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LULLY, Persée — Paris (TCE)

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Spectacle
6 avril 2016
Lully transgénique

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Tragédie en musique en quatre actes

Version remaniée de 1770 par Bernard de Bury, François Rebel et Antoine Dauvergne.

Livret de Philippe Quinault, remanié par Joliveau.

Jouée à Versailles pour le mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette.

Détails

Persée
Mathias Vidal

Andromède
Hélène Guilmette

Mérope
Katherine Watson

Phinée
Tassis Christoyannis

Céphée
Jean Teitgen

Vénus
Chantal Santon-Jeffery

Cassiope
Marie Lenormand

Mercure
Cyrille Dubois

Méduse
Marie Kalinine

Sténone
Thomas Dolié

Euryale
Zachary Wilder

Choeur et orchestre du Concert Spirituel

Direction musicale
Hervé Niquet

Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 6 avril, 20h

Hervé Niquet nous invitait l’autre soir à Paris à une expérience aussi excitante que risquée : entendre un Persée de Lully remanié, ou plutôt enflé, 90 ans après sa création, durant les années 1770 ; celles du XVIIIe Siècle n’ayant pas grand-chose à envier en terme d’extravagances à celles du XXe.  La création de cette version à la double occasion du mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette et de l’inauguration de l’Opéra royal de Versailles, en présence de toute la noblesse européenne donc, justifiait que l’on reprenne un tube du répertoire français mais remis au goût du jour. Le programme du concert détaille les conditions de cette récréation : 95 choristes, 70 danseurs et 83 musiciens ! Dans l’Opéra royal de Versailles ! Le Théâtre des Champs-Elysées qui ne réunissait pourtant « que » 40 chanteurs et 40 musiciens sonnait déjà de façon étonnamment puissante pour ce répertoire. On laissera de plus érudits que nous détailler ce qui a été coupé, gonflé ou inventé et l’on se contentera de dire que le remaniement du livret (Joliveau) et de la partition (deBury, Rebel et Dauvergne) offre un résultat bien étrange. Pour les deux premiers actes, c’est un Lully sauce chantilly qui fait sourire plus qu’il n’émeut, voire ennuie, tant tout y semble gonflé, tuné comme une voiture volée. C’est parfois divertissant, souvent indigeste. A certains moments on croirait même entendre des interprétations baroques expérimentales des années 60 (genre Hippolyte et Aricie par Pierre Boulez, vous voyez ? Tremblez, car cela existe vraiment !). Si les influences de Rameau se font évidemment sentir et travestissent totalement la fière ordonnance du génie lullyste, le résultat ressemble davantage à un Grétry ou un Catel raté. Heureusement les choses s’arrangent aux actes III et IV, quand Rebel et Dauvergne composent sans trop se soucier du lourd héritage : la scène de l’endormissement des gorgones a un charme kitsch vraiment plaisant et les deux airs virtuoses de Vénus et Persée exultent dans des vocalises brillantes qui n’avaient que trop tardé. Il faut dire aussi que le goût pour la rocaille explosive des années 1770 se satisfait mieux des rebondissements fréquents de cette partie du drame.

L’intérêt musicologique de la soirée est cependant certain : on est habitué à entendre des mises en musique différentes d’un même livret (Armide par Gluck après Lully par exemple), des remaniements d’une même œuvre par le compositeur lui-même (Rameau remaniant son Castor et Pollux), des parodies de foire des grands classiques, mais on n’entend jamais les versions arrangées au fil du temps. Après tout, les Anglais ont bien boursouflé le Messie de Handel au fil des siècles, il n’y avait pas de raison que les Français soient à l’abri de ces crocs-en-jambe faits au répertoire. L’autre intérêt d’une telle recréation est de tordre le cou à ce préjugé selon lequel le baroque est un répertoire uniquement chambriste et qu’il faut attendre la période classique, voire romantique, pour voir les effectifs orchestraux gonflés. Mais cette confirmation pose des problèmes d’interprétations certains, notamment aux solistes.

