trois actes, créé à Rome le 14 janvier 1900)
Vittorio De Sabata, Orchestre du Teatro alla Scala – Maria Callas, Giuseppe Di Stefano, Tito Gobbi… (Warner Classics, 1953)
Maria Callas disait ne pas aimer le rôle de Tosca. Nulle mieux qu’elle n’a pourtant marqué de son empreinte fauve la diva romaine. Nulle n’a mieux tremblé, griffé, rugi et prié la Madone. Intentions, couleurs, relief de la parole puccinienne : nulle ne peut l’égaler. Mais la plus divine des Tosca n’est rien sans un Scarpia et un Mario à la mesure de sa vérité dramatique. Tito Gobbi et Giuseppe di Stefano véhiculent la même évidence, la même urgence, aiguillonnés par la direction souveraine de Vittorio De Sabata. Une référence absolue.
Alternative : Herbert von Karajan, Philharmonique de Vienne – Leontyne Price, Giuseppe di Stefano, Giuseppe Taddei… (Decca, 1962)
Madama Butterfly (opéra en trois actes, créé à Milan le 17 février 1904)
Lorin Maazel, Philharmonia Orchestra – Renata Scotto, Placido Domingo, Ingvar Wixell… (CBS, 1978)
Encore un opéra de Puccini dont la fortune repose sur les seules épaules – ou presque – de la prima donna. A l’acmé de sa maturité artistique, Renata Scotto dépose sur l’autel de la geisha un chant dont la science belcantiste et l’intelligence compensent les fêlures, mieux les transcendent. Voilà Cio-Cio-San plus émouvante que jamais, les ailées plaquée par l’ardeur d’un Pinkerton en rut (Placido Domingo), le thorax épinglé dans la rainure d’une direction d’orchestre chatoyante comme un coucher de soleil sur la baie de Nagasaki (Lorin Maazel).
Alternative : Antonio Pappano, Orchestra dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia – Angela Gheorghiu, Jonas Kaufmann, Fabio Capitanucci… (Warner Classics, 2009)
La fanciulla del West (opéra en trois actes, créé le 10 décembre 1910 à New York)
Zubin Mehta, Orchestra of the Royal Opera House Covent Garden – Carol Neblett, Placido Domingo, Sherill Milnes… (DG, 1976)
Le western lyrique de Puccini cravaché par Zubin Mehta dans un rodéo imagé de sons. Quelle pression dans le saloon, et quel rythme dans l’action ! Carol Neblett est une girl insolente de jeunesse et d’aigus ; Placido Domingo tire plus vite que Randolph Scott dans La Caravane Héroique et Sherill Milnes, qui a grandi dans une ferme au nord de l’Illinois, trouve en Rance un rôle génotypique, idéalement adapté aux rudesses du méchant shérif.
Alternative : Oliviero De Fabritiis, Orchestre de La Fenice – Magda Olivero, Daniele Barioni, Giangiacomo Guelfi… (Myto, live 1967)
La rondine (Comédie lyrique en 3 actes, créée à Monte-Carlo le 27 mars 1917)
Antonio Pappano, London Symphony Orchestra –Angela Gheorghiu, Roberto Alagna… (Warner Classic, 1996)
L’hirondelle fait le printemps lorsqu’on la confie à des voix enamourées : Angela Gheorghiu ensorcelante, songeuse, coquette ce qu’il faut, inquiète ce qu’elle doit ; Roberto Alagna dont la candeur vocale se dissipe dans l’amertume de cette rupture qui fait de La rondine « la Traviata du pauvre » selon une idée injustement reçue. Pouvait-on imaginer meilleur faire valoir que le couple malicieux formé par William Matteuzzi et Inva Mula ? Et meilleure direction d’orchestre que celle d’Antonio Pappano, baguette impressionniste qui peint des atmosphères comme Monet des nénuphars et rend à une partition méjugée la place qu’elle mérite au panthéon puccinien.
Alternative : Ivan Repušić, Münchner Rundfunkorchester – Elena Mosuc, Yosep Kang… (CPO, live 2015)
Il trittico (cycle de trois opéras en un acte – Il tabarro ; Suor Angelica ; Gianni Schicchi – créé à New York le 14 décembre 1918)
Antonio Pappano, London Symphony Orchestra – José van Dam, Roberto Alagna, Angela Gheorghiu… (Warner Classics, 1997)
Réussir à part égale les trois opéras du Trittico serait-il mission impossible ? Il fallut attendre 1962 pour que l’œuvre soit enregistrée dans sa triple intégralité et Antonio Pappano en 1997 pour obtenir une version moins bancale que les six autres du catalogue, qui plus est dans une qualité sonore supérieure. Il tabarro d’un réalisme assumé ; Suor Angelica mystique, délivrée de toute tentation sulpicienne ; Gianni Schicchi un cran en dessous, qui voudrait plus d’ironie et de cruauté pour que le tiercé gagne sans contredit.
