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THOMAS, Hamlet – Turin

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Spectacle
23 mai 2025
Enthousiasmante re-création

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Opéra en cinq actes
Musique d’Ambroise Thomas
Livret de Michel Carré et Jules Barbier d’après William Shakespeare
Création à Paris, Académie Impériale de musique, salle Le Peletier, le 9 mars 1868
Création en concert de la version originelle pour ténor, Opéra Berlioz, Le Corum, Montpellier, 15 juillet 2022

Détails

Mise en scène
Jacopo Spirei

Décors
Gary McCann

Costumes
Giada Masi

Lumières
Fiammetta Baldiserri

Chorégraphie
Ron Howell

Hamlet
John Osborn

Ophélie
Sara Blanch

La Reine Gertrude
Clémentine Margaine

Laërte
Julien Henric

Claudius
Riccardo Zanellato

Polonius
Nicolò Donini

Horatio
Tomislac Lavoie

Marcellus
Alexander Marev

Le Spectre du Roi
Alastair Miles

Premier Fossoyeur
Janusz Nosek

Second Fossoyeur
Maciej Kwasnilowski

 

Chœur et orchestre du Teatro Regio Torino

Chef des chœurs

Ulisse Trabacchin

Direction musicale
Jérémie Rhorer

Turin, Teatro regio, mardi 20 mai, 19h30

Longtemps dédaignés des scènes françaises, l’Hamlet d’Ambroise Thomas fait progressivement un vrai retour depuis une quinzaine d’années. L’excellent Franco Pomponi a défendu le rôle à Marseille en 2010. Jean-François Lapointe en fut un interprète poétique en 2015 à Avignon et à Marseille pour la reprise de 2016. Stéphane Degout a superbement habité le prince du Danemark à l’Opéra-comique en 2018 et 2022 (après Strasbourg en 2011 et Bruxelles en 2013. Même Salzbourg s’est laissé convaincre de remonter avec le baryton français un ouvrage qui n’est pourtant pas dans les gênes du festival). En 2022, Jérôme Boutillier captivait le public de l’Opéra de Saint-Étienne. L’Opéra de Paris, d’ordinaire plutôt frileux envers son répertoire historique, a permis à Ludovic Tézier d’offrir une de ses incarnations majeures en 2023 (il avait aussi chanté le rôle… à Turin en 2001). Signal peut-être encore plus important de cette réhabilitation en devenir, en 2024, l’Opéra de Massy osait proposer cette œuvre rare portée cette fois par l’interprétation convaincante d’Armando Noguera. 

© Daniele Ratti-Mattia Gaido

En 1868, Hamlet fut le dernier ouvrage créé à la salle de la rue Le Peletier avant l’ouverture du Palais Garnier. Si la réaction de la critique fut partagée, l’accueil du public fut chaleureux, notamment grâce à l’incarnation du créateur du rôle, le baryton Jean-Baptiste Faure, star lyrique de l’époque (il créa entre autres les rôles de Nélusko dans L’Africaine et Posa dans Don Carlos). L’ouvrage connait ensuite un succès international et est accueilli triomphalement à Londres (dans une version révisée, disponible en appendice de l’enregistrement de Michel Plasson), Budapest, Bruxelles, Prague, New-York, Saint-Pétersbourg, Berlin ou encore Vienne. Depuis, le nombre de productions de l’ouvrage a bien diminué, mais sans que celui-ci ne disparaissent totalement des scènes, les barytons célèbres réussissant à faire monter l’ouvrage sur leur réputation, celui-ci étant l’un des rares où ils ne risquent pas d’être éclipsés par le ténor. On citera entre autres interprètes les exceptionnels Sherrill Milnes (Chicago, 1990), Thomas Hampson (Châtelet, 2000) ou encore Simon Keenlyside (Metropolitan, 2010). On sait moins pourtant que l’ouvrage fut initialement prévu pour un ténor et que, faute de trouver un interprète à la hauteur de l’enjeu, Ambroise Thomas révisa la partition pour un baryton, de sorte que la survie continue de l’ouvrage doit beaucoup à cette transposition opportuniste. L’Hamlet version ténor aurait-il eu la même longévité, rien n’est moins sûr. Cette version originelle (qui a été jouée   sporadiquement toutefois), fut recréée en 2022 au Festival de Montpellier en version concert, avec déjà John Osborn et la regrettée Jodie Devos, trop tôt disparue. Le Teatro Regio en propose ici la création scénique mondiale à l’époque moderne.

