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RAMEAU, Les Paladins – Versailles

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Spectacle
30 juin 2023
Oh, les jolis pèlerins

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Comédie lyrique en trois actes
Musique de Jean-Philippe Rameau sur un livret de Duplat de Monticourt
Création au Théâtre du Palais-Royal à Paris en 1760

Détails

Atis

Mathias Vidal

Argie

Judith van Wanroij

Orcan

Philippe Estèphe

Nérine

Anne-Catherine Gillet

Anselme

Frédéric Caton

Manto

David Tricou

La Chapelle Harmonique
Direction musicale
Valentin Tournet

 

Opéra Royal de Versailles

Samedi 24 juin 2023, 19h

 

 

À Versailles, la tradition veut que la plupart des concerts soient enregistrés pour une parution discographique ultérieure. Mais samedi dernier, pour Les Paladins de Rameau dirigé par Valentin Tournet, nul micro visible devant les chanteurs ou parmi les pupitres de l’orchestre. C’est que l’œuvre a déjà été enregistrée par le jeune chef et son ensemble La Chapelle Harmonique pour le label Château de Versailles Spectacles en décembre 2020, alors que nous vivions le deuxième confinement et que le concert prévu avait été annulé.

Après plusieurs reports, voici enfin ces Paladins arrivés à bon port, dans une distribution quelque peu différente de celle initialement prévue en 2020, puisque les emplois du temps des chanteurs ont changé ! Et on retrouve en salle l’enthousiasme vécu à la découverte de l’enregistrement, qui venait combler un manque flagrant, puisqu’il n’existait jusqu’à présent, outre le DVD des représentations du Châtelet en 2004 dirigées par William Christie, qu’une version tronquée (Malgoire) et une version dans un français très approximatif (Junghänel).

Les Paladins est le dernier opéra que Rameau a pu présenter de son vivant, puisqu’il est mort avant que son ultime chef-d’œuvre, Les Boréades, soit porté à la scène. Ce n’est pas une tragédie lyrique, comme la plupart des ouvrages les plus connus du compositeur mais, comme Platée, une comédie. L’action et la musique mêlent, de manière beaucoup plus flagrante que dans Platée, inspirations italiennes et traditions françaises. Restée peu de temps à l’affiche, on dit souvent que c’est le livret qui constitue la faiblesse principale de l’ouvrage, mais il est au contraire assez original, même s’il n’est peut-être pas d’une plume toujours inspirée. Dans un Moyen Âge de convention, Argie, jeune femme accompagnée de sa suivante Nérine, est retenues par Orcan, qui répond aux ordres d’Anselme, vieil homme qui souhaite épouser Argie. Mais cette dernière est plutôt éprise du jeune paladin Atis et celui-ci le lui rend bien…

Pourtant, Rameau fait de cette matière a priori plutôt conventionnelle – que la présence singulière de faux pèlerins et de faux démons, d’un palais chinois ou d’une fée travestie en maure vient colorer étrangement – un terrain de jeu d’où jaillissent sa facétie et son inventivité musicale. L’œuvre s’ouvre sur une ouverture brillante, à laquelle succède un air plaintif très inspiré, dans la même veine que le « Tristes apprêts » de Castor et Pollux ; très vite, la vis comica du compositeur s’affiche dans des figuralismes, des répétitions drolatiques (« est-il beau, beau, beau » ou « bon, bon, bon… bon à prendre ») et des duos très rythmés, jusqu’à un ensemble à la fin du premier acte qui annonce presque les concertatos rossinien… Au cœur du deuxième acte, le monologue d’Orcan est une parodie de celui d’Armide dans l’opéra de Lully : il exprime ses hésitations à utiliser un poignard qu’il a entre les mains dans un récitatif heurté. Le personnage de la Fée Mato, au troisième acte, est attribué à un haute-contre et le style très brillant de sa partie convoque un imaginaire rattaché à la virtuosité transalpine. Comment ne pas entendre aussi dans l’air « Pour voltiger dans le bocage » une forme d’auto-parodie amusée ? Tout cela est soutenu par une science de l’orchestration exceptionnelle : une musette résonne au premier acte, les cors ont une partie singulièrement virtuose et les hautbois et les bassons rivalisent de coquinerie.

