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FAURÉ, Requiem (1888) et Pièces sacrées – Chœur de chambre de Namur

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CD
4 novembre 2024
Un album lumineux pour commémorer le centenaire de la mort de Fauré

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Gabriel Fauré (1845-1924)
Cantique de Jean Racine op. 11 (1865)
En prière (1890)
Madrigal op. 35 (1er Décembre 1883)
Messe des pêcheurs de Villerville (1881)
-Kyrie (André Messager)
-Gloria
-Sanctus
-O Salutaris (André Messager)
Agnus Dei
Ave verum corpus op. 65/1 (1894)
Maria Mater Gratiae op. 47/2 (1er Mars 1888)
Tantum ergo sacramentum op. 65/2 (1894)
Requiem op. 48 (1ère version, Janvier 1888)
-Introït et Kyrie
-Sanctus
-Pie Jesu
-Agnus Dei
-In paradisum

Détails

Caroline Weynants, soprano (Pie Jesu)
Sue Ying Koan, violon solo
Marjan de Haer, harpe Érard (1929)
Pascale Dossogne, harmonium Alexandre (ca 1860) et orgue Cavaillé-Coll (1880)

Chœur de chambre de Namur
Millenium Orchestra
Direction musicale
Thibaut Lenaerts

Enregistrement: Collège jésuite d’Heverlée (Louvain), 14-15 Juillet 2024
et Grand Manège de Namur, 16-17 Juillet 2024
Production: Jérôme Lejeune
Direction artistique, prise de son et montage: Manuel Mohino

1 CD Ricercar
Durée : 56’31
Livret trilingue fr./eng./d.

Parution le 1er novembre 2024

L’illustration de couverture judicieusement choisie pour cet album en traduit parfaitement le climat : c’est un tableau d’Henry Lerolle, La répétition à la tribune, où l’on voit la chanteuse Marie Escudier, en tenue d’après-midi, chanter partition en main accompagnée à l’orgue, à la tribune de Saint-François Xavier, écoutée à l’arrière-plan par Ernest Chausson. La lumière est dorée, tout respire la bienséance tranquille, un catholicisme immuable, une société solide et sûre d’elle-même.

Le Chœur de chambre de Namur a choisi, pour commémorer le centenaire de la mort de Fauré, le 4 novembre 1924, d’enregistrer quelques-unes de ses nombreuses partitions sacrées, lui dont la piété semble avoir été fluette, bien qu’il ait grandi dans le milieu de l’École Niedermayer et passé moult heures de sa vie à l’orgue de la Madeleine.

Henry Lerolle : Répétition à la tribune © Metmuseum

Hédonisme et ferveur

Judicieux aussi de commencer avec la magie si simple du Cantique de Jean Racine, œuvre d’un Fauré de vingt ans, tranquille travail de fin d’études à l’École Niedermayer qui lui vaudra un 1er prix de composition, et rayonne de ferveur dans la clarté de ses quatre voix, la lumière des sopranos se posant sur l’assise feutrée des basses. Grandi dans le culte de Josquin et de Palestrina, Fauré ajoute à ce savoir polyphonique une sensualité et une langueur qui lui seront propres.
Sous la direction de Thibaut Lenaerts, le Chœur de chambre de Namur suit à la lettre les indications de dynamique de Fauré, du pianissimo au forte. Mais ce respect de la lettre ne serait rien s’il ne s’alliait à une compréhension profonde de l’esprit de cette œuvre. Un harmonium et les cordes du Millenium Orchestra se fondent dans une douceur sereine qui semble annoncer celle de l’Agnus Dei du Requiem. Il y a là un hédonisme typiquement fauréen, un quiétisme en bémol majeur, de la pudeur mais une grande force intérieure en même temps.

Henri Farré : « Portrait de Gabriel Fauré », 1906. Paris, musée Carnavalet

Incertitudes impalpables

Peu connues, les pièces brèves qui émaillent cet album. Ainsi les deux motets pour voix solistes féminines opus 65. L’Ave verum composé pour deux voix, soprano et alto, est d’une limpidité exquise : commençant en la bémol, puis évoluant vers un sol bémol, puis un fa majeur que des altérations viennent infléchir à son tour, il est tout en incertitudes impalpables qui sont l’essence même de l’art de Fauré, et qu’on retrouve dans le Tantum ergo à trois voix, deux de sopranos et une d’alto, partant de mi majeur mais modulant sans cesse. Accompagnées d’un harmonium discret, ces deux pièces encadrent le duo pour deux voix masculines, ténor et baryton, Maria Mater gratiae, où ce sont les rythmes qui sont changeants, et que le Chœur de chambre de Namur enlève avec élégance.

