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BERG, Wozzeck – Lyon

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Spectacle
6 octobre 2024
Vertige

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes (15 scènes)
Musique d’Alban Berg sur un livret du compositeur d’après la pièce de Georg Büchner Woyzeck (1836)
Création à Berlin (Staatsoper) le 14 décembre 1925

Détails

Mise en scène
Richard Brunel

Scénographie
Étienne Pluss

Costumes
Thibault Vancraenenbroeck

Lumières
Laurent Castaingt

Dramaturgie
Catherine Ailloud-Nicolas

Wozzeck
Stéphane Degout

Marie
Ambur Braid

Le Tambour-major
Robert Watson

Le Capitaine
Thomas Ebenstein

Le Docteur
Thomas Faulkner

Andrès
Robert Lewis

Margret
Jenny Anne Flory *

Le Prêtre (1er Apprenti)
Hugo Santos *

Le Ministre (2e Apprenti)
Alexander De Jong *

Le Fou
Filipp Varik *

Un homme
Didier Roussel

L’Enfant de Marie
Ivan Declinand

* Solistes du Lyon Opéra Studio, promotion 2024-2026

 

Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon

Direction des Chœurs
Benedict Kearns

 

Orchestre de l’Opéra de Lyon

Direction musicale
Daniele Rustioni

Opéra National de Lyon, mercredi 2 octobre 2024 à 20

Toute représentation de Wozzeck est un choc : choc musical autant que théâtral, choc psychologique. Souvent qualifiée de véritable « coup de poing », l’œuvre est  d’une concision brutale, qui ne peut laisser personne indifférent.

Pour le spectacle d’ouverture de la saison 2024-2025, le directeur de l’opéra de Lyon, Richard Brunel, propose sa propre mise en scène de ce chef-d’œuvre créé il y a un siècle à Berlin, dans un geste audacieux. Cet opéra, réputé difficile en raison de son écriture qui suspend la tonalité tout en maintenant des passages résolument tonaux, surprend aujourd’hui encore l’oreille de l’auditeur non prévenu. C’est que l’opéra d’Alban Berg a été conçu lors de la découverte par le compositeur, au début du XXe siècle, de l’œuvre posthume de Georg Büchner, cet immense auteur allemand mort très jeune, dont le réalisme social, d’une puissance sans précédent, a semblé à Berg contemporain alors qu’il datait déjà de près d’un siècle. C’est dire la capacité de l’œuvre à traverser le temps, à se réactualiser sans cesse, à être perçue au gré des visions du monde qui se succèdent.

C’est dire aussi la persistance des inégalités, des injustices, du déterminisme social, qui font que l’on peut adhérer aujourd’hui à la transposition opérée dans cette proposition scénique : ici, contrairement à ce que nous dit le livret, Wozzeck n’est pas un soldat que l’on découvre au début de l’opéra en train de raser son capitaine, dans un décor plus ou moins daté. C’est un pauvre diable d’aujourd’hui, sans le sou, qui fait tout pour décrocher une place dans une sorte de casting de volontaires prêts à se soumettre contre rémunération à des expériences médicales, un homme qui devient cobaye pour nourrir celle qu’il aime et leur enfant. La violence des conditions de sa survie, l’ébranlement de sa raison et le contraste entre les idéaux et la misère sont ici moins représentés par le monde militaire (pas de chambrée des gardes, pas de soldats endormis pour le chant à bouche fermée de l’acte II) que par la toute-puissance tyrannique de la science médicale, dégradant l’individu et le soumettant à une constante surveillance.

® Jean-Louis Fernandez

Si l’on est parfois surpris (notamment par les modifications concernant les lieux – par exemple : le meurtre de Marie n’est pas commis au bord d’un étang, la fin délivre visuellement un message différent des indications du livret), tout paraît d’une parfaite cohérence. L’attention portée au texte, en dépit de l’abandon de nombre d’indications scéniques, est l’une des réussites de ces choix : on ne ressent jamais de rupture ou de contradiction entre ce qui est dit, chanté et ce qui est représenté. Le programme de salle présente d’ailleurs l’argument selon la vision renouvelée du metteur en scène, évacuant ainsi, pour qui l’aura lu avant le début de la représentation, les sempiternelles interrogations sur l’absence de « fidélité » au livret lorsque le résumé de l’œuvre ne prend pas en compte les intentions de mise en scène.

Le spectacle est d’une richesse qui rend justice à la densité du texte comme de la composition musicale. On en retiendra d’abord la fluidité et le rythme effréné, traduisant la précipitation et l’angoisse, l’accélération qui ébranle la raison, tant dans les mouvements des chanteurs et acteurs que dans l’exécution musicale sous la baguette de Daniele Rustioni. Le chef lyonnais adopte des tempi qui donnent le tournis, un vertige semblable à celui qu’exprime le Wozzeck débonnaire et tragique incarné par le baryton Stéphane Degout, tour à tour rêveur et agité, tendre et violent, dont on admire une fois de plus le sens des nuances, notamment lorsqu’il prononce l’une des phrases clés : « L’être humain est un abîme, on est pris de vertige lorsqu’on regarde à l’intérieur ». L’amplitude de la voix est ici au service de ce contraste entre les mots qui se bousculent (dès le début) et la douceur lyrique des passages réflexifs ou hallucinés (qui parfois se recoupent) – douceur incongrue au sein d’une humanité bruyante et grossière parfaitement suggérée par le Tambour-major de Robert Watson, tandis que l’Orchestre de l’Opéra de Lyon donne aux thèmes récurrents toute la clarté voulue, avec une présence palpable des vents, et une force expressive particulière dans les cuivres et les cordes basses, qui font proprement frissonner.

