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MANTOVANI, Voyage d’automne – Toulouse

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Spectacle
26 novembre 2024
Mantovani marque les esprits

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes

Livret de Dorian Astor, d’après Le voyage d’automne  – Octobre 1941, des écrivains français en Allemagne de François Dufay

Commande de l’Opéra National du Capitole

Création mondiale vendredi 22 novembre 2024 à Toulouse (Théâtre du Capitole)
Prochaines représentations : 26 et 28 novembre 2024, 20h

Détails

Mise en scène
Marie Lambert-Le Bihan
Décors
Emanuele Sinisi
Costumes
Ilaria Ariemme
Lumières et vidéo
Yaron Abulafia

Marcel Jouhandeau
Pierre-Yves Pruvot
Gerhard Heller
Stephan Genz
Ramon Fernandez
Emiliano Gonzalez Toro
Jacques Chardonne
Vincent Le Texier
Pierre Drieu La Rochelle
Yann Beuron
Robert Brasillach
Jean-Christophe Lanièce
Wolfgang Göbst
William Shelton
Hans Baumann
Enguerrand De Hys
La songeuse
Gabrielle Philiponet

Orchestre national du Capitole
Chœur de l’Opéra national du Capitole
Direction musicale
Pascal Rophé

Création mondiale
Toulouse, dimanche 24 novembre 2024, 15h

 

C’est sur un terrain glissant qu’a choisi de s’aventurer Bruno Mantovani pour son troisième opus opératique, Voyage d’automne, opéra en trois actes qui vient d’être créé au théâtre du Capitole de Toulouse. Christophe Ghristi, le directeur artistique, déjà auteur du livret du deuxième opéra de Mantovani, Akhmatova, avait passé commande de cette pièce qui traite d’un épisode peu glorieux de l’histoire de France, reprise par Pascal Dufay dans son Voyage d’automne, paru au début de ce siècle. Dorian Astor, dramaturge au Capitole, a été chargé de composer le livret à partir de cet ouvrage, sous-titré Octobre 1941, des écrivains français en Allemagne, ce qui dit assez bien ce dont il s’agit.
Au mois d’octobre 1941, sur l’invitation de Joseph Goebbels, des écrivains français de premier plan partent à la découverte de l’Allemagne d’Adolf Hitler. On les conduit à Weimar pour construire une Europe de la Culture ; ils voyageront, en train, seront reçus avec tous les honneurs et en échange devront faire la propagande à leur retour à Paris. Parmi eux, des fascistes convaincus comme Drieu La Rochelle, Brasillach ou Ramon Fernandez, mais aussi de grands stylistes « apolitiques » tels Jacques Chardonne et Marcel Jouhandeau. Ce voyage d’automne démonte les ressorts d’une manipulation. Il éclaire l’incroyable défaillance qui a pu conduire de subtils romanciers jusque dans le bureau de Hitler. Dorian Astor tire de l’ouvrage de Dufay un livret d’une grande densité, où les dialogues sont parfaitement ciselés, tout en nuance (l’homosexualité de Jouhandeau) et font mouche-  et où la progression dramatique culmine avec la grande scène de la Songeuse au III.
En dehors de ce qui s’apparente à une succession de huis clos (les trois actes sont divisés en douze tableaux) exclusivement masculins, trois scènes isolées sont inspirées d’un poème de Getrud Kolmar, poétesse juive allemande assassinée à Auschwitz en 1943, et dont « La Songeuse », unique personnage féminin de l’œuvre, est une sorte de mise en abîme de la comédie bourgeoise et décadente où s’affairent écrivains français et officiers allemands. Cette femme, respiration poétique, lyrique, est la seule à s’élever (dans sa grande scène du III, elle est du reste perchée sur des échasses !), elle est la seule à décrypter, à lire ce qui se passe et à nous le dire dans un langage métaphorique  qui contraste et matifie le restant de l’ouvrage. Mantovani lui confie un monologue qui reprend l’intégralité du poème de Kolmar « Die Sinnende » (« La Songeuse ») qui donne donc son nom au personnage et qui commence par ces vers :
« Quand je serai morte, mon nom planera / Un petit moment au-dessus du monde. /Quand je serai morte, je pourrais encore exister /Quelque part contre des clôtures derrière le champ. ».