Même recherche de lumière pour En prière, mélodie pour soprano et orgue, que les voix féminines du chœur chantent à l’unisson avec une impeccable homogénéité, sur des arpèges de harpe, faisant de cette page d’une mièvrerie aimablement sulpicienne une belle démonstration de maîtrise. Un Madrigal op. 35 particulièrement riche en glucides, sucre d’orge musical sur un texte d’Armand Silvestre offert en cadeau de mariage à son ami André Messager, vient compléter cette brochette de petites pièces. Quelque désuet soit ce pastiche à la Puvis de Chavannes, ses harmonies feront fondre les âmes sensibles (et ricaner les autres…)

À l’ombre des pommiers en fleurs

La Messe des pêcheurs de Villerville est une partition charmeuse et tendre que Fauré et Messager composèrent à l’été 1881 alors qu’ils villégiaturaient en Normandie chez leurs amis Clerc, à Villerville. On les imagine vêtus d’alpaga et le canotier de biais, la cigarette jaunissant leur moustache, et noircissant le papier à musique à l’ombre d’un pommier. Messager s’était chargé du Kyrie et d’un O salutaris touchant de sentimentalité. Elle fut créée un dimanche de septembre au profit de la Société d’entraide des pêcheurs de l’endroit, d’où son surnom.
Elle garde ici toute sa gentillesse campagnarde, accompagnée qu’elle est par l’harmonium discret de Pascale Dossogne et le violon obligé de Sue Ying Koang. En quoi elle diffère de la version enregistrée en 1988 par Philippe Herreweghe qui faisait intervenir, comme pour la reprise plus luxueuse de 1882, un quintette à cordes et un trio flûte-hautbois-clarinette. Ici on retrouve la fraîcheur de la version princeps, créée par treize voix féminines dont s’enchantait Fauré disant que « malgré la gaité des répétitions ou peut-être à cause de la gaité des répétitions, l’exécution a été excellente et cette maîtrise improvisée, aussi jolie à voir qu’agréable à entendre, m’a un peu reposé de ma sévère Madeleine. » En quoi il était à l’unisson de Marie Clerc, non moins ravie : « Nos amis artistes Messieurs Fauré et Messager avaient composé une messe que nous avons très bien chantée, soit dit sans modestie aucune. La quête a été de 560 francs, ce qui est gentil pour un petit trou comme Villerville ».

On aime ici tout particulièrement l’harmonium sautillant du Gloria, et les voix un peu pointues du chœur, précédant un Qui tollis onctueux (avec violon lacrymal), mais aussi le recueillement du bref Sanctus et les contrepoints modulants de l’orgue, puis la sincérité de l’Agnus Dei, à la tonalité assez insaisissable, sur les confins de la modalité.
À l’instar des amies de Mme Clerc, les chanteuses du Chœur de Namur pourront dire « sans modestie » avoir « très bien chanté » cette partition sans prétention, que Fauré devait bien aimer aussi, puisqu’il la reprit en 1907 sous le nom de Messe basse : il supprima les parties de Messager, composant un nouveau Kyrie et ne gardant du Gloria que le Qui tollis qu’il transforma en Benedictus. Assez rarement donnée, Michel Corboz en a laissé une belle version avec son ensemble de Lausanne en 1992.

Pour rien… pour le plaisir

Les versions enregistrées du Requiem sont innombrables. L’intérêt de celle-ci est d’en restituer la genèse. On sait que Fauré l’écrit d’abord sans intention particulière : « Mon Requiem a été composé pour rien… pour le plaisir, si j’ose dire ! » C’est sa première composition pour la Madeleine. De sa propre initiative, qui étonnera le curé : « – Voyons, Monsieur Fauré, nous n’avons pas besoin de toutes ces nouveautés ; le répertoire de la Madeleine est bien assez riche. »
Il commence à y penser en 1877 et y travaillera pendant une dizaine d’années, de loin en loin peut-on supposer. La première version – c’est son originalité – ne compte alors ni l’Offertoire (avec l’Hostias) ni le Libera me (pour baryton l’un et l’autre). Il les ajoutera en 1891, reprenant un Libera me écrit dès 1877, en même temps qu’il augmentera l’instrumentarium de deux bassons, deux cors , deux trompettes et trois trombones. Puis pour la version symphonique de 1900 il ajoutera un pupitre de violons et les bois par deux.
La version 1888 résonne pour la première fois dans l’immense Madeleine le 16 janvier à l’occasion des funérailles d’un architecte, Joseph Le Soufaché. La Madeleine respecte encore la règle romaine proscrivant les voix féminines. Les parties de soprano et d’alto sont donc chantées par la maîtrise de garçons, et c’est un jeune garçon, Louis Aubert, qui est le premier soliste du Pie Jesu. On se souvient d’ailleurs que Philippe Herreweghe enregistra une version 1893 reconstituée, avec les Petits Chanteurs de Saint-Louis.

