Ce mercredi 15 octobre, le théâtre de l’Athénée reprenait pour une nouvelle série de représentations, la production de Don Giovanni proposée par la compagnie lyrique de l’Arcal et réalisée par Jean-Yves Ruff, qui avait triomphé la saison dernière. Ce qui frappe au premier abord, c’est l’ingéniosité du metteur en scène pour tirer le meilleur parti du cadre restreint qui est mis à sa disposition. En l’absence de fosse, l’orchestre est placé sur le plateau et participe à l’action en symbiose avec les personnages qui évoluent parmi les musiciens. Lors du bal qui clôt le premier acte par exemple, certains instrumentistes portent des masques identiques à ceux des chanteurs. Au-dessus, une passerelle transversale à laquelle on accède par un escalier étroit permet aux protagonistes d’évoluer sur deux niveaux dans une sorte de mouvement perpétuel qui anime le plateau durant tout le spectacle. Des lampes descendant des cintres, quelques rideaux de tulle qui délimitent l’espace, viennent compléter ces décors succincts mais somme toute suffisants pour laisser libre cours à l’imagination du spectateur. Les costumes intemporels signée Claudia Jenatsch renvoient à un passé indéterminé. Donna Anna est vêtue d’une longue jupe rouge et d’un haut clair, Elvira d’une robe bleu ciel, Zerlina est comme il se doit tout en blanc, Masetto arbore une chemise blanche et un pantalon beige. Les autres hommes portent des vêtements, vestes ou manteau long, de couleurs sombres.

La distribution est rigoureusement la même que celle de l’an passé, une équipe de jeunes chanteurs à l’enthousiasme communicatif qui ont manifestement peaufiné leur interprétation tant scénique que vocale. Doté d’un physique avenant, Timothée Varon capte d’emblée l’attention, tant par l’aisance de sa gestuelle que par son timbre chaleureux et profond. Il campe un Don Giovanni dominateur qui séduit autant qu’il impressionne. Son air « du champagne » chanté à vive allure et d’une voix claironnante, enthousiasme le public tout comme sa sérénade dont la reprise en demi-teinte témoigne d’un goût exquis. A ses côtés, Adrien Fournaison ne démérite pas. Son Leporello velléitaire et soumis ne manque pas d’atouts. Tout aussi à l’aise sur le plateau que son maître, sa voix de stentor et sa technique accomplie font mouche notamment dans son air du catalogue, magistralement chanté. Les deux autres clés de fa sont à la hauteur de leurs partenaires, Mathieu Gourlet est un Masetto robuste aux graves profonds et sonores, quant à Nathanaël Tavernier son timbre de bronze convient idéalement à son personnage de revenant. Enfin Abel Zamora (Ottavio) possède une voix claire et un souffle qui paraît inépuisable. L’élégance de son style et la subtilité de son legato font merveille dans ses deux airs, notamment « Il mio tesoro », largement ovationné par le public. Côté féminin, nous sommes également à la fête, Michèle Bréant est une exquise Zerline à la voix cristalline et à la ligne de chant subtilement nuancée. Son « Batti, batti, o bel Masetto » est un moment de grâce. La Donna Elvira de Margaux Poguet est véhémente à souhait au premier acte face à Don Giovanni. Dotée d’une voix large au timbre cuivré, ses aigus percutants ne sont pas exempts de légères stridences qui siéent à son personnage de femme trahie. Au deuxième acte elle interprète un « Mi tradi’ » bouleversant orné de vocalises parfaitement maîtrisées. Marianne Croux campe une Donna Anna aux affects contrastés, « Or sai chi l’onore » a toute l’autorité requise tandis que son « Non mi dir » empreint de douceur et de nostalgie dans sa partie lente s’achève sur un feu d’artifice de coloratures d’une belle précision. Quatre choristes de talent viennent compléter cette distribution sans faille.
Julien Chauvin qui dirige depuis son violon adopte des tempos effrénés, entraînant son orchestre dans une sorte de course à l’abîme jusqu’à la chute finale du héros, avec seulement quelques pauses où la musique paraît suspendue comme « Dalla sua pace » ou le début de « Non mi dir ». On aura admiré au passage le souci du détail et la précision qui caractérisent cette direction ainsi que les splendides sonorités cuivrées du Concert de la Loge.