Alternative : Lorin Maazel, London Symphony Orchestre – Tito Gobbi, Renata Scotto, Placido Domingo… (Sony, 1976)
Turandot (opéra en trois actes, créé le 25 avril 1926 à Milan)
Francesco Molinari-Pradelli, Orchestra dell’opera di Roma – Birgit Nilsson, Franco Corelli, Renata Scotto… (Warner Classics, 1964)
A princesse de glace, prince d’acier. Les voix conjuguées de Birgit Nilsson et Franco Corelli rendent dispensables toute alternative. Il existe d’autres Turandot à même d’affronter les neiges éternelles de « In questa Reggia », d’autres Calaf empêcheurs de dormir à Pékin. Aucun ne dispose d’une telle insolence de moyens, d’une telle réserve inépuisable de souffle et d’aigu, d’une telle puissance à ébouler la muraille de Chine. Oui, ces deux-là forment une paire invincible, même s’il y a des Liu plus tendres (mais non mieux chantantes) que Renata Scotto et des directions d’orchestre plus épiques que celle de Francesco Molinari-Pradelli. La recherche de qualité sonore oblige à des concessions ; si l’on ne craint pas les grésillements, les enregistrements live de ces deux monstres réunis sont encore plus électrisants.
Alternative : Zubin Mehta, Orchestre du Metropolitan Opera – Birgit Nilsson, Franco Corelli, Mirella Freni… (Living Stage, live 1966)
Et aussi…
Puccini, Messa di Gloria – Antonio Pappano, London Symphony Orchestra ; Roberto Alagna, Thomas Hampson (Warner Classics, 2000)
La seule œuvre liturgique de Giacomo Puccini dans une version somme toute de luxe pour une partition mineure. Composée en 1880 par un apprenti musicien de 22 ans, la Messa di Gloria vaut surtout par les promesses qu’elle contient, notamment l’air pour ténor « Gratias agimus tibi » que Roberto Alagna chante la fleur aux lèvres, tel Rodolfo dans La Bohème.
Angela Gheorghiu, Puccini – Orchestra sinfonica di Milano Giuseppe Verdi, Anton Coppola (Warner Classics, 2004)
Quinze héroïnes dont sept donnent leur nom (ou surnom) à un des douze opéras de Puccini… Heureuses sopranos au pied desquelles le compositeur toscan a déposé suffisamment d’airs pour occuper un album entier. Angela Gheorghiu est à notre connaissance la seule à les avoir tous enregistrés. D’Anna à Turandot, l’exhaustivité importe moins que les reflets d’un chant magnifique dans une voix d’or.
Julia Varady, Puccini, airs d’opéras célèbres – Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, Marcello Viotti (Orfeo, 1993)
Dans les années 1990, le label Orfeo offrait à Julia Varady une série de récitals thématiques dont un récital puccinien à ne pas négliger. Même si le micro ne rend pas entièrement justice à une soprano pyromane à laquelle il fallait la scène pour se consumer, l’engagement sans faille secondé par une voix impétueuse donne vie à une galerie de portraits mémorables.
Riccardo Chailly, Puccini Discoveries – Orchestra Sinfonica Di Milano Giuseppe Verdi, Riccardo Chailly (Decca, 2004)
Un enregistrement à classer au rayon des raretés avec huit premières mondiales dont le finale de Turandot composé par Luciano Berio ainsi que la cantate de jeunesse, « Cessato il suon dell’armi » datée de 1877 et jouée pour la première fois en 2003 !
Placido Domingo, The unknown Puccini – Julius Rudel (Sony Classical, 1989)
Puccini n’est pas un compositeur de salon. Ses mélodies, réunies par Placido Domino et Julius Rudel, tantôt au piano, tantôt à l’orgue, se présentent d’abord comme le laboratoire de ses opéras. Toute ressemblance par exemple entre « Mentia l’avviso » et Manon Lescaut ou « sole e amore » et La Bohème n’est pas purement fortuite. C’est ce qui fait leur intérêt.
Jonathan Tetelman, The great Puccini – Prague Philharmonia, Carlo Rizzi (2023)
Le regard conquérant, la voix solide, l’aigu vainqueur, la nouvelle coqueluche des ténors se mesure aux plus grands airs pucciniens dévolus à sa tessiture et apporte la confirmation, au sein d’une sélection tournée vers le passé, que la relève est assurée.