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HAENDEL, Le Triomphe du Temps et de la Désillusion – Strasbourg

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Spectacle
19 septembre 2025
Joute jubilatoire

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Il trionfo del Tempo e del Disinganno, HWV 46°
Oratorio
Musique de Georg Friedrich Haendel
Livret du cardinal Benedetto Pamphili
Créé en juin 1707 dans le palais du cardinal Pietro Ottoboni à Rome

Détails

La Beauté
Mélissa Petit
Le Plaisir
Julia Lezhneva
La Désillusion
Carlo Vistoli
Le Temps
Krystian Adam

Ensemble Les Accents
Direction musicale
Thibault Noally

Strasbourg, Opéra national du Rhin, dimanche 14 septembre 2025, 17h

Plutôt que de débuter sa dernière saison par une création ou un opéra contemporain, Alain Perroux, le directeur de l’Opéra national du Rhin, a préféré nous proposer une version de concert d’un chef-d’œuvre baroque donné une seule fois avec une distribution de choix pour quatre solistes et un ensemble baroque d’une vingtaine de musiciens. Le thème de l’année étant : « le monde est un théâtre », on peut se demander pourquoi avoir, dans ce cadre, fait le choix d’un oratorio (donc en principe sans mise en scène) consacré à une dispute entre quatre allégories, la Beauté se consacrant entièrement au Plaisir puis se rangeant petit à petit aux arguments percutants de la Désillusion et du Temps pour choisir la Beauté de l’âme et l’austérité plutôt que les plaisirs fugaces. Alain Perroux s’en explique : « En prolongement de cette idée que le monde est un théâtre, on en arrive à la pensée très baroque mais en fait intemporelle que le monde est empli d’illusions, la vie consistant souvent à essayer de s’en débarrasser. C’est ce que je retiens de la Recherche de Proust, grand roman de la désillusion, mot dont le sens n’est pas forcément négatif. La désillusion, c’est se dessiller les yeux pour voir les vérités permanentes, universelles et durables, contrairement aux choses fugaces, qui ne sont que vanité ».

Ainsi, le public venu nombreux a pu découvrir le premier oratorio de Haendel, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, au cours d’une soirée mémorable où les quelque trois heures de spectacle ont passé comme un éclair marqué par de fulgurantes beautés. De cette œuvre, Haendel a fait trois versions (dont la dernière en anglais). C’est la première mouture qui nous intéresse ici, créée à Rome à une époque où le jeune luthérien de 22 ans qu’est Haendel compose pour des prélats catholiques, alors que le pape Innocent XI a interdit toute représentation d’opéras dans la ville depuis 1677. Nous sommes en 1707 et l’œuvre de Haendel est influencée par son passé germanique et ses rencontres italiennes. Il va sans dire que cet ouvrage, pétri de valeurs morales, est également baigné dans le moule de l’opéra, avec tous les effets spectaculaires que cela laisse augurer. Il s’agit ainsi d’une succession d’airs à l’évidente beauté à la fois simple et inventive, pour quelques ensembles à peine entrecoupés de récitatifs qui permettent aux affects de se déployer avec grâce et subtilité.

© DR

La distribution choisie pour les quatre solistes nous a comblés par l’adéquation de chacun avec son rôle et l’harmonie de leur juxtaposition. Honneur aux dames, commençons par louer les deux sopranos qui interprètent avec classe leurs allégories respectives. En Beauté resplendissante, radieuse, puis inquiète, ébranlée et enfin résiliente, la française Mélissa Petit séduit dans tous les registres, nous laissant en apesanteur dans un finale mémorable et incroyablement éthéré. On se délecte de la séduction d’une voix joliment timbrée, de la pureté et de l’évidence de la technique, de la qualité de la projection d’une magnifique limpidité, de l’impeccable diction et surtout de la capacité à émouvoir de la soprano. En Plaisir de luxe et de haut vol, la soprano russe Julia Lezhneva nous comble. L’incontestable autorité dans l’émission et les variations les plus périlleuses des ornements de la partition contrastent avec l’apparence gracile de la ravissante soprano. Cette maîtresse femme non seulement en impose mais nous assène des notes aussi flamboyantes qu’éblouissantes. La qualité de l’énonciation est quelquefois sacrifiée, mais les effets sont d’autant plus spectaculaires à l’arrivée, nous plantant les phrases en plein cœur. Rien ne résiste à ce souffle épique et enjôleur, tout en virtuosité et en insolente facilité apparente. Le « Lascia la spina, cogli la rosa » restera sans doute pour les bienheureux présents un moment d’anthologie. Du grand art. 

En bouillonnante et impitoyable allégorie du Temps, le ténor polonais Krystian Adam se montre très convaincant, peut-être un rien en dessous de ses partenaires au sommet de leur art. Mais on se délecte de ses coups d’éclats, des couleurs au large nuancier de sa voix attrayante et de ses emportements particulièrement sonores et vifs. Dans un rôle qu’il connaît bien et domine de toute son élégance et d’un charme évidents, le contre-ténor Carlo Vistoli, déjà admiré sur la même scène en 2023 dans un ébouriffant Couronnement de Poppée, nous enchante ce soir en complexe Désillusion. La beauté du timbre égale celle de son maniement : jubilation des trilles, puissance des injonctions, volupté constante et irrésistible sensualité, chaque intervention du chanteur italien est un ravissement.

Pour sublimer le tout et mettre en valeur la constante inventivité de la partition du jeune Haendel, l’ensemble Les Accents offre un idéal contrepoint, mené avec une simplicité empreinte de distinction par Thibault Noally. L’effectif s’impose par une unité aux sonorités somptueuses et les instrumentistes rendent hommage avec brio aux magnifiques soli qui émaillent la partition. On sort repu et heureux de ce moment magique et privilégié qui nous a été offert. Voilà qui augure bien d’une saison plus que prometteuse…

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