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MOZART, Cosi fan tutte – Lausanne

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Spectacle
3 février 2024
Le jeu de l’amour et de Mozart

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Dramma giocoso en deux actes
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Livret de Lorenzo Da Ponte
Première représentation au Burgtheater de Vienne le 26 janvier 1790

Détails

Mise en scène
Jean Liermier
Décors et costumes
Rudy Sabounghi
Lumières
Jean-Philippe Roy
Postiches et barbes
Cécile Kretschmar
Assistant mise en scène
Jean-Philippe Guilois

Fiordiligi
Arianna Vendittelli
Dorabella
Wallis Giunta
Ferrando
Pavel Petrov
Guglielmo
Robert Gleadow
Don Alfonso
Rubén Amoretti
Despina
Marie Lys

Orchestre de Chambre de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne dirigé par Diego Fasolis
Direction musicale
Diego Fasolis

Opéra de Lausanne
31 janvier 2024, 19h00 (2ème représentation)

Cela ressemble à un appartement-témoin, c’est lisse, blanc, pas très habité. Normal, c’est un décor de Reality TV. Plantes vertes en plastique, colonnes en stuc, mobilier moitié faux Louis XVI, moitié contemporain. Au fond, une photo panoramique de Naples. En haut une passerelle métallique et des projecteurs. De temps à autre, des panneaux glissant à l’avant-scène viendront clore le « quatrième mur » pour nous rendre complices du hors-champ. Les protagonistes y rejoindront l’équipe technique, cameraman, preneur de son, assistants et maquilleuse. Des écrans diffuseront le générique de l’émission (« www.lascuoladegliamanti »…) avec les sourires engageants des quatre sujets d’étude, ou de temps à autre des captations en direct de l’action.

Voilà l’idée. L’équivalent aujourd’hui des utopies à la Marivaux, de tous les Triomphe de l’amour et autre Dispute, de ces expériences parfois cruelles confrontant des personnages travestis ou des jumeaux séparés dès la naissance, ce serait l’univers artificieux des Loft ou des Iles de la Tentation. De fait ces programmes stéréotypés, avec leurs personnages de convention (le naïf, l’aguicheuse, etc.) ont un air de famille avec le conte philosophique de Da Ponte et Mozart, cruel lui aussi.

© Jean-Guy Python

Le risque étant, en cherchant son inspiration du côté de ces univers tape-à-l’œil, de se laisser contaminer par leur – comment dire ? – trivialité. D’épaissir le trait et de perdre ce qui fait le prix de Cosi fan tutte, sa délicatesse de touche et de sentiments, sa mélancolie profonde, d’enfouir sous une verve vaudevillesque sa vision tragique des relations amoureuses entre les femmes et les hommes.

Il est vrai que Mozart et Da Ponte n’avaient pas eu peur non plus d’utiliser les clichés de leur époque (les barbes postiches et les costumes « albanais ») pour faire surgir une certaine vérité d’une situation archi-fausse. Ce dramma giocoso n’est gai qu’à la surface. De là, une kyrielle d’airs fermés qui ne dépareraient pas un opera seria. C’est la part du dramma. Mais quoi de plus giocoso que les deux grands finals, d’une verve inépuisable. Étonnante si l’on se souvient qu’en 1789 tout va mal dans la vie de Mozart. Il a des dettes, il lance des appels au secours à son ami Puchberg, Constance est malade et les cures coûtent cher, elle met au monde en novembre une petite fille qui ne vit qu’une heure alors qu’il est en pleine écriture de Cosi, qui sera créé au Burgtheater le 26 janvier 1790.

© Jean-Guy Python

Les chargeurs réunis

C’est un opéra plein d’écueils. D’abord il n’est pas court… et, si beaux soient-ils, les airs interrompent l’action. Ce qui explique sans doute l’inclination du metteur en scène Jean Liermier à multiplier les gags, par crainte de l’ennui sans doute, à le tirer un peu trop du côté de la farce et de la parodie. Aidé en cela par un couple de garçons quasiment en roue libre, surtout le Guglielmo de Robert Gleadow, l’espièglerie du personnage tournant à la gaudriole. Son penchant à finir tous les verres et à les remplir quand ils sont vides le mènera à une titubante ébriété. Avant cela la scène du faux empoisonnement à l’arsenic au début du premier final les conduira, Ferrando et lui, l’un attifé en don Juan de dancing, l’autre hirsute et débraillé, à une truculence un peu hors de contrôle, dirons-nous…

