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ROSSINI, Il Turco in Italia – Lausanne

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Spectacle
9 octobre 2023
Quand la nostalgie…

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Dramma buffo per musica en deux actes sur un livret de Felice Romani (1814)

Détails

Mise en scène
Emilio Sagi
Décors
Daniel Bianco
Costumes
Pepa Ojanguren
Lumières
Eduardo Bravo
Assistant mise en scène
Javier Ulacia

Selim
Luis Cansino
Donna Fiorilla
Salome Jicia
Don Geronio
Giulio Mastrototaro
Don Narciso
Francisco Brito
Prosdocimo – Poeta
Mikhail Timoshenko
Zaida
Marion Jacquemet
Albazar
Pablo Plaza

Orchestre de Chambre de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne
dirigé par Antonio Greco
Direction musicale
Michele Spotti

Opéra de Lausanne
6 octobre 2023, 20h00

Elle est parfaite, la placette napolitaine de l’Opéra de Lausanne, et elle enchante le regard : le raide escalier à droite, le palais décrépi au lointain avec son portone orgueilleux, les pilastres envahis d’herbes folles, la petite marchande de légumes côté jardin qui tricote en attendant le client, le balcon où Fiorilla arrose ses géraniums, la fenêtre où apparait un costaud en maillot de corps, les façades qui s’effritent, et, merveille ! comme au Châtelet d’autrefois, un tramway, dont les pantographes font des étincelles, et qui passe au fond du décor. Une terrasse d’osteria des années 50. Des cyclistes pressés et l’indispensable Vespa, comme dans Pain, amour et fantaisie

Saluons le décorateur de ce Turco in Italia, Daniel Bianco, par ailleurs directeur du Théâtre de la Zarzuela à Madrid, où il s’attache à préserver un patrimoine théâtral. On sait donc toujours jouer avec un savoir-faire né à l’âge baroque. Perspective accélérée, doubles points de fuite, praticables et châssis, épaisseurs, découvertes, tout un outillage de l’illusion, dont les pères fondateurs ont nom Palladio, Serlio ou Sabbatini et que les scènes latines n’ont jamais oublié. Qu’on pense à Ezio Frigerio, collaborant avec Strehler, ou d’ailleurs à Pedduzi, alter ego de Chéreau.

Ajoutons de très subtils éclairages d’Eduardo Bravo : d’abord un petit matin bleuté, la lanterne du sottoportego, la place qui s’anime, la montée vers le soleil éclatant de midi, puis la pente vers le déclin du jour, se parant de rose, la lumière chaude des appartements. Des costumes aux couleurs de berlingots (dessinés par feue Pepa Ojanguren) : robes évasées très 1955, imprimés fleuris, pantalons corsaires à rayures, tout cela très comédie musicale, les Bohémiens de fantaisie voulus par le livret ont le look des Portoricains de West Side Story.

© Jean-Guy Python

La polémique du moment

Un hasard farceur semble avoir voulu apporter une pièce de plus à la lassante polémique dite « du Regietheater » avec ce spectacle qui s’inscrit, et combien joliment, dans la plus traditionnelle des traditions.
D’ailleurs les images parlent mieux que ce long discours. Dans son genre, c’est une perfection et il n’est que de songer au récent Carmen de Rouen, recréation de celui de 1875, pour constater que l’on sait encore faire aussi bien qu’à l’Opéra-Comique d’autrefois ou qu’à la Scala en 1814.

Et si on refusait de choisir son camp ? On peut être à la fois amateur de relectures (si elles sont pertinentes ou questionnantes) et d’une certaine imagerie théâtrale, qui fut celle de nos premiers bonheurs, si elle est comme ici revisitée avec amour. Au demeurant, on sent bien que cette querelle franco-française n’est pas dénuée d’arrières-pensées politiques…

Cela dit, tant de moyens pour seulement cinq représentations dans une salle de taille moyenne (idéale d’ailleurs), l’économie d’un tel système laisse songeur. Comme le fait que des fauteuils restèrent inoccupés le soir où nous vîmes un spectacle aussi séducteur. Mais laissons là ce débat envahissant et saluons seulement tout le personnel de l’ombre, ateliers de décors et de costumes, cintriers et maquilleuses, la liste serait longue.

