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Un jour, une création : 27 février 1822, Schober et Schubert ne transformeront pas leur essai

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27 février 2022
Un jour, une création : 27 février 1822, Schober et Schubert ne transformeront pas leur essai

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Au début de l’année 1822, Franz Schubert vit dans la maison de son ami poète et homme de théâtre Franz von Schober à Vienne. Ça ne s’invente pas ! Compagnons des fameuses « schubertiades », c’est Schober qui accueille plusieurs fois par semaine amis, copains, relations, confrères. Durant l’été précédent, Schober suggère à son ami de se mettre à écrire un opéra dont il réaliserait le livret. Cette idée devient une telle obsession qu’il ne laisse guère le choix à un Schubert qui se montre de toute façon intéressé. Ni une, ni deux,  Schober rédige le livret « avec un joyeux enthousiasme et dans un état de grande innocence de cœur et d’esprit », écrira-t-t-il plus tard. Le titre est choisi avant même que le texte ne soit prêt : ce sera Alfonso und Estrella. Si c’est la première collaboration entre les deux hommes pour une œuvre lyrique, ce n’est pas le premier essai de Schubert, qui a failli rencontrer un vrai succès peu de temps auparavant avec une Harpe enchantée. Mais sans lendemain.

Tout à leur enthousiasme réciproque, les deux hommes ne se quittent plus. Schubert, moins à l’aise que son ami sur le plan financier, le suit partout. Ils voyagent ensemble, notamment à Sankt Pölten où ils passent des vacances à écrire et à visiter cette région située à 60 kilomètres de Vienne, résidant chez l’évêque de la ville, parent de Schober, au château d’Ochsenburg. Ces conditions idéales permettent à Schubert d’avancer très vite dans sa partition, écrite strictement parallèlement au livret. En quelques semaines, entre septembre et octobre 1821, le premier acte est achevé et orchestré. Le deuxième est plié en deux semaines, juste après leur retour à Vienne début novembre. Et voici 200 ans aujourd’hui, Schubert termine le troisième et dernier acte. L’ouverture est également prête.

Il est de bon ton de trouver le livret de Schober un peu simpliste. Un simple regard sur la production de l’époque permet de constater qu’il ne l’est pas moins qu’à peu près tous les autres. 

L’action de déroule dans la péninsule. Troïla, roi du León, est un monarque déchu qui vit retiré, comme un ermite, avec quelques fidèles. Il a été chassé par Mauregato, qui s’arroge le trône avec toute la méchanceté possible. Ces deux-là ont pour l’un un fils aussi beau que courageux, Alfonso et pour l’autre une fille aussi belle que brave, Estrella. Que croyez-vous qu’il arrivera ? Eh oui, vous avez deviné. Mais avant cela, il faut bien sûr qu’un sous-méchant vienne casser les pieds de tout le monde en voulant forcer la belle à l’épouser, fort de sa position avantageuse auprès de Mauregato, puisque c’est son homme de main, un vil mercenaire. Il s’appelle Adolfo, figurez-vous, ce sous-méchant. Comme de bien entendu, Estrella ne veut pas de ce rustre. Son usurpateur de père indique donc à Adolfo que s’il rapporte le saint talisman du vieil Eurich, bijou inestimable, il lui donnera sa fille. C’est simple comme bonjour. 

De son côté, Troïla révèle à son fils Alfonso qui il est vraiment : oui, c’est un prince, fils de roi, qui accompagne son père dans la déchéance de l’exil. Il lui remet un talisman comme preuve de son identité… Tiens, tiens, un talisman…