Fauré chez lui, bd Malesherbes

Ici, faute de garçons, on entend les huit sopranos et six altos du Chœur de chambre de Namur (avec six ténors et six basses), qui, avec deux pupitres d’altos, deux de violoncelles, une contrebasse, un orgue, une harpe et des timbales donnent une version certes proche de celle de la création, mais pas tout à fait historique…

Un Requiem décoiffant

Le retour aux sources, c’est une chose, intéressante en soi. Mais, finalement plus déconcertantes, il y a aussi les options de Thibaut Lenaerts. Entre autres, une rapidité des tempis qui va à l’encontre de la lenteur cérémonielle, parfois confite, à laquelle nos oreilles sont habituées, et qui serait par convention associée à l’idée de ferveur…

Plutôt que des alanguissements extatiques, ou considérés comme tels, Thibaut Lenaerts choisit de privilégier l’hédonisme sonore. Ainsi ce qui étonne d’abord, outre la prononciation à la française garantie d’époque (« Et lux perpetua » et non pas « Et loux perpetoua »…), c’est la puissance et la présence de l’orgue Cavaillé-Coll du monastère jésuite d’Heverlée, un huit-pieds de 1880, aux sous-basses terribles.
Et son accord initial fortissimo lance un Introït étonnamment vif pour un Lento, sur lequel surenchérira de vitesse le Kyrie (écouter les pizz de la contrebasse…). Très allant aussi le Sanctus sur de rapides arpèges de harpe, avec l’appui de l’orgue en fond, et surtout un violon solo dans le suraigu.

Alliances de timbres

Sur ce dernier point, Thibaut Lenaerts est fidèle à ce qu’on peut conjecturer de la création : un unique violon sur les confins supérieurs de sa tessiture. Même si la partition indique « violons » au pluriel, on s’est inspiré ici de l’exemple de la Messe des pêcheurs. Le résultat est spectaculaire du point de vue du son : des graves d’outre-tombe du grand orgue à l’extrême-aigu du violon, des voix féminines du Sanctus à l’énergique entrée des voix d’hommes dans l’Hosanna, la palette est d’une ampleur inouïe au sens propre du mot. Écouter à la fin de cet Hosanna le violon éclairant de sa lumière les derniers accords du Cavaillé-Coll.

En revanche le Pie Jesu sera plus contemplatif, porté par la voix très séraphique de Caroline Weynants. Avant un Agnus Dei lui aussi étonnamment tonique (écouter les attaques des pupitres de cordes). La dynamique est assez corsée (les accords de l’orgue avant le retour du Requiem !) à l’amble de cette lecture très articulée, puissante, fruitée…
Et colorée. Après tout ce Requiem n’est-il pas contemporain du renouveau de la peinture d’église prôné par un Maurice Denis à la palette non moins audacieuse.

L’In paradisum lancé par les pimpants arpèges de l’orgue donnera l’image d’un paradis joyeux et aimable, ce qu’on peut espérer qu’il est. Transparence juvénile presque acidulée des voix féminines et retour du violon solo.

C’est très beau et ça palpite de vie. Peut-être un Francis Poulenc qui disait « haïr » ce Requiem l’aurait-il mieux aimé ainsi revigoré…

Au total, une version originale à double titre, servie par un Chœur de chambre de Namur virtuose, impressionnant de précision et de plénitude vocale. Et un album offrant un portrait sémillant du jeune Fauré « maître des charmes ».

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Cantique de Jean Racine op. 11 (1865)
En prière (1890)
Madrigal op. 35 (1er Décembre 1883)
Messe des pêcheurs de Villerville (1881)
-Kyrie (André Messager)
-Gloria
-Sanctus
-O Salutaris (André Messager)
Agnus Dei
Ave verum corpus op. 65/1 (1894)
Maria Mater Gratiae op. 47/2 (1er Mars 1888)
Tantum ergo sacramentum op. 65/2 (1894)
Requiem op. 48 (1ère version, Janvier 1888)
-Introït et Kyrie
-Sanctus
-Pie Jesu
-Agnus Dei
-In paradisum

Détails

Caroline Weynants, soprano (Pie Jesu)
Sue Ying Koan, violon solo
Marjan de Haer, harpe Érard (1929)
Pascale Dossogne, harmonium Alexandre (ca 1860) et orgue Cavaillé-Coll (1880)

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