Cette version transgénique en laisse en effet beaucoup dans l’embarras : doit-on surarticuler au détriment de la beauté du timbre comme chez Lully ou bien privilégier le volume et la projection comme chez Gluck ? Evidemment le dilemme est mal posé et les seuls à s’en sortir sont ceux qui n’ont jamais sacrifié l’élocution au beau chant. Les triomphateurs de la soirée (et de l’absence de surtitres imposée habituellement par le chef) sont donc Cyrille Dubois au Mercure clair et gracieux mais puissant ; Thomas Dolié dont on ne comprend toujours pas pourquoi on le confine dans des seconds rôles tant son jeu et son élocution impressionnent par leur autorité naturelle ; Jean Teitgen dont l’émission certes engorgée ne nuit en rien à l’intelligibilité de son texte et lui permet surtout une résonnance phénoménale dans le grave, et surtout Mathias Vidal. Presque tout y est : puissance, beauté de la ligne, prononciation évidente, musicalité et sens du drame affutés, depuis le duo d’amour du II jusqu’à l’orgiaque et virtuose polyphonie du « Hymen, règne à jamais » final où il se fait entendre sans difficulté face à 80 choristes et musiciens. Ne lui manque peut-être que davantage de douceur dans l’émission pour les moments les plus tendres. Tassis Christoyannis campe un ennemi habile et fier mais n’est pas toujours compréhensible et la partition ne lui laisse guère l’occasion d’émouvoir. Zachary Wilder n’intervient que dans le trio des Gorgones et sa voix que l’on peut trouver aigre s’intègre ici avec beaucoup de personnalité sans jamais déséquilibrer l’ensemble.

Côté dames, la diction souffre énormément. Beaucoup se réfugient dans la stridence pour se faire entendre : Marie Kalinine vocifère dans une langue inconnue, la monstruosité de Méduse est là mais on ne comprend rien à son histoire. Marie Lenormand peut être une Cassiope touchante lorsque l’orchestre ne lui fait pas concurrence, mais dans les tutti elle est vite dépassée. Même constat pour la Mérope de Katherine Watson dont les aigus criards ont surpris nos oreilles qui la découvraient si policée dans Haendel. En Andromède, Hélène Guilmette peine à construire un personnage mémorable. La faute en va d’abord à l’œuvre qui en fait un personnage secondaire, ensuite à l’interprète qui semble ne pas vouloir donner tout leur poids musical et dramatique à ses vers. Reste Chantal Santon-Jeffery, même si son sens du drame nous parait toujours un peu trop univoque et ses vocalises trop empesées, il faut saluer un engagement intense et un vrai souci du texte pour un résultat qui ne demande qu’à s’affiner avec les représentations.

A côté de Persée, l’autre héros de la soirée fut sans conteste l’orchestre et le chœur du Concert Spirituel : les deux jouissent d’une précision dans l’unisson et d’une vigueur ahurissantes. Le chœur est aussi compréhensible que sensible, tandis que l’orchestre s’emporte avec une rigueur communicative qui vous donne des envies de retour de la monarchie. Hervé Niquet reste le grand ordonnateur de cette cérémonie : on pourra toujours lui reprocher des tempi très rapides voire précipités, mais ici ils interdisent que le soufflé à la chantilly ne retombe en gâteau à la crème.

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Tragédie en musique en quatre actes

Version remaniée de 1770 par Bernard de Bury, François Rebel et Antoine Dauvergne.

Livret de Philippe Quinault, remanié par Joliveau.

Jouée à Versailles pour le mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette.

Détails

Persée
Mathias Vidal

Andromède
Hélène Guilmette

Mérope
Katherine Watson

Phinée
Tassis Christoyannis

Céphée
Jean Teitgen

Vénus
Chantal Santon-Jeffery

Cassiope
Marie Lenormand

Mercure
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Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 6 avril, 20h

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