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RAMEAU, Hippolyte et Aricie — Toulouse

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Spectacle
6 mars 2009
Le triomphe d’Alexandre.

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Hippolyte et Aricie (Rameau, Haïm – Toulouse)

Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764)

 

Hippolyte et Aricie (1733)

Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes

Livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin d’après Jean Racine

 

Nouvelle production

 

  

 

Mise en scène, Yvan Alexandre

Décors, Antoine Fontaine

Costumes, Jean-Daniel Vuillermoz

Lumière, Hervé Gary

Chorégraphie, Natalie Van Parys

 

Hippolyte : Frédéric Antoun / Philippe Talbot (13 et 15 mars)

Aricie : Anne-Catherine Gillet

Phèdre : Allyson Mc Hardy

Thésée : Stéphane Degout

Oenone : Françoise Masset

Diane : Jennifer Holloway

Mercure/ Un suivant de l’Amour : Johann Christenssen

L’Amour/ Une bergère/ Une matelote : Jael Azzaretti

Pluton / Jupiter : François Lis

Neptune / Troisième Parque : Jérôme Varnier

Tisiphone : Emiliano Gonzalez Toro

La grande prêtresse de Diane/ Une chasseresse : Aurélia Legay

Première Parque : Nicholas Mulroy

Deuxième Parque : Marc Mauillon

 

Orchestre et Chœur du Concert d’Astrée

Ballet Les Cavatines

 

Direction musicale, Emmanuelle Haïm

 

Toulouse, le 6 mars 2009 

 

 

 

Le triomphe d’Alexandre.

 

Dans le copieux programme, richement orné d’images de maquettes des décors et des costumes, Ivan Alexandre annonce la couleur : il ne s’agit pas pour lui de tenter une pseudo-reconstitution historique d’une des trois productions de l’opéra de Rameau données du vivant du compositeur. Il souhaite plutôt inviter le spectateur d’aujourd’hui à découvrir Hippolyte et Aricie dans le contexte de moyens en usage à la création. Le résultat proposé, fruit de l’imagination et de la culture de l’équipe qu’il a animée, est un spectacle d’une théâtralité et d’une beauté si raffinées qu’il sert pleinement l’œuvre tout en manifestant de façon éclatante l’inventivité et l’étendue des divers talents rassemblés.

 

Dès le lever du rideau, l’enchantement commence et, prodige, il ne faiblira pas ! Les ateliers du Capitole ont réalisé les décors d’Antoine Fontaine destinés à permettre, comme en 1733, les changements à vue puisqu’on sait que la tragédie lyrique ne se sent pas tenue de respecter la règle de l’unité de lieu. C’est un triomphe de trompe-l’œil qui nous révèle tour à tour les allées ordonnées de la forêt d’Erymanthe, l’architecture solennelle du temple de Diane, la profondeur ténébreuse des espaces infernaux, une antichambre du palais de Thésée, un bois le long du rivage et le jardin paradisiaque où l’amour licite trouvera sa récompense. Dans leur fluidité silencieuse si propice à la continuité musicale, le surgissement et la disparition de ces châssis et toiles peintes, en coulisses, dans les cintres, dans les dessous, réveille-t-il en nous quelque goût enfantin pour le merveilleux ? Nous y prenons un plaisir extrême, comme aux apparitions des déités (Diane dans sa nacelle, Jupiter sur son aigle au milieu des nuages, Pluton en Juge souverain, ou Neptune au sein des flots), à l’élévation de la « montagne humide » et au monstre affreux, dont la variété témoigne de l’invention inépuisable du concepteur.

 

Ces décors sont magnifiés par les éclairages d’Hervé Gary, fournis par des lampes munies de réflecteurs sur la rampe et des projecteurs latéraux ou zénithaux ; ensemble, ces moyens créent une atmosphère lumineuse évocatrice de l’éclairage aux bougies et, modulés subtilement comme la musique de Rameau,  peuvent suggérer aussi bien les clairs-obscurs de la forêt que la menace d’orage sur la mer, la pénombre d’un temple ou la clarté d’un ciel serein. Evidemment les costumes inspirés à Jean-Daniel Vuillermoz par des modèles d’époque en sont magnifiés : uniformes masculins et féminins des suivants de Diane, pourpre et ors royaux pour Thésée et Phèdre, tenue virginale d’Aricie, cuirasse d’Hippolyte, vertugadins et drapés, paniers et coiffures des danseurs, la recherche semble infinie et les solutions d’un goût exquis.

 

Les épisodes dansés que la musique appelle s’insèrent infailliblement dans la représentation : loin d’être seulement les divertissements destinés au repos du spectateur après les scènes de tension tragique, ils épousent si étroitement les situations et les rythmes, grâce aux trouvailles incessantes de Natalie Van Parys, qu’ils en deviennent nécessaires. Les évolutions harmonieuses des dévots de Diane, dès l’ouverture du prologue, ne sont pas une jolie façon de meubler la scène mais l’expression et la célébration de l’ordre du monde régi par la Déesse. Sans relâche la chorégraphe trouve des pas nouveaux accordés aux diverses situations, des enveloppements voluptueux des amours aux ondulations menaçantes des démons, des sauts capricants des cerfs à la chaloupée des marins, c’est un panorama réinventé de la danse au XVIIIe siècle, magnifiquement servi par la troupe des Cavatines.

