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HAENDEL, Agrippina — Venise

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Spectacle
11 octobre 2009
Anniversaire raté

Note ForumOpera.com

1

Infos sur l’œuvre

Dramma per musica en trois actes HWV 6 livret de Vincenzo Grimani
Créé à Venise, Teatro di San Giovanni Grisostomo, le 26 décembre 1709

Détails

Mise en scène, scénographie, costumes et lumières
Facoltà di Design e Arti IUAV de Venise , Classe spécialisée dans les techniques du théâtre.

Claudio Lorenzo Regazzo
Agrippina Ann Hallenberg
Nerone Florin Cezar Ouatu
Poppea Veronica Cangemi
Ottone Xavier Sabata
Pallante Ugo Guagliardo
Narciso / Giunone Milena Storti
Lesbo Roberto Abbondanza

Direction : Fabio Biondi

Venise, Teatro Malibran, Dimanche 11 octobre 2009

Agrippina est de retour à Venise, trois cents ans après la première vénitienne, et dans la foulée du 250e anniversaire de la mort du compositeur saxon, précisément dans le théâtre (aujourd’hui Théâtre Malibran) qui jadis fut le mythique Teatro San Grisostomo. A Venise, l’opéra avait déjà été programmé en 1983 et 1985, attestant le lien qui existe entre l’œuvre et la ville.

 
Haendel, arrivé en Italie en 1706, s’était bien inséré dans le monde romain, mais avait fréquenté aussi les scènes florentines (Rodrigo) et napolitaines (Aci, Galatea e Polifemo), l’opéra étant banni par la Rome papale. Agrippina est le point d’arrivée de son expérience italienne, le faîte d’une production riche de compositions importantes (cantates, œuvres sacrées et instrumentales). Le livret de l’opéra est attribué, non sans incertitude (voyez l’essai de Carlo Vitali) au Cardinal Vincenzo Grimani, propriétaire avec son frère Giovanni Carlo de ce théâtre qui alors était le plus en vogue à Venise. Haendel avait fait la connaissance du cardinal dans les milieux napolitains (un Grimani était vice-roi du royaume de Naples) ou romains. L’opéra obtint un succès extraordinaire : pendant la saison 1709-1710, il eut droit à 26 représentations, et l’opéra fut repris successivement à Naples (1715) et Hambourg (1718). Opéra au sujet historique, il s’insère bien dans la tradition vénitienne qui avait comme précédent la Poppée de Busanello-Monteverdi, dont le texte pourrait bien s’inspirer. Bien des critiques ont voulu voir dans le cadre classique romain une satire féroce de la décadence de la Rome du Pape Clément XI. Il semble toutefois plus probable – comme le soutient Carlo Vitali – que la clef de lecture de ce drame soit anti-française, la cour de Claude reflétant les vices du Versailles de Louis XIV. Effectivement, il y avait eu par le passé des dissonances entre Vincenzo Grimani (exerçant comme diplomate) et la cour française, notamment pendant et après la guerre de succession d’Espagne. Il y a plus d’une ressemblance (et pas seulement historiographique) entre Claude et Louis XIV, entre Néron et Philippe d’Anjou, entre Othon et Charles de Habsbourg et surtout entre Agrippine (dont le grand-père était le général de César, AGRIPPA) et Françoise d’Aubigné, plus connue comme marquise de Maintenon, dont le grand-père n’était autre que le huguenot AGRIPPA d’Aubigné, conseiller de Henri IV. L’opéra avait tout ce qu’il fallait pour être l’événement exceptionnel du Carnaval de 1710 et aujourd’hui encore, le texte autant que la musique en font un véritable chef-d’œuvre de la musique baroque. Musicalement, Haendel s’insère parfaitement dans la solide tradition vénitienne, offrant un opéra riche en récitatifs, et rendant magnifiquement l’ironie du texte avec des airs de très haut vol. La distribution était de tout premier ordre, avec notamment dans le rôle d’Agrippine Margherita Durastanti, qui avait déjà travaillé à Rome avec Haendel et les époux Boschi, qui devaient travailler plus tard avec lui à Londres. L’opéra pourrait aujourd’hui être à bon droit considéré comme un « pasticcio », puisque quatre-vingts pour cent de son matériel est repris (pour ne pas dire recyclé ou revisité) d’œuvres précédentes. Des réélaborations des airs du Trionfo del Tempo, de la Resurrezione, de Aci, Galatea e Polifemo, des cantates romaines, font de cet opéra un chef-d’œuvre dans l’art de la recomposition. Bien que cette composition soit de nature dramatique, on peut dire qu’Agrippine présente certaines caractéristiques de l’opéra-bouffe, ou du moins présente des traits humoristiques, parodiant l’opéra arcadien. Mais il serait peut-être plus juste de la définir comme une comédie à intrigue qui finit bien.