Salomé Jicia © Jean-Guy Python

Mise en abîme et second degré

Les deux piliers de ce spectacle sont d’une part un vétéran, le metteur en scène espagnol Emilio Sagi, qui dirigea durant quelque vingt ans le Teatro de la Zarzuela puis fut directeur artistique du Teatro Real et du Teatro Arriaga de Bilbao et d’autre part Michele Spotti, le jeune chef d’orchestre (trente ans !), actuellement directeur musical de l’Opéra et de l’orchestre philharmonique de Marseille.

Le talent d’Emilio Sagi est ici de rassembler des talents qui se connaissent et se complètent, et de réaliser une mise en scène qui ne se voie pas, comme faisaient les régisseurs d’autrefois. De laisser aux acteurs-chanteurs, tous d’un métier sûr, la bride sur le cou. On joue « au public », on ne craint pas les clins d’œil, la connivence et la bonhomie font partie du genre.

Rossini (vingt ans à la création !) et Romani font du Poète, Prosdocimo, le meneur de jeu : en mal d’idées, ce garçon, carnet d’ethnologue en main, regarde vivre son petit monde napolitain pour en tirer la matière d’une pièce qu’on lui demande, un petit monde aimablement clichetonnant… Une coquette, un barbon, un amoureux transi et, pour la touche d’exotisme, un prince turc de passage et une troupe de Zingari, dont fait partie Zaïda, qui eut jadis une love affair avec ce Selim.
Théâtre en train de se faire, mise en abîme… Ou poncifs et second degré, à votre guise… Agitez le tout et multipliez les prétextes à airs, duos, trios, etc. Et débrouillez-vous pour vous en sortir à la fin.
On pourrait dire en somme la même chose de Così fan tutte, autre comédie napolitaine, et on a constamment le sentiment que les Rossini-Romani connaissent par cœur leur Mozart-Da Ponte.

Mikhail Timoshenko, Salomé Jicia, Giulio Mastrototaro © Jean-Guy Python

Tous un peu verts au début

L’Orchestre de Chambre de Lausanne fait des merveilles sous la baguette de Michele Spotti, qui travailla notamment avec Noseda, Gatti et Zedda, et ça s’entend. Beaucoup de piqué, de respiration, notamment dans l’ouverture, toute en changements de tempi, en accents nerveux, en soin apporté aux textures (basses ronflantes et tutti opulents), aux contrechants, en transitions respirantes, en liberté laissée aux solistes, et bien sûr en accélérations implacables… Bref en esprit rossinien, qu’on a ou qu’on n’a pas. Ici, on l’a.

Cela dit, passé le plaisir visuel de l’éveil de la petite place sur fond sonore d’ouverture pimpante, un moment d’incertitude s’installe quant à la distribution vocale. L’impression d’un certain flottement dans le casting (impression qui va évoluer, autant le dire tout de suite).

On excepte Mikhail Timoshenko, le Poète (en somme le Don Alfonso de l’aventure), dont le solide timbre de baryton et d’emblée une manière de désinvolture, la présence en scène et des récitatifs théâtralement justes convainquent.

Et le Chœur de l’Opéra de Lausanne, impeccable, preste et solide, mené pour l’occasion par Antonio Greco, grand spécialiste du répertoire rossino-donizettien.

Salomé Jicia ©Jean-Guy Python

Ramage vs. plumage

Mais la première impression demeure que le ramage n’est pas à la hauteur du plumage. Pour cela il faudra attendre parfois la deuxième partie du spectacle.

Ainsi Giulio Mastrototaro sera un excellent Don Geronio (le vieux mari). La voix cueillie encore à froid dans sa première cavatine « Vado in traccia d’una zingara », on l’entendra gagner peu à peu en chaleur et en virtuosité, et le personnage s’étoffer en bonhomie. Non moins frisquette dans son premier air, « Non si dà follia maggiore », redoutable air d’entrée, la voix de Fiorilla, Salomé Jicia, semblera d’abord manquer de souplesse, les notes hautes un peu stridentes et les vocalises un peu rêches. Le meilleur sera vraiment pour plus tard.

Jolie entrée du bateau de Sélim, une réminiscence du bateau d’Amarcord, sous forme de maquette illuminée flottant sur une longue bannière bleue qui dévoilera un Selim à la silhouette digne de feu l’Aga Khan, Luis Cansino. « Qual bel Turco ! » s’exclamera Fiorilla, séduite sans doute par une voix de basse bouffe profonde, mais elle aussi un peu raide.
N’empêche, grâce au chef, qui les entrainera dans un train d’enfer, leur premier duetto « Serva! – Servo » sera vif et acéré, électrique et enlevé, quelqu’hirsutes demeurent leurs vocalises.

