Le concert donné par Leonardo García-Alarcón, Cappella Mediterranea et le Chœur de Chambre de Namur ce dimanche 15 juin en l’église Saint-Thomas de Leipzig aura été l’événement marquant des premiers jours de la Bachfest de Leipzig consacrée aux « Transformations ». Comme le confiait son directeur, Michael Maul, à l’issue du concert : « une des plus belles choses vécues dans ce lieu ».
En ce dimanche de la Trinité, Leonardo García-Alarcón choisit d’interpréter les 3 cantates BWV 46, 101, 102 écrites par Bach pour ce même dimanche en 1723, 1724 et 1726. Trois cantates qui accompagnent un Évangile où le Christ, pour une fois en colère, annonce la destruction de Jérusalem parce qu’irrémédiablement dévouée au péché.
Bach choisit d’en faire trois variations sur le thème du péché et de la grâce fondement de la foi protestante : la première sous la forme de la lamentation, la seconde sous la forme de la prière, la troisième sous la forme d’une méditation presque pascalienne sur le pari de la conversion. Mais le chef, sans doute soucieux d’obtenir l’attention et le recueillement nécessaires, choisit d’ouvrir le Concert par la Sarabande en ré mineur de la partita n°2, jouée au pied du tombeau de Bach par le premier violon Alfia Bakieva.
Leonardo García-Alarcón et ses interprètes se saisissent du texte pour en révéler la teneur musicale, l’essence même. La musique et le chant n’accompagnent pas seulement le texte ; ils leur reviennent de mobiliser l’âme et le corps du fidèle dans cette incomparable exercice spirituel. Comme on le sait, à Saint-Thomas, le public ne regarde pas le chef et les interprètes, qui sont dans la tribune. On écoute en fermant les yeux dans une méditation intérieure provoquée par la musique et le chant. Pour cela, García-Alarcón joue de l’acoustique si difficile et puissante de l’église.
Dès l’ouverture de la cantate BWV 46, il a placé les chœurs en vis-à-vis dans les tribunes latérales à la surprise du public décontenancé et envouté. Il fallait suivre les mouvements imperceptibles des visages pour comprendre comment chacun, d’abord surpris, était bientôt convaincu par ce Bach dont ils n’étaient pas familiers. Surtout lorsque les chanteurs des deux chœurs ont commencé à marcher en procession vers la nef principale, pour se réunir dans la grande fugue sur le texte : « Denn der Herr hat mich voll Jammers gemacht am Tage seines grimmigen Zorns » (« Car l’Éternel m’a affligé au jour de son ardente colère »).
L’église s’emplit de la musique, qui trouve sa consistance en elle-même. De fait, Leonardo García-Alarcón traite chaque cantate comme un oratorio, une unité dramatique qui saisit l’auditeur au début pour ne le lâcher qu’à la fin, moment où Bach trouve les accents exquis de la grâce. Il faut saluer la Cappella Mediterranea en grand effectif, son orchestre, le Chœur de Chambre de Namur, bouleversant dans cette musique et l’équipe de solistes: Sophie Junker, Christopher Lowrey, Valerio Contaldo et Andreas Wolf. Une mention toute particulière pour les flûtistes, les 3 hautbois et le violon solo d’Alfia Bakieva qui a construit un son de l’orchestre à cordes tout à fait particulier.
À la fin du concert, les applaudissements n’en finissent plus. Leonardo García-Alarcón donne en bis « Der Gerechte kömmt um », et le public – toujours debout – continue à applaudir. Quelque chose s’est passé. Quelque chose que ce public si familier pourtant des interprétations de J-S Bach n’avait pas encore entendu. Ce 15 juin, dans la Thomaskirche, au chœur du temple de Bach, était né un nouveau Bach, qui comme ceux d’Harnoncourt et de tant d’autres va marquer les temps qui viennent. C’est la première fois que Leonardo García-Alarcón donnait les cantates religieuses de J-S Bach à la Thomaskirche, son but depuis toujours, comme il le confesse dans son livre d’entretiens « Une vie de musiques ». Non seulement il l’a atteint, mais il l’a atteint en imposant un Johann Sebastian Bach qu’il connaît infiniment, intimement, intensément, certain d’en tenir, sinon la vérité, du moins une vérité.