Les artistes réunis pour cette version de concert transmettent leur amour de cette musique foisonnante avec une passion rare. Anne-Catherine Gillet, déjà présente dans l’enregistrement, est particulièrement dans son élément en Nérine. Le grelot de la voix, la délicatesse de la ligne, l’énergie mutine qu’elle dégage, tout fait de son incarnation un modèle de charme, où se mêlent la grâce et l’espièglerie. Autre interprète présent dans la distribution originellement prévue et immortalisée sur le CD, Mathias Vidal est un Atis idéal, vaillant et gredin. Le texte est délivré avec une gourmandise manifeste et sa fréquentation des rôles ramistes, aussi bien sérieux que comiques, lui permet d’avancer avec assurance sur un fil tendu entre le premier degré (l’incarnation du jeune premier) et sa parodie.

C’est à Judith van Wanroij que revient le rôle d’Argie, dont elle interprète les plaintes avec un engagement qui met en avant la beauté de la ligne musicale. Son timbre moelleux enchante et l’on ne peut rester insensible au charme de ses R roulés. On voit également qu’elle s’amuse à endosser la dimension comique du personnage, en présentant au public des moues ou des postures qui ne manquent pas de faire sourire. Philippe Estèphe est aussi très convainquant et drôle dans la manière dont il assume le rôle de l’amoureux fâcheux, mais la voix manque parfois un peu de couleur et de puissance pour rendre justice à la partition. Ce sont les mêmes défauts que l’on retrouve chez Frédéric Caton, Anselme un peu fatigué, qui convainc plus dans la plainte et dans ses réactions savoureuses aux avances de la Fée Mato, que dans la colère, faute d’autorité vocale ce soir-là.

Quant à David Tricou, il ne surgit dans ce rôle de la Fée Mato qu’au troisième acte, mais il sait comment rendre son apparition inoubliable : ganté, arborant un nœud papillon rose et des lunettes de soleil, il se lance dans un numéro particulièrement extravagant qui révèle toute la dimension crypto-gay de cette scène de séduction entre la fée et Anselme. L’engagement vocal et scénique cède parfois le pas à la précision du texte, mais on ne peut que rendre les armes devant tant de séduction musicale et théâtrale.

À la tête de son ensemble La Chapelle Harmonique, le jeune chef Valentin Tournet révèle toute la vigueur et l’originalité d’une partition composée par un homme de 77 ans, qu’on accusait bien à tort de radotage ! Mentionnons d’abord la vaillance et l’engagement exceptionnels des deux cornistes, qui doivent assurer une partie invraisemblable de complexité. Le timbre savoureux des autres pupitres de vent – bassons, hautbois et traversos au dernier acte – colore avec art l’accompagnement orchestral, débordant d’expressivité, auquel on ne pourrait reprocher par endroits que des tournures assez sèches, trop carrées dans certaines danses, et les sonorités de corde plutôt malingres par moments (ce qu’on ne retrouve d’ailleurs pas du tout au disque – y avait-il alors un effectif orchestral plus étoffé ?). Le continuo est cependant d’une vivacité tout à fait adéquate et juste.

Le chœur de La Chapelle Harmonique soigne ses interventions avec beaucoup d’éloquence et de richesse sonore. Le pupitre de haute-contre est particulièrement rayonnant dans le chœur des démons à la fin du deuxième acte et le charisme de la brève intervention de Constantin Goubet, qui sort du rang pour interpréter le court rôle d’un paladin, témoigne de la qualité de cet ensemble vocal.

Un concert dont on sort le sourire aux lèvres et des airs plein la tête.

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Musique de Jean-Philippe Rameau sur un livret de Duplat de Monticourt
Création au Théâtre du Palais-Royal à Paris en 1760

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Atis

Mathias Vidal

Argie

Judith van Wanroij

Orcan

Philippe Estèphe

Nérine

Anne-Catherine Gillet

Anselme

Frédéric Caton

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Samedi 24 juin 2023, 19h

 

 

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