Salomé Jicia, Luis Cansino © Jean-Guy Python

Non moins rossinien, verveux, le trio « Un marito scimunito ! », où l’on aimerait pour le rôle de Narciso, le macho en chemise à fleurs cintrée, une voix plus légère que celle de Francisco Brito. Et c’est le chef et l’orchestre qui feront palpiter le quartetto « Siete Turchi, non vi credo » (épatants changements de rythme vif-argent), un de ces moments où la vocalità s’efface devant la teatralità

L’esprit des choses

En revanche le duo Geronio-Fiorella, « Per piacere alla signora », sera le premier moment vraiment impeccable : le tissu frémissant des cordes, l’articulation parfaite du barbon, son emphase au second degré, les colorature mezza voce, précises et spirituelles, de la coquette, puis ses alanguissements élégants sur les notes piquées du baryton, avant un final agitato scintillant sur la battue serrée du chef, Rossini est là.

Le finale primo brillera à nouveau surtout par la précision du chef d’orchestre (et des vents de l’OCL), les voix cheminant parfois cahin-caha, mais la bonne humeur fera oublier certaines acidités.

Pablo Plaza, Mikhail Timoshenko, Giulio Mastrototaro, Marion Jacquemet © Jean-Guy Python

L’entracte aura été profitable, comme la mi-temps au football. Dès le duetto « D’un bell’uso di Turchia », la faconde de Luis Cansino supplée au manque de souplesse de sa voix et la précision de Giulio Mastrototaro emporte les dernières réticences (un precipitato étincelant emmené par Michele Spotti).
Autres jolies réussites, les roucoulades de Salomé Jicia dans sa cavatine « Se il zefiro si posa », en dialogue avec un chœur d’hommes très en place, et son duetto avec Selim « Credete alle femmine », même si certaines notes hautes sonnent un peu serrées, -et Luis Cansino peut y montrer son savoir-faire dans le chant orné, et donner une belle humanité à son Turc.
Et si la voix et le style de Francisco Brito ne nous convainc guère dans l’air de Narciso « Tu secondo il mio disegno », nous nous laisserons séduire par Pablo Plaza, ténor di grazia au timbre léger et à la belle ligne vocale élégante, dans l’ariette d’Albazar « Ah, sarebbe troppo dolce ».

Côté mise en scène la turquerie va tourner quelque peu à la kitscherie avec guirlandes lumineuses, profusion de couleurs pétantes, et joyeusetés de patronage, en revanche musicalement on va monter d’un cran encore. Et si le difficile quintette a cappella « Oh, guardate che accidente ! » semblera quelque peu erratique, voire vociférant, le concertato suivant remettra tout le monde à flot.

Décidément de mieux en mieux, Giulio Mastrototaro ne fait qu’une bouchée de son aria di furore « Se ho da dirla, avrei molto piacere », considérable et truculent, dont il adorne la cabalette d’un pas de danse enlevé. Air dont l’âpreté cachée derrière la bouffonnerie n’est pas sans faire penser à l’air de Figaro « Aprite un po’ quegli occhi » dans les Noces.

Giulio Mastrototaro © Jean-Guy Python

Mélancolies mozartiennes fugitives

D’ailleurs la silhouette de Mozart semble partout alors qu’approche la fin de la comédie. Et Marie-Cécile Bertheau au pianoforte va le souligner avec délicatesse en citant en catimini le « Vedrai carino » de Zerlina…

Hommage à Mozart aussi, le récitatif et air de Fiorilla « I vostri cenci vi rimando – Squallida veste e bruna », l’une des perles de la partition. Véhémente dans le récitatif, Salomé Jicia déploie dans l’aria une belle grande ligne lyrique, qu’elle décore de trilles impeccables et de notes filées, et surtout une mélancolie illustrant l’évolution du personnage qui délaissant la coquetterie revient à l’amour sincère de son vieux mari.

La cabalette (de belle venue) conduira au second final « Son la vite sul campo appassita ». Sélim repart pour la Turquie avec Zaïde reconquise (Marion Jacquemet). On se réconcilie à la fin, et cela aussi, c’est très Mozart…
Pour les personnages, tout donc est bien qui finit bien, et vocalement, en somme, tout est bien qui finit mieux…

C’est l’un des charmes du spectacle vivant que rien n’y est fixé pour toujours et que, dans l’espace d’une représentation, tout soit changeant et notamment les impressions d’un spectateur…

© Jean-Guy Python

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Donna Fiorilla
Salome Jicia
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Giulio Mastrototaro
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