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MONTEVERDI, L’incoronazione di Poppea – Toulon

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Spectacle
13 avril 2024
Un choc, à la séduction et à la force renouvelées

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Claudio Monteverdi (et autres auteurs)

L’incoronazione di Poppea
Opéra en un prologue et trois actes, version de Venise (1650)
Livret de Francesco Busenello, d’après les Annales de Tacite (Livre XIV)

Création à Venise, Teatro Grimano (Santi Giovanni e Paolo) en 1642-43

Détails

Mise en scène
Ted Huffman

Décors
Anna Wörl

Costumes
Astrid Klein

Lumières
Bertrand Couderc

Dramaturgie
Antonio Cuenca Ruiz

 

Poppea
Jasmin Delfs

Nerone
Nicolò Balducci

Ottavia, Virtù
Victoire Bunel

Ottone
Paul Figuier

Seneca, Console
Ossian Huskinson

Arnalta, Nutrice, Famigliare 1
John Heutzenroeder

Fortuna, Drusilla
Laurène Paternò

Amore, Valetto
Juliette Mey

Lucano,  Soldato 1, Famigliare 2, Tribuno
Luca Bernard

Liberto,  Soldato 2 , Tribuno
Sahy Ratia

Littore, Famigliare 3, Console
Yannis François

 

 

Cappella Mediterranea

Direction musicale
Leonardo García Alarcón

 

Toulon, Opéra de Toulon, Théâtre Liberté,  10 avril 2024, 20h

Coproduction Festival d’Aix-en-Provence, opéra de Rennes, Palau des Arts Reine Sofia/Valencia, opéra de Toulon

 

Est-il partition qui ouvre un champ plus large à sa réalisation que l’Incoronazione di Poppea ? Le labyrinthe des sources (1) est propre à générer les versions les plus variées, puisque les voix choisies, les effectifs mobilisés, l’assemblage des pièces retenues nous valent des productions dont la durée peut aller du simple au double (2). Leonardo García Alarcón s’appuie sur la version la plus ancienne (1646 ?), redécouverte en 1888, à Venise (fonds Contarini).

Il est des productions, renommées, dont les nombreuses reprises sont marquées par l’essoufflement, gagnées par la routine. Avec le temps, celle-ci, à l’égal d’un grand cru, gagne en rondeur, en intensité et vigueur, en richesse de ses arômes. Cinquième ville à accueillir cette réalisation, dont la création avait été différée de deux ans, Toulon succède à Aix-en-Provence, Versailles, Valencia et Rennes (où Damien Guillon dirigeait). Travail d’atelier que l’écriture de cette Incoronazione di Poppea, avec le concours vraisemblable de Cavalli, Sacrati et autres, mais aussi travail d’atelier que la production de Ted Huffman, puisqu’elle associe à l’occasion nombre de jeunes chanteurs prometteurs. Evidemment, les distributions évoluent au fil des reprises, Versailles (et l’enregistrement réalisé) ayant conservé la plupart des interprètes du Festival d’Aix-en-Provence. Ce soir demeurent Nerone (Nicolò Balducci) qui était déjà à Valencia, l’Ottavia de Rennes, Victoire Bunel,  Paul Figuier, qui y incarnait les nourrices, sera Ottone, enfin, Yannis François retrouve les rôles qui lui étaient confiés à Aix, Versailles et Rennes.

La rénovation de l’opéra de Toulon a conduit au transfert du spectacle au Théâtre Liberté.  Les dimensions et l’acoustique de la salle se prêtent idéalement à ce type d’ouvrage, qui dut être conçu pour des volumes comparables. Tout a été dit et écrit sur la production de Ted Huffman, devenue classique, son aspect minimaliste, son efficacité, la liberté qu’elle autorise, favorise de la part de chacun (3). C’est sur la direction d’acteur que repose avant tout l’action dramatique, puisque le décor unique se résume à un long tube – mi blanc, mi-noir, à l’horizontale, suspendu en son milieu – qui questionne. Sa rotation ponctuelle, après son élévation, pourrait renvoyer à la roue de fortune, si prisée aux temps anciens, où à l’aiguille d’une boussole. Même si les costumes sont de notre temps, avec ce qu’il faut de fantaisie (4), on oublie vite la transposition pour suivre des êtres de chair et de sang. L’exceptionnelle qualité du livret, la vérité des caractères, complexes, leur constante évolution sont remarquablement traduits par une présence autant physique que vocale.

