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L'édito...
Sylvain Fort
octobre 2007
 

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L'empire des gosiers

Hier, Roberto Alagna revêtait la veste à paillettes de Luis Mariano. Aujourd’hui, Madame Bartoli ceint les lourds bracelets de la Malibran et Monsieur Florez endosse les plastrons lustrés de Rubini. Demain peut-être, Madame Dessay fera revivre Mado Robin, Bryn Terfel réitérera les gutturales de Chaliapine et Ramon Vargas, à court d’uts de poitrine, se jettera par la fenêtre comme Adolphe Nourrit – ce que nous ne souhaitons bien entendu pas à sa veuve. D’ores et déjà, Katia Ricciarelli chante Freddy Mercury en tournée italienne. Le décès de Pavarotti ébranle un chœur de pleureuses planétaire, qui aurait pu verser quelques larmes sur ses lamentables prestations aux côtés des plus fétides des pop stars, et les trente ans de la disparition de Maria Callas sont fêtés avec plus d’éclat que ne le furent les cent cinquante ans de Robert Schumann, mais il était fou.

Il est inutile de feindre l’innocence. Nous savons bien que l’opéra survit plus par l’éclat de ses interprètes que par l’inventivité de ses modernes continuateurs. Si nous n’avions à nous mettre sous la dent que les opéras de Philip Glass, nous nous serions déjà mis à la peinture à l’huile. Mais nos palettes restent immaculées, car des Bartoli, des Alagna, des Meier, des Heppner, des Ramey, des Jane Eaglen non pas des Jane Eaglen, des Alvarez, des Florez, des Martinez et des Gomez continuent à nous démontrer que ce genre reste fertile en émotions.

Et POURTANT (s’exclame le magicien tapotant trois fois sur son haut-de-forme avant d’en extraire un poulet de Bresse tachycardique), oui, POURTANT, ce n’est pas sans quelque suspicion que nous voyons ces glorieux gosiers étaler leur admiration pour d’autres glorieux gosiers. Car enfin, on ne devrait pas perdre de vue que les glorieux gosiers du passé étaient eux-mêmes des gosiers, et non les créateurs de génie auxquels ils prêtèrent l’échauffement de leur muqueuse laryngique. De gosier en gosier, nous voici bien embarqués. Dans trente ans, il est bien probable qu’une jeune mezzo soprano chantera Cccilia chantant Maria. Ou bien qu’un prometteur Gonzalez chantera Alagna chantant Mariano. Moi-même, dans le secret glacé de ma salle de bains, je chante Corelli chantant Lauri Volpi chantant Di Quella Pira. Et on dirait du Laurent Pagny.

Ce jeu de poupées russes à l’envers, ce vertige des miroirs s’entre-reflétant à l’infini, marque nettement la place de l’absent : le compositeur, devenu une vague perruque signalée dans un coin de la notice du disque. Le compositeur, c’est papa. Ils tuent papa avec leurs simagrées de gosiers. Papa s’est échiné, il s’est tué la santé et voilà, on ne retient de son auguste production que la gloire des gosiers en fleur. C’est décevant. Et même assez irritant. Ce n’est pas qu’on tienne à la gloire éternelle de Francis Gomez, non Lopez, mais enfin, il faut rendre à César ce qui est à César, et à papa ce qui est à papa, c’est un sain principe d’harmonie familiale. Bientôt, on finira par croire que l’Ave Maria est de Pavarotti. Déjà qu’il n’est pas de Gounod. Et je suis sûr que beaucoup croient que la Maria dont il est question sur l’album de Bartoli est Maria Callas. La preuve : la pub télé fait entendre Casta Diva !

Ce trait semble spécifique au chant. Je n’ai pas encore croisé d’album « Dalberto joue Cortot » ni « Rudolf Serkin par Fazil Say ». Seul un André Rieu peut se laisser aller à ressusciter Kreisler. Les puristes du piano, par exemple, reprochent à Hélène Grimaud de mettre sa trombine sur ses disques. C’est vrai qu’elle est diablement belle. Que diraient ces puristes s’ils devaient s’exprimer sur les récitals d’opéra ? Avant d’écrire la moindre ligne, ils tomberaient sans doute en syncope, et on découvrirait dans leur organisme tellement de camomille de synthèse qu’il faudrait les déclarer morts cliniquement.

Le léger doute qui me vient dans toute cette histoire, c’est simplement que les grands interprètes dont nos actuelles stars convoquent les mânes eurent ce qui est un talent rare : inspirer des génies. Peut-on en dire autant des vedettes du star-system ? A ma connaissance, non. Seule une Dawn Upshaw peut aujourd’hui prétendre à cette dignité. Peut-être Renée Fleming avec Brad Meldau. Mais Brad est-il un génie ? Es-tu un génie, Brad ? (précisons que Brad n’est pas l’auteur de la fameuse Meldau, qui est de Karajan).

Les autres ? j’attends les noms : la création contemporaine est généralement confiée à des interprètes méconnus qui acceptent de consacrer du temps à l’apprentissage d’écritures complexes pour une rentabilité de carrière très incertaine (on me pardonnera ce langage d’étudiant en microéconomie).

On dit souvent que le genre « opéra » s’est éteint faute de compositeurs d’envergure. Peut-être. Il s’est éteint aussi faute d’interprètes suffisamment généreux pour ouvrir aux compositeurs les portes des théâtres, comme le font les Pollini, les Capuçon, les Grimaud, et tant d’autres, pour les compositeurs de musique dite pure. L’interprète a toujours eu cette faculté – depuis l’Antiquité pour ainsi dire – de « lancer » des compositeurs. Quel chanteur d’opéra aujourd’hui peut se targuer de prendre à son compte cette tradition ? de la porter haut ? de la perpétuer au plus haut niveau ? Pour ainsi dire aucun.

L’opéra est mort. Mais quelque part, un jeune Verdi, un Wagner en herbe, un Alban Berg laborieux crève la bouche ouverte. Bah. Ils n’ont qu’à faire des pubs pour Rolex. Comme tout le monde.

Sylvain Fort
Éditorialiste
 
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