Il semblerait que toutes les fées se soient penchées sur ce spectacle : dès les premiers instants, où un bonimenteur vient sur scène nous présenter un à un les protagonistes, quelque chose de magique se produit. À partir de là, on ne s’ennuie pas une seconde et l’enchantement se prolonge jusqu’aux toutes dernières notes. Tania Bracq s’était déjà enthousiasmée à l’Opéra de Rennes devant cette tourbillonnante Flûte enchantée qui, avant de terminer son périple au Grand Théâtre d’Angers, s’installe au Théâtre Graslin de Nantes. Le spectacle et la distribution restent les mêmes, à l’exception notable de la Reine de la Nuit, qui bénéficie d’une double distribution.

C’est donc sous le signe de la fête foraine que Mathieu Bauer a décidé de placer sa production. Le metteur en scène, déjà récompensé par un prix de la critique pour son coup d’essai sur le Rake’s progress il y a trois ans, place le décor de l’opéra sur un carrousel composé des éléments attendus de la fête foraine, quoique épurés : kiosque à boissons et confiseries, train fantôme dont l’entrée est un crâne, roue de loterie, balançoires, pommes d’amour et ballons gonflables. Le dispositif est simple, mais riche de sous-entendus ; il sert magnifiquement l’intrigue et la musique de Mozart. S’adressant aux néophytes comme à ceux qui connaissent leur Flûte et ses innombrables adaptations sur le bout des doigts, le spectacle est tous publics (par exemple, les enfants ne s’offusqueront pas de voir Papageno confectionner des formes proches des appareils génitaux masculins avec les ballons de baudruche qui sont dans sa cage à oiseaux, jouant sur le double sens d’« oiseau », aussi bien en allemand qu’en français, l’oiseleur se contentant de faire des nœuds pour toute âme innocente…). Résumé avant même la première note de musique par un bonimenteur/Monsieur Loyal formidable qui n’est autre que Sarastro, le spectacle subjugue le public qui se fait rapidement complice, n’hésitant pas, par exemple, à chanter spontanément avec les hommes d’armes ensorcelés sous la direction de Papageno, entre autres moments enchantés. L’univers de Mathieu Bauer joue de la porosité : entre théâtre, musique et cinéma entre autres, les références pullulent. Les costumes très réussis de Chantal de La Coste-Messelière font songer à Jacques Demy (cela tombe bien à Nantes), notamment les bérets et robes de couleurs vives des Demoiselles ou des Parapluies. Placé sous le signe du soleil, Sarastro et ses forains semblent tout droits sortis de Star Trek ou de Flash Gordon, quand la Reine de la nuit, sorte de Calamity Jane, arme à feu au flanc, est en fait inspirée par la Joan Crawford de Johnny Guitare comme l’explique le metteur en scène. On pense également à certains classiques du cinéma allemand, comme Le Tambour ou M le Maudit, notamment pour le couteau et les grappes de ballons très sexuées dans le film, mis à part le fait que notre parcours initiatique se termine ici évidemment bien. Nous sommes dans un univers qui rappelle celui de La Ronde de Max Ophuls, mais la syphilis ne se répand pas de couple en couple. Autrement dit, si le manège est ici lié au monde de l’enfance et à une forme d’innocence, cela n’empêche pas d’y voir des allusions à un monde bien réel et nettement moins charmant si l’on y regarde d’un peu plus près. Au spectateur de décider et il semble bien que le public ait fait le choix de la bonne humeur, suivant le schéma de la fin heureuse où l’on voit des couples se former sur le plateau, y compris du même sexe, aussi bien féminin que masculin, encadrés par Sarastro et la Reine de la Nuit dont on parierait qu’ils sont sur le point de se réconcilier. De nombreuses trouvailles plutôt malines permettent de mettre à peu près tout le monde d’accord : Monostatos devient par exemple un homme de basses besognes qui, de fait, est couvert de cambouis. Inutile de le barbouiller de cirage, donc, et de prêter le flanc à d’éventuelles polémiques. La mise en scène ne fait que peu ou pas de parallèles avec la franc-maçonnerie ou la mythologie égyptienne, mais pour autant, nous offre largement de quoi nous mettre sous la dent. Par ailleurs, entre une première partie inondée de lumière et saturée de couleurs en contraste avec la suite où l’obscurité et les éclairs et autres effets lumineux se succèdent, il faut saluer le travail de William Lambert à la lumière et celui de Florent Fouquet à la vidéo.

Le plateau vocal est de très haute tenue. Pour son premier spectacle en France, le natif de Regensburg (Ratisbonne) Maximilian Mayer semble s’être parfaitement intégré dans une équipe largement francophone. C’est un bonheur d’entendre le ténor Bavarois à la diction parfaite déclamer le texte avec délectation et chanter d’une voix étincelante et radieuse qui prend de l’assurance au fur et à mesure que son personnage s’arme de courage et de confiance. Le chanteur est doté d’un physique de jeune premier très Fifties et le timbre de sa voix séduisante et ensoleillée ne sont pas sans rappeler celle de Fritz Wunderlich. Pour sa prise de rôle en Pamina, Elsa Benoit confirme son talent et nous comble. Beauté du timbre, noblesse de caractère et solidité de la technique font d’elle une interprète mozartienne de rêve. Du rôle de la Reine de la Nuit particulièrement périlleux, Lila Dufy ne fait qu’une bouchée, parfaitement à l’aise. « Der Hölle Rache » semble si facile, à entendre la colorature, ses vocalises étant solidement ciselées et projetées avec aisance et un naturel absolument confondants. Alors qu’il nous a immédiatement conquis dans son rôle parlé de bonimenteur, Nathanaël Tavernier n’a aucun mal à asseoir son aura en Sarastro qui tire les ficelles et fait tourner le manège. Voix de velours, graves convaincants et délicats, le médium est parfois inégalement assuré, mais le personnage existe puissamment, soutenu par la personnalité rayonnante d’une basse de très haut niveau. Benoît Rameau réussit à rendre son Monostatos infiniment sympathique et humain, secondé efficacement par les rôles masculins de comprimari. Les Trois Dames forment un trio bien accordé et il faut saluer la performance des Trois Enfants, quand bien même ils ont eu un moment de flottement lors de la Première nantaise, qu’ils ont très bien rattrapé. Le Chœur de chambre Mélisme(s) est impeccable. Mais celui qui parvient à faire chavirer tout un chacun est indéniablement Damien Pass, irrésistible Papageno, qui se met immédiatement tout le public dans la poche. Excellent comédien et chanteur idoine, le baryton forme un couple tout ce qu’il y a de plus charmant avec Amandine Ammirati, délicieuse Papagena. Dans la fosse, Nicolas Ellis conduit l’Orchestre national de Bretagne avec fougue et dynamisme. Une formidable réussite dont on ressort le cœur léger et joyeux.
Comme tous les ans, l’opéra sera proposé gratuitement dans le cadre de l’Opération « Opéra sur écrans ». Filmée en direct le soir de la dernière au Grand-Théâtre d’Angers, le mercredi 18 juin, l’opéra sera projeté sur écran géant devant les théâtres de Nantes et Angers. En même temps, il sera retransmis dans une quarantaine de salles et de cinémas en région Bretagne ou dans les Pays de la Loire, mais aussi, plus curieusement, au cinéma municipal de Sarrebruck, en Allemagne. Les lieux de projection gratuite de l’opéra sont précisés sur la page dédiée du site d’Angers Nantes Opéra. On pourra également voir cette Flûte enchantée en direct sur huit télévisions locales, sur les sites internet de France 3 Bretagne et Pays de la Loire et en streaming sur France.tv.