© Mirco Magliocca

Il s’agit là, dramatiquement et musicalement d’un des sommets de la pièce. C’est Gabrielle Philiponet qui campe cette Songeuse et qui porte ce rôle avec une force indescriptible. Elle happe notre regard dès sa première apparition avant que la voix, parfaitement placée, jamais mise en difficulté, y compris par la langue allemande, ne s’empare de nous. Ses trois apparitions (la première est muette, la deuxième est limitée à la première strophe du poème, qu’elle reprendra intégralement dans la grande scène du III) nous montrent une femme tout de blanc vêtue, comme planant au-dessus de ce qu’on devine être le champ des ruines de notre humanité.
Pour cette scène qui transporte l’auditeur, Mantovani compose une musique d’une force incommensurable avec un simple accompagnement de cordes graves et de quelques vents, tout en chromatismes, eux-mêmes parcourus de glissandi électrisants.
Toute la pièce ne peut pas être de la même densité musicale, et cette première écoute nous dit combien il faudra la réentendre pour en discerner davantage les subtilités. Dans l’ensemble l’écriture vocale de ce Voyage d’automne est dans le prolongement de celle d’Akhmatova mais peut-être avec un plus grand naturel dans la prosodie. Le compositeur a accordé une grande importance à l’intelligibilité du texte et c’est le plus souvent l’orchestre qui porte le lyrisme. Mantovani dit avoir eu beaucoup de difficultés à trouver le début dont il a écrit vingt-deux versions différentes. « C’est l’idée de poème symphonique qui a débloqué les choses. L’orchestre est le personnage principal de cet opéra : il est le vecteur du sens de la couleur, il a sa propre autonomie. » De fait, les dialogues sont souvent limités à du parlé-chanté avec un lyrisme limité – si l’on excepte une bonne partie du troisième acte avec un quintette quasi a cappella et un monologue de Drieu poignant, porté par Yann Beuron, décidément à l’aise dans tous les répertoires.


© Mirco Magliocca

Pour le reste du plateau vocal, Pierre-Yves Pruvot est un Jouhandeau torturé à souhait et qui lutte en permanence avec sa conscience et ses sentiments. Le baryton renferme bien la noirceur du personnage. Stephan Genz, en officier nazi Heller est un peu en retrait dans la projection mais tient un personnage non moins ambivalent. Pas sûr qu’Emiliano Gonzalez Toro soit parfaitement à l’aise dans le rôle de Ramon Fernandez ; nous ne lui avons pas trouvé son rayonnement habituel. Vincent Le Texier est, on le sait, une valeur sûre et totalement investi dans le rôle de ce Chardonne sans scrupule. Jean-Christophe Lanièce (Brasillach) et Enguerrand De Hys (Hans Baumann) tout aussi remarquables. Enfin une mention particulière au contre-ténor William Shelton (annoncé souffrant) et qui donne du rôle du nazi Wolfgang Göbst une version aussi inattendue qu’effroyable et pour tout dire subjuguante.
La mise en scène est assurée par Marie Lambert-Le Bihan, qui a récemment proposé un Dialogue des Carmélites à Liège et en ces mêmes lieux une Clemenza. Elle a choisi de s’éloigner de la reconstitution historique, de s’affranchir du poids de certains symboles qui visuellement ne sont pas nécessaires sur le plateau. De fait, on ne voit pas de signe nazi ; pas besoin de croix gammée pour faire comprendre ce qui se joue. L’univers épuré conçu par Emanuele Sinisi, un plan incliné circulaire des plus classiques pour seul décor, des fauteuils pour figurer le voyage en train, un riche travail de lumières (signées Yaron Abulafia) –  et notamment cette scène hypnotique au III où l’exécution de prisonniers juifs est rendu par les seuls spots aveuglants. La direction d’acteurs au cordeau qui invite à un voyage intense et poétique à travers l’Histoire et les questions éternelles du Bien et du Mal qu’elle pose à chacun d’entre nous, en nos âmes et consciences.
Après L’autre côté en 2006 à l’Opéra du Rhin et Akhmatova à l’ONP en 2011 de Bruno Mantovani, c’est encore Pascal Rophé qui est dans la fosse d’orchestre pour cette première de Voyage d’automne. Parfaitement au fait du langage musical du compositeur, il dirige musiciens, choristes (appliqués mais à l’allemand perfectible) et chanteurs avec une précision d’orfèvre. Il rend notamment toute la tension, parfois à la limite du supportable, engendrée par la musique, en contre-points de situations ou de dialogues que seul le spectacle scénique peut montrer aujourd’hui.
Rare privilège enfin de voir saluer au baisser de rideau le compositeur et le librettiste d’un opéra qui aura marqué les esprits et qui entre par la grande porte dans le répertoire du XXIe siècle.

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Livret de Dorian Astor, d’après Le voyage d’automne  – Octobre 1941, des écrivains français en Allemagne de François Dufay

Commande de l’Opéra National du Capitole

Création mondiale vendredi 22 novembre 2024 à Toulouse (Théâtre du Capitole)
Prochaines représentations : 26 et 28 novembre 2024, 20h

Détails

Mise en scène
Marie Lambert-Le Bihan
Décors
Emanuele Sinisi
Costumes
Ilaria Ariemme
Lumières et vidéo
Yaron Abulafia

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Pierre-Yves Pruvot
Gerhard Heller
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Ramon Fernandez
Emiliano Gonzalez Toro
Jacques Chardonne
Vincent Le Texier
Pierre Drieu La Rochelle
Yann Beuron
Robert Brasillach
Jean-Christophe Lanièce
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