On chasse dans la forêt et Estrella y participe. La voilà perdue et… tombe sur Alfonso qui passe par là. L’opéra permet de ces miracles ! Coup de foudre, bouleversement, larmes de joie, tout y passe. Alfonso ne trouve rien de mieux que de donner son bijou-talisman à Estrella en gage de son amour tout neuf, et il lui montre la route qu’elle doit suivre, sans savoir qui est sa conquête. En amour chacun sait qu’on est bouche bée le premier jour et indiscret les trente années qui suivent. Pendant ce temps, le vilain Adolfo ronge son frein et ses ongles. Il monte une conspiration vite fait bien fait et renverse Mauregato qui s’enfuit. Maître des lieux, il entend bien forcer Estrella à céder sans avoir à chercher la breloque du vieil Eurich. Mais patatras, voilà qu’Alfonso survient (vous avez remarqué qu’il est toujours là où on ne l’attend pas !), enlève Estrella, l’amène chez son père, rassemble des guerriers et va soumettre Adolfo presque sans forcer. Mauregato, qui revient de son court exil, doit admettre qu’il s’est bien fait avoir et accepte le mariage d’Alfonso et Estrella – d’autant qu’Alfonso a donné le fameux talisman – tandis que Troïla réapparaît et que tous reconnaissent le vrai roi. Happy end sur fond de réconciliation générale. 

Avec ses rebondissements et les caractères très distincts des cinq personnages principaux, il y a donc tout ce qu’il faut à Schubert pour imaginer une musique idoine. Mais tout comme Schober, dans sa fièvre, il confond vitesse et précipitation. Plusieurs numéros sont relativement répétitifs et l’orchestration est parfois baclée alors qu’il convoque au contraire une instrumentation très élargie dans plusieurs numéros, y compris des percussions nombreuses, ce qui est nouveau chez lui. Pour autant, le compositeur s’inscrit non sans vision dans le grand opéra romantique, qui commence à déployer ses ailes : des profils psychologiques plus affinés, des récitatifs réduits au minimum, des airs amples et dramatiques, des chœurs quasi omniprésents… 

Schubert et son librettiste sont confiants. Le compositeur est par ailleurs de plus en plus soucieux de défendre lui aussi l’opéra allemand contre ce que Beethoven appelle au même moment les « roucoulades italiennes ». Il a assisté à la création viennoise du Freischütz de Carl Maria von Weber en novembre 1821 et, contrairement à Schober et à la majorité du public présent, il a beaucoup aimé. Or, en ce mois de février 1822, Weber est à Vienne pour superviser une reprise du Freischütz, dans le but de restituer la version originale et intégrale, c’est à dire sans les grands coups de ciseaux que la censure avait imposés à la version de novembre 1821. Les jeunes artistes s’enthousiasment pour leur nouveau héros. Schober et Schubert le rencontrent à cette occasion et Weber se montre particulièrement amical avec eux, et en particulier avec son confrère. Il est probable que les deux hommes présentent la partition d’Alfonso und Estrella à leur aîné.

Schubert voudrait faire monter l’œuvre au Théâtre de la Porte de Carinthie, plutôt tourné vers l’opéra allemand. On lui a commandé une nouvelle partition, mais on n’y reçoit pas Alfonso und Estrella. Il l’envoie donc à Weber à Dresde, qui lui répond, mais sans que les perspectives s’améliorent pour Schubert. Ce dernier écrit à son ami Spaun : « Quant à l’opéra, il n’y a rien à faire à Vienne (…) Je voudrais [l’] envoyer prochainement soit à Dresde d’où Weber m’a envoyé une lettre pleine de promesses, soit à Berlin ». 

Mais tout cela ne fonctionnera pas, ce qui l’assombrira beaucoup.

Il faudra attendre 1854 pour que Liszt en fasse donner une version tronquée à Weimar. La première représentation de l’œuvre originale et complète attendra 1991, après avoir été précédée par une version révisée par Johann Fuchs. Mais avant cela, elle a été enregistrée, et par des interprètes de toute première grandeur. Jugez plutôt cet ensemble final avec, tenez vous bien, Dietrich Fischer-Dieskau, Hermann Prey, Peter Schreier, Theo Adam et Edith Mathis, sous la direction d’Omar Suitner à Dresde.

 

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