© Daniele Ratti-Mattia Gaido

Cette version pour ténor offre un certain nombre de différences qui, sans être nécessairement immédiatement perceptibles, modifient l’atmosphère générale du drame. Il s’agit notamment de tonalités différentes. Aucun changement toutefois pour le premier air, « Vains regrets ». Les couplets bachiques « Ô vin, dissipe la tristesse » sont en revanche un ton plus haut (avec deux contre ut, pour chœurs et soliste). « Allez dans un cloître » n’est pas modifié. « Être ou ne pas être » est un ton et demi plus haut, Le dernier air d’Hamlet, « Comme pâle fleur » est aussi plus haut, mais d’un ton seulement. Il s’agit aussi de lignes vocales qui s’envolent dans l’aigu chez le ténor au lieu de rester dans le centre de la tessiture pour le baryton. Nous n’en donnerons qu’un exemple (ceux qui trouveraient la chose fastidieuse peuvent passer directement au paragraphe suivant). Entre les deux refrains de « Ô vin », Hamlet chante la  phrase « Chacun, hélas, porte ici-bas sa lourde chaîne ! Cruels devoirs, longs désespoirs, de l’âme humaine ! ». Dans la version baryton, les huit syllabes « Cruels devoirs, longs désespoirs » sont chantées sur les quatre notes répétées Fa# Sol# Fa# La (nous avouerons que nous ne sommes pas aller vérifier dans la partition s’il s’agissait de Fa# ou de Sol bémol : vu les tarifs pratiqués par Forumopera.com, vous en avez quand même pour votre argent). Dans la version ténor, alors qu’on attendrait une attaque sur un Sol# (compte tenu de la transposition d’un ton), on entend une modulation différente et une attaque quatre tons plus aigüe : Mi Mi Mi Mib (deux fois). On se rappelle que le Werther avait connu des déboires similaires : le résultat est tout autre ici. Autant la version baryton du chef-d’œuvre de Jules Massenet peut être frustrante (dès que l’orchestre monte à l’aigu de la version ténor, le baryton fait du surplace), autant les deux versions d’Ambroise Thomas sont parfaitement réalisées. Sans aller jusqu’à parler de deux ouvrages fondamentalement différents, on peut affirmer que ces deux versions ont chacune leurs qualités propres et mériteraient de coexister. Dans la version ténor, Hamlet est ainsi moins neurasthénique, plein de fougue juvénile au contraire. La colère impétueuse remplace la sombre déréliction. L’ouvrage est moins uniformément noir, plus contrasté. Les deux options se défendent : avis aux volontaires, s’il en est chez les ténors, dussent-ils risquer les foudres des barytons.

© Daniele Ratti-Mattia Gaido

Reprenant sa prise de rôle montpelliéraine de 2022, John Osborn est un Hamlet de grande classe, d’une superbe musicalité. On regrette un peu un certain manque de largeur dans le médium, le rôle exigeant une voix plus corsée, mais l’aigu est confondant de facilité (notamment son contre-ut à la fin de la chanson bachique). Le legato est impeccable, avec une utilisation toujours à propos de la voix mixte, notamment quand il s’agit d’exprimer la douceur ou le renoncement, avec par exemple un « Être ou ne pas être » totalement suspendu. L’interprétation scénique est de première force, enflammée. Le finale de l’acte II est un paroxysme de folie, dramatiquement (et techniquement) impressionnant. Hamlet lance ses imprécations perché sur une table, tandis que les histrions meuvent celle-ci à toute vitesse, faisant un tour complet du plateau entre chaque intervention du chanteur. La prononciation et la diction sont exemplaires, dispensant un francophone de la lecture des surtitres, et chaque mot est coloré avec soin. On peut comprendre que Thomas ait pu avoir des difficultés à trouver la perle rare des ténors pour créer son ouvrage, mais le chanteur américain n’est pas loin de cocher toutes les cases. Du grand art.

Sara Blanch est une Ophélie proprement phénoménale, probablement la meilleure interprète du rôle depuis bien longtemps. Là encore, le français est doté d’une excellent technique belcantiste, le soprano catalan maîtrise toutes les difficultés de la partition mais sait surtout les transcender dans une composition bouleversante qui touche au sublime dans la scène de folie où elle n’hésite pas à modifier sa voix, avec des phrases chuchotées, détimbrées (« Et vous ? Pourquoi vous parlez bas ? »), tremblantes, précipitées, ou au contraire des alanguissements évaporés (« Hamlet est mon époux, et je suis Ophélie »). Blanch sait aussi traduire le potentiel sous sous-texte de ses interventions. Ainsi, dans « Et si quelqu’un vous dit qu’il me fuit et m’oublie, n’en croyez rien ! », son ton exprime qu’elle n’en croit rien elle-même justement, et qu’elle ne cherche qu’à se convaincre au travers d’un dialogue avec des interlocuteurs imaginaires. Là encore, du grand art.