@ Frédéric Stéphan

La distribution, jeune, se signale déjà par son homogénéité, son harmonie et l’absence de réelles faiblesses. Certes, on a connu des Poppée plus ravageuses, des Sénèque plus vieux et graves, pontifiants, des Arnalta et Nutrice plus drôles, voire grotesques, mais on oublie vite ces références tant le naturel avec lequel chaque chanteur prend part à l’action est juste, avec une émotion constante. Jasmin Delfs, chante sa première Poppea, et l’épreuve est réussie : son chant comme son jeu sont convaincants.  Les moyens vocaux sont réels. L’émission nous change de ces sopranos mûres, rouées, pour une jeunesse, une fraîcheur qui participent à la séduction du personnage. Pour autant l’ambition calculatrice et la sensualité sont également au rendez-vous. Si la voix sait se faire légère et se joue des traits, la profondeur, les couleurs sont bien présentes. Cette prise de rôle devrait marquer le début d’une belle carrière. Nerone avait été créé par un castrat soprano, c’est un remarquable contre-ténor, Nicolò Balducci, qui lui donne vie ce soir. Le bouillant monarque, jeune, ivre de son pouvoir, tyran mais aussi humain, fou de désir, impulsif, est complexe. La composition est magistrale, servie par une voix égale, capable d’étourdissantes vocalises comme d’accents justes. Comment lui refuser toute humanité, malgré sa cruauté, lorsqu’il pardonne à Drusilla, qui se sacrifiait pour sauver Ottone ? Sa voix s’accorde idéalement à celle de Poppea. Leur duo final « Pur ti miro, pur ti godo », même s’il n’est pas de Monteverdi, ni les paroles de Busanello, est aussi célèbre que révélateur : moment attendu, il atteint une forme de perfection dans son caractère intime (soutenu en son début par les seuls théorbe et archiluth). Quelle que soit l’horreur qu’inspirent nos deux amants, l’expression de leur amour nous touche.

Victoire Bunel, après avoir chanté la Vertu, nous vaut une admirable Ottavia, noble et svelte, hautaine, et poignante. La voix est ductile, sonore, sait se faire tendre comme céder à la furie. « Disprezzata Regina » comme  « A Dio Roma » nous émeuvent profondément. Ottone, créé par un castrat alto, est le contre-ténor Paul Figuier, pour une prise de rôle réussie. La complexité du personnage, ses évolutions, ses ambiguïtés – déchiré, calculateur et faible – sont rendus avec justesse. Les moyens sont réels, avec les graves attendus, l’engagement total. Sensible sans être larmoyant (« Ah perfida Poppea »), puis son monologue du II, son plan déjoué par l’Amour est bien conduit. Ossian Huskinson s’empare du rôle de Seneca, le philosophe, tuteur et conseiller de l’empereur, gardien de la loi et de l’ordre. La seule réserve est relative à sa jeunesse, manifeste. Jamais ombrageux ou prétentieux, il a de l’allure, la profondeur humaine attendue. La noblesse de l’émission, la conduite de la ligne de « Venga, venga la morte » est remarquable. Joel Williams, ténor, souffrant, a été remplacé pour les deux nourrices, au pied levé, par John Heutzenroeder, dont il faut saluer la performance. Il ne force pas le jeu, la composition est juste, drôle, clairement différenciée selon ses deux rôles. La voix est sûre, l’émission claire et intelligible. Arnalta, la vieille nourrice de Poppée, philosophe à sa manière, nous gratifie d’une belle berceuse (au II « Oblivion soave »). Nutrice n’est pas en reste, maternelle, lucide, sarcastique. Après une Fortuna d’échauffement, on retiendra l’authentique grandeur de la Drusilla de Laurène Paternò, innocente, fraîche, touchante. La légèreté spirituelle de Juliette Mey sied bien à l’Amour, qui tire les ficelles, et à Valletto, le page de Poppea. L’émission est chaude, la ligne bien conduite comme le jeu n’appellent que des éloges. Lucano, puissant, dont on retiendra le duo avec son ami l’empereur est confié à Luca Bernard. Dans leur ample duo, leurs voix s’accordent idéalement. Aucun des autres chanteurs ne dépare cette belle équipe, le ténor Sahy Ratia, comme le baryton (et danseur) Yannis François, tous deux déjà remarqués dans d’autres spectacles.