La Mozart touch et comment l’avoir…

Tant est délicate la balance mozartienne…
Mais, puisque nous en sommes à la Mozart touch, c’est à Marie Lys qu’on donnera la palme. Qui, tout en jouant tout à fait le jeu de la mise en scène, chante de façon exquise les deux airs de Despina, envoyant des coloratures à la fois brillantes et drôles dans « In uomini in soldati » et dans « Una donna a quindici anni » glissant un « Hé ! Ragazzi ! » adressé aux garçons passant dans la strada, aussi saugrenu que délicieux. Mais c’est surtout l’équilibre parfait entre mille ingrédients, la beauté du chant (et du timbre), le legato, l’ironie, le respect impeccable du texte, et en même temps la liberté, l’imagination, le charme, le piquant, l’apparente facilité, la désinvolture, qui font penser « Voilà, Mozart est là… »

Marie Lys © Jean-Guy Python

Dès le début, l’esprit des ensembles aura été tout aussi mozartien, menés d’une main ferme par Diego Fasolis, d’ailleurs sur un tempo assez raisonnable. Comme l’avait été l’ouverture, qu’on a connue plus folle et où on avait remarqué comme à l’habitude la fluidité des bois de l’Orchestre de chambre de Lausanne. Des ensembles nombreux où le premier souci est d’équilibrer des voix venues d’écoles très dissemblables, impression ressentie dès le premier quintette, « Sento o Dio », d’un faux pathétique très réussi, donné avec l’enjouement qu’il faut. En revanche, le quintette des adieux, « Di scrivermi », puis le sublime terzettino, « Soave sia il vento », un peu hâtif, un peu vert, nous sembleront en manque de suavité, de poli, et pour tout dire d’émotion.

Un opera seria déguisé

C’est à partir de son aria héroïque « Temerari….Come scoglio » que Arianna Vendittelli (Fiordiligi) trouvera la plénitude de ses moyens vocaux, comme si cet air de bravoure, avec ses redoutables sauts de notes (jusqu’à une douzième !) dégageait tout-à-coup le paysage. Celle que nous avions vue sur la même scène dessiner une remarquable Suzanna allait y darder, après un récitatif altier, des aigus impérieux (même si elle allait esquiver le deuxième si bémol final), enrichir la reprise de fières vocalises et trouver des graves qui ne sont peut-être pas son registre le plus assuré.

Arianna Venditelli et Wallis Giunta © Jean-Guy Python

Encore plus redoutable, dans la deuxième partie, l’aria « Ei parte… Per pietà », véritable air d’opera seria, étonnant de la part de la petite jeune fille des premières scènes, ici écartelée entre son amour naissant (pour Ferrando) et son remords (de trahir Guglielmo). Air grandiose accompagné par l’octuor des bois, où la voix sinue entre des plongées vers le plus grave de la tessiture (jusqu’au la dièse) avant de s’exalter sur les sommets : un superbe récitatif accompagné, à la fois désespéré et passionné, incarnation de la maturité nouvelle du personnage, puis une aria noble et ardente, hérissée de sauts de notes tout aussi escarpés. C’est ici la belle étoffe vocale qu’on admire, le timbre chaud, les traits en triolets impeccables et la solidité jusqu’au bout (avec un court fléchissement ce soir-là sur un passage dans les graves, comme pour rappeler à l’auditeur que ce genre de performances vocales ne va pas de soi…)

Ambiguïtés

La Dorabella de Wallis Giunta mettra davantage de temps à convaincre. On est accoutumé dans les rôles de soprano 2 chez Mozart à des timbres plus charnus, plus chauds, notamment pour cette frivole Dorabella, que l’on pressent moins vertueuse que sa sœur. La voix est très proche de celle de Fiordiligi, et on croira entendre certaines acidités dans son premier air « Smanie implacabili ». Déjà leur premier duetto, « Ah ! guarda sorella », les cueillant sans doute à froid toutes deux, n’avait pas eu la rondeur souhaitable, notamment dans les voix parallèles, et les arabesques finales, un peu rêches, avaient paru flotter quelque peu. En revanche leur duetto du second acte, « Prenderò quel brunettino », avec ses longues phrases à la tierce sera d’une musicalité et d’une drôlerie parfaites.

