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HASSE, Serpentes ignei in deserto – Th. Noally, Les Accents

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CD
21 novembre 2024
Joyau des hospices vénitiens

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Oratorio a 6 voci con stromenti
Composé par Johann Adolf Hasse pour l’Ospedale degli Incurabili de Venise (vers 1736)
Livret de Bonaventura Bonomio

Détails

Julia Lezhneva – Angelus

Philippe Jaroussky – Moyses

David Hansen – Eliab

Bruno de Sá – Josue

Jakub Jósef Orliński – Nathanael

Carlo Vistoli – Eleazar

Thibault Noally – direction musicale (et violon)

Les Accents

2 CD Erato 2024 (43’15 & 48’02)

Singulier titre que Serpentes ignei in deserto, latin pour « serpents de feu dans le désert ». Nom de la prochaine opération militaire américaine ? Stage de survie masculiniste ? Flambée de gonorrhées chez les Bédouins ? Trois fois non, car il s’agit bien d’un oratorio, inspiré d’un épisode biblique.

Après des années d’errance dans le désert, les Hébreux trouvent le temps long, et certains doutent des faveurs divines. Sacrilège ! On connaît la patience du Dieu de l’Ancien testament : il arrose les désespérés de serpents dont la morsure provoque de terribles brûlures. Un ange annonce qu’il suffira de fondre un serpent d’airain dont la vue guérira les malheureux.

Cet oratorio en une seule partie fut créé autour de 1736 à l’Ospedale degli Incurabili, l’un des quatre hospices de Venise où de jeunes recluses recevaient la formation de l’élite musicale du temps, jusqu’à devenir elles-mêmes des instrumentistes et chanteuses de tout premier rang, enchantant Vénitiens et voyageurs cachées derrière les grilles des églises. Là où la Pietà, rendue célèbre par les œuvres de Vivaldi, brillait pour ses instrumentistes hors pairs, l’hospice des Incurabili se distinguait par l’excellence du chant, et ce dès la fin du siècle précédent sous la houlette de maîtres successifs comme Carlo Pallavicino, Carlo Francesco Pollarolo puis Porpora, tous adulés des théâtres. C’est Johann Adolf Hasse qui vient composer pour l’institution dans les années 30. Lié à Naples où il avait parachevé sa formation, l’illustre Saxon était également très attaché à la Sérénissime.

Serpentes ignei in deserto témoigne du soin apporté par Hasse à cette commande tout comme du très haut niveau technique et artistique des membres de l’ospedale, alors à son apogée. Dans la tradition de l’oratorio italien, ce sont les émotions qui sont théâtralisées plutôt qu’une action, dont on n’a que la narration. Six personnages se succèdent pour poser les quelques jalons de la fable morale et exprimer leurs états d’âme. La flamboyance du belcanto baroque assure l’intérêt de l’épisode, avec des airs variés, expressifs, et de remarquables récitatifs accompagnés.

L’équipe réunie par Erato est de très haut vol. Prenant le contrepied des conditions de la création, Noally a voulu faire appel à une équipe masculine pour interpréter les Hébreux, tous sopranos ou contraltos. On y mesure les progrès accomplis par l’art contre-ténoral en un quart de siècle ! Au vétéran Philippe Jaroussky échoit naturellement Moïse. Les récitatifs exposent l’usure du timbre, dont les couleurs n’évoquent guère la barbe blanche du prophète – pas plus, sans doute, que la chanteuse d’origine. Qu’importe : la musicalité et l’autorité forcent le respect, dans la virtuosité inentamée de l’air d’entrée comme, plus encore, dans la magnifique péroraison « Ara excelsa ».

Les autres Hébreux n’ont qu’un air. David Hansen a été judicieusement distribué. L’Australien assume ce que le rôle a d’aigu tout en conservant une solide assise dans le médium et le grave. Si l’émission apparaît ici tendue, là tassée, cela sied à l’angoisse d’Eliab, celui qui doute, dont les vocalises inquiètes lancent l’œuvre dans le tumulte. À l’inverse, Bruno de Sá se préoccupe surtout de faire du beau son, et le fait très bien. Sa voix possède la lumière qu’appelle Josue, voix de l’espérance.

Impeccable Nathanaël, Jakub Jósef Orliński est un peu stoïque s’agissant de décrire l’horreur des serpents. Carlo Vistoli trouve dans l’imploration d’Eleazar matière à faire valoir son timbre comme son style. Sa voix épouse joliment celle de Bruno de Sá dans l’unique duo de l’œuvre.

Unique voix féminine, Julia Lezhneva a droit à deux airs dans le rôle de l’ange, de toute évidence écrit pour une star de l’ospedale. On connaît ses défauts : tendance à attaquer les aigus par en-dessous, avec des effets miaulant, exhibitionnisme vocal la poussant à accélérer le tempo et prolonger les cadences au-delà du musical. Force est de constater que la diva a été plutôt bien cadrée : éloquente et toujours surnaturellement agile, Lezhneva trille comme personne et déroule en souriant les doubles croches de l’irrésistible « Aura beata ». Mais la surprise vient du sublime « Caeli, audite », où elle varie ses effets sur 12 minutes, avec des finesses qu’on ne lui connaissait pas. Du grand art.

Cet air étiré illustre idéalement le talent de Thibault Noally, dont la pulsation exprime le mystère divin dont l’ange se fait le héraut. Tous les autres affects de l’œuvre sont justes et savamment dosés, sans jamais rien de mécanique ; les affinités de Noally avec l’oratorio et avec l’école napolitaine sont glorieusement confirmées. Sous sa direction, l’ensemble Les Accents ne mérite que des éloges. Un enregistrement à la fois sensible et brillant, qui vient avantageusement s’ajouter à celui du pionnier Jérôme Corréas, qui défendait honorablement l’œuvre avec des chanteurs engagés mais moins virtuoses.

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