© Daniele Ratti-Mattia Gaido

Clémentine Margaine est une Reine Gertrude captivante, à la projection impressionnante et aux aigus dardés réjouissants. Sa composition scénique est tout aussi remarquable. Le mezzo français traduit parfaitement toutes les facettes du personnage et son évolution, de la reine hautaine à la mère brisée, en passant par la pécheresse confrontée à ses remords. Son duo avec Hamlet est l’un des sommets de la soirée. Loin d’avoir la projection de sa partenaire, Riccardo Zanellato est un Claudius de belle prestance, avec une bonne diction, au timbre chaud, bien chantant et à la voix homogène sur toute la tessiture. Déjà Laërte à Salzbourg, le jeune Julien Henric (né en 1992) confirme sa stature internationale. La voix est bien projetée, d’une bonne puissance, la diction et le phrasé sont impeccables, le timbre est agréable, l’aigu généreux et la composition dramatique impeccable. La voix profonde et la maturité d’Alastair Miles conviennent parfaitement au spectre du roi. Les autres rôles n’appellent que des éloges (en particulier sur la qualité du français d’un niveau bien supérieur à celui de bien des maisons internationales) : Nicolò Donini est un Polonius inquiétant. En Horatio, Tomislac Lavoie sait se faire remarquer dans ses brèves mais décisives interventions, de même qu’Alexander Marev dans le rôle plus court de Marcellus. Les deux fossoyeurs, Janusz Nosek et Maciej Kwasnilowski sont impeccables. La qualité d’un théâtre se mesure aussi à celle des interprètes auxquels il a recours pour les seconds rôles : de ce point de vue, c’est un sans faute. Comme de coutume dans le grand opéra français, les chœurs sont particulièrement sollicités. Les artistes du Chœur du Regio de Turin sont particulièrement enthousiasmants, sonores, vibrants, avec un français impeccable. Les pupitres sont homogènes et à l’aise sur les diverses tessitures parfois très tendues (rappelons les contre-ut de la chanson bachique). Leur toute première intervention, impressionnante, est d’ailleurs spontanément applaudie par le public avant la fin de la coda orchestrale. Très sollicités par la mise en scène, ils se révèlent également excellent acteurs. Les mouvements des figurants sont habillement chorégraphiés par Ron Howell : la scène est animée, sans donner l’impression d’une vaine agitation.

© Daniele Ratti-Mattia Gaido

Créateur du Cercle de l’Harmonie en 2005, formation sur instruments d’époque, Jérémie Rhorer a beaucoup dirigé le répertoire du XVIIIe et début du XIXe siècles. Dans cette ouvrage plus tardif, cette expérience lui permet d’apporter un supplément de sveltesse à une partition qui pourrait être pesante sous une autre baguette. L’orchestre est comme dégrossi, plus vif et plus virtuose. C’est une vision tout à fait en adéquation avec cette version ténor, qui incite à être plus alerte, moins ténébreux. Si l’on revient à notre exemple de la chanson bachique, chez Plasson, la phrase « La vie est sombre. Les ans sont courts ; De nos beaux jours. Dieu sait le nombre. Chacun hélas ! Porte ici-bas. Sa lourde chaîne ! » est comme ralentie : Hampson semble traîner sa misère. Ici, le tempo est plus vif : un ténor ne s’encombre pas de tels soucis ! Il est tout à sa haine. Ajoutons que le chef est attentif aux chanteurs qu’il se garde de couvrir. Enfin, l’Orchestre du Teatro Regio est impeccable, ce qui rend cette lecture renouvelée passionnante. La partition est assez complète (environ 2h40 de musique) mais comprend néanmoins quelques coupures, notamment les ballets, le chœur des comédiens à l’acte II (« Princes sans apanages ») et celui des paysans qui introduit la scène de folie « Voici la riante saison »). 

© Daniele Ratti-Mattia Gaido

La production de Jacopo Spirei est une totale réussite. On gardera en mémoire un certain nombre d’images fortes : le spectre du roi promenant Hamlet et Ophélie enfants, leur cheval de bois qui deviendra la monture dérisoire d’Hamlet couronné, les immenses marionnettes qui jouent le Meurtre de Gonzague, le final exalté de l’acte II déjà évoqué, la scène de folie où un immense rideau de tulle fait à la fois figure de voile de mariée et de surface des eaux où Ophélie disparait, les Willis qui l’accompagnent et qui évoquent les films d’horreurs britanniques de la Hammer dans les années 50… Qui plus est, grâce aux somptueux décors de Gary McCann, aux costumes un brin déjantés de Giada Masi et aux lumières élaborées de Fiammetta Baldiserri, ce spectacle, à la mise en scène intelligente et impeccablement réglée, est aussi un régal esthétique. Le succès public est au rendez-vous, avec près de 10 minutes d’applaudissements enthousiastes aux saluts.

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Musique d’Ambroise Thomas
Livret de Michel Carré et Jules Barbier d’après William Shakespeare
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Création en concert de la version originelle pour ténor, Opéra Berlioz, Le Corum, Montpellier, 15 juillet 2022

Détails

Mise en scène
Jacopo Spirei

Décors
Gary McCann

Costumes
Giada Masi

Lumières
Fiammetta Baldiserri

Chorégraphie
Ron Howell

Hamlet
John Osborn

Ophélie
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Horatio
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Premier Fossoyeur
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