Robert Gleadow et Wallis Giunta © Jean-Guy Python

Mais c’est dans son duo avec Guglielmo, « Il cor vi dono », que Wallis Giunta montrera le mieux les qualités et les couleurs de sa voix, sa chaleur, son sens de la ligne. Dans une séquence dont la subtilité et la mélancolie secrète sont un peu mises à mal par la mise en scène : Guglielmo y joue un jeu de dupes insinuant auquel Dorabella se laisse prendre en toute sincérité. Ici, tout se terminera par de torrides galipettes sur un lit, filmées en plongée depuis la passerelle (allusion à Loana et Jean-Edouard ?) Contraste entre l’image sans équivoque et la douceur des voix entrelacées. Entre la voluptueuse séduction de la voix de Robert Gleadow, sa musicalité (et la finesse des contrechants de violon) et son jeu pour le moins caricatural de dragueur basique.

Vérité et mensonge

C’est le moment où se révèle l’ambiguïté profonde de Cosi fan tutte : grâce au stratagème fomenté par Don Alfonso, naissent deux couples vocaux parfaits, le baryton avec le soprano 2 et le ténor avec le soprano 1. Mal apariés aux temps de leurs amours anciennes, les voici accédant sous le travesti à leur vérité musicale. La vérité par le mensonge en somme…
Son trouble, Ferrando, l’âme sensible, le montrera dans le très beau récitatif accompagné « Barbara ! Perché fuggi ? » qui introduit l’aria de Fiordiligi « Per pietà », mais surtout dans sa grande scène « In qual fiero contrasto…. Tradito, scernito » qui répond au rondo de Guglielmo « Donne mie » (excellent Robert Gleadow qui retrouve là l’insolence du fringant Figaro qu’il fut sur la même scène).

Arianna Vendittelli, Wallis Giunta, Marie Lys © Jean-Guy Python

Le Ferrando de Pavel Petrov déploie dans cet air farouche tout l’éclat d’une voix très lyrique, à la fois projetée, solide et ensoleillée. C’est une voix mozartienne d’aujourd’hui, sincère et ardente, évidemment très éloignée des mellifluences viennoises de jadis. Son aria du premier acte « Un’aura amorosa… » avait déjà montré ses qualités de vaillance et la franchise de son timbre, auquel il ne manque qu’un rien de velouté peut-être.

Fosse et plateau

On a dit la qualité des ensembles. Les deux grands Finals, qui n’ont rien à envier à ceux des Noces et de Don Giovanni, ne sont qu’invention et changements de tempo. Rubén Amoretti (Don Alfonso) met sa prestance au service de ce théâtre de marionnettes dont il tire les ficelles en jouant habilement de la maturité de sa voix. Le final du premier acte, lancé par deux flûtes dialoguant avec les deux donzelles (très joli duetto sur « Ah, che tutta »), se résoudra après le faux suicide à l’arsenic par la pétulante apparition de Despina en costume orange de secouriste (succès garanti) et de sa pietra mesmerica (ici une colorature délirante de Marie Lys déchainée). On admire l’élégance avec laquelle Mozart et Diego Fasolis mènent le jeu. Il semble que plus les lazzi sur scène tournent à la farce, plus la musique est complexe, savante et décalée… Parfaite réussite collective, fosse et plateau.

© Jean-Guy Python

Le Final de l’acte II, qui se terminera par une scène de mariage comme avait commencé l’opéra (avec pièce montée et invitées chapeautées de capelines), les deux garçons réapparaissant en officiers de marine, se teintera, en dépit des titubations de Guglielmo, d’une délicate mélancolie : on reviendra à l’ambiguïté initiale, mais Fiordiligi et Ferrando, les deux personnages les plus sincères, laisseront suggérer par l’inflexion d’on sait quelle couleur vocale, que désormais le ver est dans le fruit…

Sur les écrans au premier plan, apparaîtra un triple message : « Si vous voulez que les couples d’origine se reforment tapez 1, si vous voulez que Ferrando épouse Fiordiligi tapez 2, si vous voulez que Guglielmo épouse Dorabella tapez 3… »

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