 

Jusqu’au dernier moment, on ne savait pas qui devait diriger l’opéra pour cette production vénitienne. Un article de la Frankfurter Allgemeine avait même évoqué l’annulation de la production en raison des restrictions économiques qui s’imposent au théâtre italien. Nous sommes heureux qu’en définitive l’anniversaire ait été respecté. Mais du triomphe rencontré voici trois cents ans, il ne reste plus rien. Le livret aurait aisément pu offrir une relecture contemporaine aux enjeux évidents : l’alliance entre femmes et pouvoir semble n’avoir jamais été aussi actuelle qu’aujourd’hui, surtout en Italie ! Au lieu de cela, l’indigente « scénographie-costumes-lumières » confiés aux jeunes étudiants – certes créatifs – de la faculté d’architecture de Venise a un parfum de production au rabais. On aurait envie de dire : on ne pouvait se montrer plus économe. Sans doute est-ce fondé, mais alors, il faut poser la question de l’attention que les théâtres italiens accordent aujourd’hui à l’opéra baroque, à plus forte raison dans une ville dont on se refuse à penser qu’elle ne présente pas un potentiel réel pour ce type de répertoire. L’installation scénique abstraite et irrationnelle se caractérise par des murs mobiles (à l’occasion poussés par les personnages eux-mêmes), manifestement déjà cassés lors de la seconde représentation, des escaliers fictifs, des colonnes vacillantes, des tentures de nylon doré, des draperies synthétiques, des voiles en plastique ornés de dessins sanguinolents peu clairs, et un plafond tout bonnement sordide.

 

La distribution est de bon niveau, avec des points d’excellence hélas un peu gâchés par la scénographie et l’espace scénique. En particulier, Ann Hallenberg est parfaitement à son aise dans le rôle principal. Vocalement parfaite, elle possède une voix splendide et domine de sa présence scénique les trois heures et demie de musique. Le peu d’émotions procuré par cette soirée vient de cette artiste, notamment avec les airs « Pensieri » et « Ogni Vento ». Elle réussit aussi à mettre en valeur les seuls costumes un peu sensés vus pendant cette soirée. Après Ariodante, elle incarne à la perfection un autre rôle-culte de Haendel. Fantastique. Elle est très certainement une des stars du paysage baroque d’aujourd’hui. On ne pouvait imaginer Poppée plus sensuelle et érotique que Veronica Cangemi. Stupéfiante dans les airs “Vaghe perle” et “Ho non so che nel cor”. Moins brillante dans l’air “Bel piacere”. Lorenzo Regazzo est le seul à avoir un rôle idéal pour la mise en scène. Il interprète bien un Claude errant entre Bacchus à Vénus. Le Néron de Florin Cesar Ouatu est parfois impalpable, car la voix n’est parfois guère audible depuis la salle, sauf lorsqu’il quitte le plateau pour l’air de grande virtuosité ‘Come nube”, faisant montre de grands dons d’agilité, mais le tempo pris pour cet air était presque grotesque. Pendant tout l’opéra, il reste un peu empoté dans son rôle, ne sachant jamais quel caractère donner au personnage (et ce n’est pas sa faute !). Excellent dans l’air « Volo Pronto ». Dommage que là encore il ait souffert d’un tempo par trop rapide. L’Othon de Xavier Sabata, vocalement appréciable, a été vraiment trop gâché par des costumes ignobles et une mise en scène inconsistante. La voix est belle, et le rôle lui offre quelques-uns des plus beaux airs de l’opéra. Excellent Roberto Abbondanza, qui nous offre un Lesbo de commedia dell’arte. Le petit bijou de la soirée. A souligner, à la fin de l’opéra, l’apparition de Junon, interprétée par l’excellente Milena Storti (qui chantait aussi le rôle de Narcisse), équipée d’ailes emplumées, d’un costume tapageur… la faisant ressembler davantage à un archange Gabriel dans l’imagerie mexicaine du XVIIIe siècle qu’à une déesse grecque.

 

Fabio Biondi a le grand mérite de donner de l’unité à un orchestre pas très familier de ce répertoire. C’est une bonne surprise. Hélas, sa direction se caractérise par des tempi hyper-rapides (beaucoup de chanteurs ont paru en difficulté face à ce parti pris), par des cadences suspendues avec une note finale forcée, par des accents appuyés à l’extrême, par des ritardando et des accelerando (même quand la partition ne l’exige pas) et une quête constante de l’effet. La musique ne nous émeut jamais. Elle le devrait pourtant, au vu de la qualité de l’opéra. L’édition de Clifford Barlett, utilisée pour la circonstance, est constellée d’erreurs. Sa révision ne les corrige pas toutes.

 

Attendons peut-être, avec confiance, le prochain anniversaire de l’oeuvre en 2019, pour faire un bilan de l’état de santé de l’opéra baroque en Italie. Aujourd’hui, il ne manque pas seulement d’argent, mais de médecins – et même d’infirmiers. 

 

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Agrippina Ann Hallenberg
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