Leonardo García Alarcón s’est approprié l’ouvrage depuis sa collaboration avec Gabriel Garrido, son compatriote. Il a très longuement mûri son projet, propre à conquérir tous les publics, même éloignés des salles d’opéra ou de concert. La partition a été réécrite, qui nous est parvenue étique, autorise bien des lectures, de Philippe Boesmans (avec 75 musiciens, en 1989) à nombre d’ensembles baroques limités à une dizaine de cordes et au continuo, au motif que les théâtres vénitiens ne pouvaient accueillir davantage de musiciens. A son habitude, il a modelé sa Cappella Mediterranea pour la circonstance en un ensemble aux équilibres surprenants, et efficaces : 5 cordes (2 violons, une viole de gambe, un violoncelle et une contrebasse), 2 cornets jouant des flûtes à bec, une harpe, archiluth (jouant très rarement quelques percussions) et théorbe, clavecin et orgue. On y retrouve nombre de figures connues (Quito Gato, Rodrigo Calveyra, Eric Mathot, entre autres) au cœur de son ensemble. Mais ici, rien de systématique, sinon la permanence de l’engagement de chacun, et déjà de Leonardo García Alarcón, qui dirige du positif dont il use avec toujours autant d’à-propos. Ainsi, la doublure des cordes par les flûtes à becs et cornets dans les pages instrumentales, devenue la règle dans nombre de productions de référence, fait-elle place à des combinaisons renouvelées en fonction du texte et du caractère de chaque passage. Si la souplesse, la fluidité sont déjà dans une écriture qui mêle avec pertinence recitativo, arioso et stile concitato, la vie qu’insuffle la direction nous vaut une étoffe instrumentale riche, du souffle à la luxuriance, capiteuse, sensuelle, comme à la violence. La lecture est aussi brûlante que le propos. Même familier de l’ouvrage, l’auditeur est surpris par cette approche renouvelée dont les rythmes, les surlignements et les allègements révèlent l’étonnante richesse du texte. Tous les climats sont illustrés avec la même virtuosité orchestrale : de l’intermezzo comique du II (Valletti et la Damigella) aux pages les plus poignantes. C’est un merveilleux travail d’orfèvre que celui du chef et de son ensemble, d’une précision chambriste. Capable de fondre de monumentales pièces, à l’égal de Benvenuto Cellini (5), il cisèle, façonne, courbe, et fond, dans une dynamique constante à laquelle les silences, les suspensions prennent part.

La réalisation captive au point que l’on perd la notion du temps qui s’écoule. En regard, les versions les plus brèves, tronquées, paraissent fastidieuses. Le public, fasciné, ne retient pas ses acclamations au terme d’une soirée qui restera gravée dans les esprits.

(1) Deux manuscrits tardifs (Venise et Naples), chacun sur deux portées, incomplets et lacunaires, le livret imprimé de la création, c’est tout. 
(2) Sergio Vartolo mettait deux fois plus de temps qu’Emmanuelle Haïm, par exemple. 
(3) Liens : La promesse des fleurs, de Christophe Rizoud, qui rendait compte de la création aixoise, A fleur de peau (DVD) par Charles Sigel, La cage aux fauves , de Tania Bracq, pour Rennes 
(4) Les couleurs vives, à l’égal de l’instrumentation, comme les coupes cocasses, particulièrement pour les personnages comiques ou semi-comiques, sont un régal pour l’œil. 
(5) C’est l’occasion de rappeler que sa célébrité première, à Florence, était musicale : il fut embauché à la cour pontificale, comme cornettiste, où il surpassait en virtuosité les violonistes. Son père était lui-même musicien et facteur d’instruments.

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L’incoronazione di Poppea
Opéra en un prologue et trois actes, version de Venise (1650)
Livret de Francesco Busenello, d’après les Annales de Tacite (Livre XIV)

Création à Venise, Teatro Grimano (Santi Giovanni e Paolo) en 1642-43

Détails

Mise en scène
Ted Huffman

Décors
Anna Wörl

Costumes
Astrid Klein

Lumières
Bertrand Couderc

Dramaturgie
Antonio Cuenca Ruiz

 

Poppea
Jasmin Delfs

Nerone
Nicolò Balducci

Ottavia, Virtù
Victoire Bunel

Ottone
Paul Figuier

Seneca, Console
Ossian Huskinson

Arnalta, Nutrice, Famigliare 1
John Heutzenroeder

Fortuna, Drusilla
Laurène Paternò

Amore, Valetto
Juliette Mey

Lucano,  Soldato 1, Famigliare 2, Tribuno
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Liberto,  Soldato 2 , Tribuno
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Toulon, Opéra de Toulon, Théâtre Liberté,  10 avril 2024, 20h

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