Mais la paisible et vertueuse danse initiale va être troublée par l’irruption narquoise d’un adolescent qui pointe sa tête par la toile peinte : l’entrée de l’Amour n’a rien de solennel, c’est bien celle d’un trublion dont les flèches vont désorganiser la belle ordonnance fondée sur la séparation des sexes sans égard pour la componction de la mijaurée divine cramponnée à sa nacelle. A la fin du prologue, les dévots sont constitués en couples et partent en cortège vers le temple de l’Hymen. Transportés dans le temple de Diane, nous découvrons Aricie solitaire dans sa tenue de novice promise au célibat mais les dévots agenouillés dans la pénombre disent l’atmosphère de recueillement du lieu. Le duo avec Hippolyte, par exemple, enchaîne les attitudes théâtrales connues par des images figées qu’ici les artistes animent et s’approprient en un ballet troublant, pur délice esthétique. De l’entrée solennelle de la grande Prêtresse, à celle, pompeuse, de Phèdre, suivie de son humiliante prostration,  Ivan Alexandre n’a rien laissé au hasard ; et sa vigilance, jamais en défaut, donne au spectacle une puissante unité qui sert admirablement l’œuvre et le genre, le livret et la partition.

 

En ce sens, son travail s’accorde splendidement à celui d’Emmanuelle Haïm. Amoureuse du chef d’œuvre de Rameau depuis ses études au conservatoire, celle qui fut le chef de chant et la continuiste au clavecin de William Christie lors des représentations à Garnier de l’ère Hughes Gall s’est imposée depuis dix ans à part entière comme chef d’orchestre reconnu. Elle a choisi la version de 1733, mâtinée de celle de 1742 en particulier pour le cinquième acte où les retrouvailles d’Hippolyte et Aricie sont abrégées. Avec le déplacement de la déploration de Thésée au troisième acte, située après le divertissement et non avant, c’est la seule infidélité à la lettre de la création. Pour ce qui est de l’esprit, à la tête de ses troupes, l’orchestre et le chœur le concert d’Astrée, l’intrépide musicienne se lance à l’assaut du monument, accompagnant sa direction de ces larges mouvements du buste qui semblent déverser une énergie nerveuse en un survol rasant. La justesse rythmique est immédiate et sera sans défaut ; la richesse harmonique paraît parfois limite, comme le continuo, les cors ne sont pas sans défaut et la trompette bien isolée, mais à trop écouter d’enregistrements enrichis en studio on acquiert de mauvaises habitudes ou bien nous n’étions pas placé au mieux. Le choeur initial semble un peu vert, puis on l’oublie dans les splendeurs qui suivent, et dont l’adéquation entre ce que l’on entend et ce que l’on voit remplit de satisfaction. La Bruyère serait content : on vérifie ce soir que « le propre de (l’opéra) est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement ».

 

Car les chanteurs contribuent au mieux à la réussite, scénique, nous l’avons dit, par leur engagement, et vocale par leur qualité. Parmi les nombreux interprètes, Anne-Catherine Gillet et Stéphane Degout ont conquis leur célébrité pour l’essentiel hors du répertoire baroque. La première, dont nous avons souvent dit les mérites y compris pour sa Poppea, ne nous a pas entièrement convaincu, en particulier au premier acte ; outre une raideur vocale nouvelle, déjà perceptible dans sa Susanna, elle semble vouloir donner à Aricie la plénitude du statut d’héroïne que lui accorde le titre de l’ouvrage mais que la musique ne lui donne pas. Le second, en revanche, attendu avec perplexité en Thésée parce que des timbres plus graves restaient dans l’oreille, emporte l’adhésion très vite par la fermeté et la justesse admirables de l’interprétation vocale et théâtrale. Quant à Frédéric Antoun, est-il bien le ténor aigu à la française prescrit ou un bon ténor doté d’un centre et de graves charnus ? On peut se poser la question, d’autant que le diapason est à 400, mais non nier la séduction de son Hippolyte élégant, viril et sensible. La Phèdre d’Allison Mc Hardy partage avec ses partenaires francophones la clarté d’élocution indispensable mais sa virulence, son ironie et ses douleurs sont bien celles du personnage. Signalons l’Amour espiègle de Jaël Azzaretti, par ailleurs une matelote et une bergère ; voix souple aux aigus facile, elle triomphe dans l’ariette virtuose du dernier acte. Diane en tête, les Olympiens sont dignement servis par Jennifer Holloway, Johan Christensson, le sonore François Lis et le musical Jérôme Varnier. Ce dernier, outre Neptune, participe au trio des Parques, avec Nicholas Mulroy et Marc Mauillon, dont l’apparition fantastique et les deux airs constituent un sommet de la partition et du spectacle. Lauriers mérités aussi pour Aurélia Legay, majestueuse Prêtresse et chasseresse convaincue, Françoise Masset, Oenone pragmatique et insinuante, et Emiliano Gonzalez Toro, méconnaissable en Tisiphone endiablée.

 

On aura compris que nos quelques réserves pesaient trop peu pour nous empêcher de partager le déferlement d’enthousiasme qui a éclaté au rideau final. Grâces soient rendues à tous, de l’initiateur aux concepteurs et aux artisans ! Le spectacle sera-t-il enregistré par Mezzo, dont le logo figure sur le programme ? La réussite de cette équipe sera-t-elle le point de départ d’un projet Rameau ? Non seulement la représentation a transporté, mais voilà qu’elle fait rêver !

 

Maurice Salles.

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