Le choix de présenter ces scènes comme autant de fragments qui se succèdent est davantage un retour à la pièce de Büchner telle qu’elle a été retrouvée, que la stricte illustration de la forme close conçue par Alban Berg (trois actes comptant chacun cinq scènes). Au sein de l’immense espace gris de la scène comme lieu d’expérimentation, dans lequel un immense robot suspendu aux cintres personnifie la lampe médicale, comme dotée d’une existence propre et d’un regard auquel nul ne peut se soustraire, se succèdent des compartiments mobiles, sortes de wagons dans le grand train de la vie – ou le manège de l’absurde –, comme des mobilhomes, des maisons de fortune où il est difficile de s’isoler des regards extérieurs. Dans un remarquable équilibre entre la musique et la scénographie d’Étienne Pluss, on perçoit la beauté (trop ?) fugace de certains passages comme la prière de Marie ou l’Interlude en ré mineur de l’acte III. On peut être plus réservé sur le tempo choisi pour la scène du cabaret, qui laisse peu de place au lyrisme et à la musicalité, même caricaturés.

® Jean-Louis Fernandez

Stéphane Degout rayonne vocalement, avec un art consommé de la diction allemande, tout en jouant avec talent la maladresse physique, faisant de ce Wozzeck un personnage attachant et profondément émouvant, avant d’en suggérer – plutôt que d’en révéler – la noirceur criminelle. À ses côtés, Ambur Braid donne à Marie une présence vocale impressionnante, jouant sur l’opposition entre le caractère extraverti du personnage et la dimension introvertie de Wozzeck, se jouant des difficultés de la partition. On regrettera simplement que le lyrisme du début de l’acte III soit un peu gommé au profit de la projection vocale, dans un passage qui devrait précisément, nous semble-il, exprimer tendresse et humanité.

Le ténor autrichien Thomas Ebenstein est un Capitaine d’une précision métronomique, comme il sied à son rôle, doté d’une rare clarté d’élocution, et dont les aigus témoignent d’une aisance parfaite. C’est lui qui domine l’ensemble des rôles « négatifs ». La basse anglaise Thomas Faulkner, incarnant le Docteur, maître d’œuvre du système à la « Truman show » qui est présenté ici, a semblé le soir de la première moins à l’aise et peu sonore, comme bousculé parfois par le tempo adopté. Le ténor Robert Lewis incarne un Andrès de très bonne facture, doté d’une voix claire et d’une excellente projection, tandis que la mezzo-soprano Jenny Anne Flory s’acquitte honorablement de son rôle en Margret. Le Fou de Philip Varik donne lieu une interprétation haute en couleurs et vocalement très réussie. Les chœurs, comme toujours, sont excellents dans leur incarnation vocale d’un collectif angoissant.

Hugo Santos et Alexander de Jong, incarnant respectivement le Premier et le Second artisan à l’acte II de manière très convaincante – voix de basse un peu sourde pour le premier, qui « fonctionne » bien ici, et baryton plus sonore et compréhensible pour le second – sont présents tout au long de la pièce, sous les traits de deux personnages ajoutés ici, un prêtre et un ministre, qui assistent aux différents étapes du recrutement des volontaires et des expérimentations. Faire des deux ivrognes un prêtre et un ministre est un choix discutable : on perd l’idée d’une philosophie de cabaret liée au portrait de deux anonymes au profit d’une imagerie un peu convenue, quoique tristement d’actualité (les turpitudes des prétendus garants de la morale et de l’autorité de l’Église et de l’État). Mais répétons-le : l’ensemble de cette production fait preuve d’une cohérence parfaite, en écho à celle de la construction musicale, dans un mouvement qui emporte tout et suscite émotion et questionnements, comme le souhaitait Berg autant que Büchner.

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Opéra en trois actes (15 scènes)
Musique d’Alban Berg sur un livret du compositeur d’après la pièce de Georg Büchner Woyzeck (1836)
Création à Berlin (Staatsoper) le 14 décembre 1925

Détails

Mise en scène
Richard Brunel

Scénographie
Étienne Pluss

Costumes
Thibault Vancraenenbroeck

Lumières
Laurent Castaingt

Dramaturgie
Catherine Ailloud-Nicolas

Wozzeck
Stéphane Degout

Marie
Ambur Braid

Le Tambour-major
Robert Watson

Le Capitaine
Thomas Ebenstein

Le Docteur
Thomas Faulkner

Andrès
Robert Lewis

Margret
Jenny Anne Flory *

Le Prêtre (1er Apprenti)
Hugo Santos *

Le Ministre (2e Apprenti)
Alexander De Jong *

Le Fou
Filipp Varik *

Un homme
Didier Roussel

L’Enfant de Marie
Ivan Declinand

* Solistes du Lyon Opéra Studio, promotion 2024-2026

 

Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon

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Benedict Kearns

 

Orchestre de l’Opéra de Lyon

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Daniele Rustioni

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