Tout commence plutôt bien. L’orchestre (la Philharmonie de Dresde) a de belles couleurs, qu’il sait varier avec souplesse, et Marek Janoswki maîtrise avec beaucoup de naturel ce mouvement de flus et de reflux qui caractérise la musique. Le choeur de la Radio de Leipzig sait lui aussi doser ses interventions, et son effectif pléthorique (80 chanteurs) ne l’empêche pas de délivrer les pianissimi les plus éthérés lorsqu’il faut faire allusion à la douleur de la mère du Christ. On se laisse donc emporter, voire enivrer par l’émotion que Dvořák a mise dans cette pièce, qui est sans doute son chef-d’oeuvre en musique sacrée. Mais voilà qu’arrive la minute 8, l’entrée des solistes, et là … patatras ! Christian Elsner chante comme s’il avait une pomme de terre chaude coincée au fond du palais. On attend quelques secondes. Peut-être est-ce l’effet d’une respiration mal placée ? Mais non, la suite le confirme : l’émission du ténor est complètement engorgée, il est mal à l’aise et n’arrive pas à atteindre ses aigus.
Les choses s’arrangent un tout petit peu dans le « Qui est homo », même s’il est toujours évident que le chanteur est indisposé. Malheureusement, la rechute est indéniable dans le « Fac me vere tecum », où il est impossible de dissimuler quoi que ce soit, et où le naufrage le dispute à la vaillance. Certes, on admire la problité de l’artiste qui ne veut pas déclarer forfait, qui tente d’assurer jusqu’au bout et de sauver la soirée. Mais la nature est la plus forte, et ce que l’on entend ressort davantage du râle que du chant. Pire. Comme un dormeur insomniaque qui guette le son de la prochaine goutte d’eau, nous sommes comme aspirés par la catastrophe, et l’on se surprend à anticiper les interventions suivantes avec une curiosité malsaine. Comme pour aller jusqu’au bout du supplice. Qu’importent dès lors les innombrables atouts du disque : la baguette lyrique de Marek Janowski, un orchestre qui brille de mille feux, l’autorité naturelle de Tareq Nazmi ou les aigus cristallins d’Hanna-Elisabeth Müller ? Nous n’entendons plus que le martyr d’un ténor qui est pourtant capable de bien d’autres choses, comme dans une certaine Messe de Walter Braunfels publiée en 2017, par exemple. Que la conscience d’un artiste l’ait obligé à tenir le coup pour un soir, on le comprend aisément, voire on l’approuve. Mais qu’un label décide de faire paraître un tel témoignage enregistré dépasse l’entendement. A oublier au plus vite.