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La Voix féminine et le plaisir de l’écoute en France aux XVIIe et XVIIIe siècles

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Livre
28 février 2013
Sirene che cantano…

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Sarah NANCY

La Voix féminine et le plaisir de l’écoute en France aux XVIIe et XVIIIe siècles

404 pages – 26€
+ 1 CD
ISBN 978-2-8124-0635-5
Classiques Garnier, 2012

 

Dans son air « Aprite un po’ quegli occhi » au dernier acte des Noces, Figaro gratifie les femmes d’une série de qualificatifs plus misogynes les uns que les autres. Lorsqu’on lit La Voix féminine et le plaisir de l’écoute en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, on se rend compte que Da Ponte n’a pas eu à chercher loin cet inventaire de méchancetés, car on les trouvait couramment sous la plume des théoriciens de la musique et du théâtre. Les femmes qui chantent sont dangereuses, et Sarah Nancy met au centre de son ouvrage la figure de Méduse, exactement comme ce personnage mythologique est au centre du Persée de Quinault et Lully. Emblème de tous les vices, la « fille de l’opéra » n’était pourtant pas simplement une gourgandine : elle incarnait à elle seule les séductions redoutables d’un genre encore nouveau, la tragédie lyrique, dont la naissance coïncide avec Cadmus et Hermione en 1673, et dont les derniers soubresauts se situent un peu moins d’un siècle après, avec la Polyxène de Dauvergne (1763). Et pour mieux étudier la perception de la voix féminine avant que n’entrent en usage les mots opéra ou même chanteuse (on ne parle d’abord que d’« acteurs »), Sarah Nancy commence fort logiquement par se pencher sur le discours qu’inspira la tragédie lyrique naissante, par-delà les propos hostiles que le genre devait inspirer par la suite.

La notion même de plaisir peut paraître difficilement compatible avec l’esthétique du Grand Siècle et avec un genre que la postérité a jugé corseté et contraint par des règles austères. Constituée et définie en réaction contre la musique italienne, la tragédie lyrique fut initialement perçue comme une création hybride, où les notes chantées et jouées perturbaient la jouissance du texte poétique : « entendre toujours chanter est une chose bien ennuyeuse », dit Saint-Evremond dans sa comédie Les Opéra (1678). Le chant crée un risque d’inintelligibilité du texte et de dévoiement du sens, « l’attention de l’auditeur risquant d’être détournée vers un pur plaisir de l’oreille » (63). Il n’est légitime que s’il favorise la compréhension du poème, que s’il en renforce les effets dramatiques ; pour cela, il doit donc être non pas « un élément autonome extérieur qui viendrait s’adjoindre à la forme parlée », mais « le produit d’un état exceptionnel de la forme parlée […], un état à plus haute teneur passionnelle, plus apte à communiquer les émotions au spectateur » (75). L’art du chanteur prend pour modèle la parole ordinaire, la tragédie lyrique s’intéressant tout spécialement au trouble du logos, quand l’émotion empêche un discours ordonné. Cantonné à une tessiture proche du parlé, la voix lyrique féminine évite les extrêmes de l’aigu comme du grave, comme pour atténuer sa singularité (c’est en partie parce qu’elle était perçue « comme une intensification de la voix féminine » [102] que la voix de castrat était largement irrecevable sur la scène lyrique française). Si la voix du haute-contre à la française « peut passer pour une voix qui parle un peu plus loin et plus fort, la voix féminine chantée est une voix dont on ne peut pas douter qu’elle chante » (119).

Pour qu’il y ait plaisir d’écoute, il faut que le spectateur échappe à la fascination de la sirène. Si la tragédie lyrique donne à entendre « la parole déréglée par le désir » (166), encore faut-il que la voix évite « une communication trop directe entre le chant et une intériorité entièrement sous l’emprise des passions » (148). Une vocalité excessive, trop virtuose, qui vise trop l’effet, s’opposerait au plaisir en supprimant la distance que doit procurer la représentation des affects : il faut ressentir les passions sans y être asservi. Dans les traités de chant du XVIIe siècle, le corps est absent parce que le souffle n’a pas à intervenir comme soutien, mais au contraire, et au même titre que dans le parlé courant, comme « ce par quoi la voix est, de l’intérieur, animée et fragilisée » (186). Devenu « faire-valoir de la langue française », le chant permet de « goûter un état de la langue plus soigné, plus éclatant » (201).

La période 1715-1720 marque le tournant lors duquel cette conception cohérente de la tragédie lyrique est renvoyée aux oubliettes par une nouvelle génération de spectateurs et de théoriciens. Les priorités s’inversent : « le poème passe du statut de caution à celui de prétexte » (220) et nul ne songe plus à affirmer que les vers de Quinault pourraient fort bien se passer de la musique de Lully. La voix chantée acquiert « le statut de référence pour la voix parlée » (224) et l’on donne le récitatif chanté comme modèle pour la déclamation théâtre, alors qu’on expliquait jadis que Baptiste avait appris son art auprès de la Champmeslé. Désormais, « c’est pour le chant, pour sa différence repérable d’avec la parole, qu’on va écouter le théâtre lyrique » (231). On ne va plus écouter un texte servi par des « acteurs », car « ce qu’on veut entendre, c’est un individu qui chante » (276) et ainsi naît le culte de la vedette, féminine en particulier. On veut sans cesse découvrir de nouvelles personnalités vocales, et « l’oreille est à la recherche de signes distinctifs individuels, de garanties de l’intime » (280). La voix féminine aidera des théoriciens comme Rousseau dans leur « quête du souvenir de la mélodie originelle » (272), elle est « un bien qui fait du mal, quelque chose qui promet de combler et cependant manque toujours, un objet dont la possession furtive est nécessairement le signal d’une rupture » (297). Au terme de cette démonstration magistrale et fascinante, Sarah Nancy nous offre le plaisir supplémentaire d’écouter sa propre voix dans un CD joint au livre : sur les 14 plages, à l’exception de la première (« Espoir si cher et si doux », d’Atys) et de la dernière (« Tristes apprêts », de Castor et Pollux), il n’y a pratiquement que l’inédit, de l’inouï, des extraits de Théagène et Chariclée de Desmarest, de Marthésie, de Destouches ou de Philomèle de Lacoste…

 

 

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La Voix féminine et le plaisir de l’écoute en France aux XVIIe et XVIIIe siècles

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