Si l’on évalue une représentation à la religiosité du silence qui règne dans la salle, nul doute que les spectateurs de cette première de Dialogues des Carmélites ont assisté à une soirée d’exception. Peut-être pas exempte de menus défauts ça et là, mais qui ne pèsent rien au regard de l’excellence et de l’engagement déployés par tous les acteurs d’une telle réussite.
La production d’Olivier Py a déjà été largement commentée lors de la création à Paris et il y a quelques mois à Bruxelles. L’on sait la force de son esthétique, toujours dans le clair-obscur, le noir criant sur le blanc immaculé, la lumière face à la peur. Ce sont moins les images bibliques, finalement faciles parce qu’évidentes, ou ces grands mots crayonnés sur les murs qui en font la puissance évocatrice. A l’inverse de son Aida grandiloquente ou du geste épuré d’Alceste qu’il mettait en scène la même année, Olivier Py cherche l’âme dans ce qui se joue et se dit entre les personnages. Pas une fausse note dans la caractérisation qu’il propose et la liberté donnée à chaque interprète de se mouvoir dans les costumes qu’il a taillés. Les plus grandes réussites se trouvent dans les bisbilles et les regards de biais entre Marie et Lidoine, le paternalisme craintif et maladroit du Chevalier, la sororité ambivalente entre Constance et Blanche. Des traits de caractère pas forcément appuyés et qui tout en mettant en lumière les personnages, leur dessinent aussi leur part d’ombre : Lidoine qui n’a pas choisi sa place, Marie qui rate sa mort en restant dans le public, Blanche qui n’aura jamais que la force de l’abandon.
Patricia Petibon donne de Blanche une incarnation dévote. Cela ne lui épargne pas quelques scories, notamment en début de représentation, prix à payer d’un engagement incandescent. Sabine Devieilhe en paraîtrait presque sage si ce n’était une présence scénique riante qu’accompagne une voix légère, pure et nuancée. Anne Sophie von Otter joint, pour ainsi dire, la parole aux actes. Si l’on peut chanter jusqu’à sa mort, il faut entendre sa Prieure agoniser pour comprendre la leçon : un texte ciselé, une diction à faire pâlir la Comédie Française, et des couleurs et des accents au diapason du texte. Des leçons, Sophie Koch (Marie) et Véronique Gens (Lidoine) s’en donnent à distance. La première par une morgue, une projection et une diction qui font de sa soeur la femme forte du Carmel ; la seconde par une noblesse naturelle qui cache mal sa bienveillance. Les hommes sont emmenés par le Chevalier de Stanislas de Barbeyrac dont le timbre sombre colle au caractère ombrageux du personnage. Lui aussi brille par sa puissance, une souffle long, un legato, des nuances… en somme un style qui rejoint sa prestance scénique. Le marquis son père, Nicolas Cavallier, n’est pas en reste, de même que les choeurs et toutes les carmélites qui nous offrent un puissant « Salve Regina ».
Jérémie Rhorer a mis à profit les années passées depuis qu’il tenait la baguette lors de la création. S’il reste des traces de la fougue et de l’emportement de sa première lecture (est-ce pour cela qu’il interrompt l’ouverture, sort quelques minutes pour enfin lancer l’opéra ?), force est de constater qu’il s’est aussi assagi et qu’il sait maintenant prendre le temps. Le temps de ménager des silences, de choisir un tempo plus lent pour travailler sur les couleurs avec un Orchestre National de France aux nombreuses qualités (seuls les cuivres accusent une petite faiblesse avant le « Salve Regina »). Surtout il sait trouver les lignes de tension et porter l’orchestre dans des crescendos qui ne semblent ne jamais vouloir cesser de gagner en intensité. La mort de la Prieure, le duo du parloir entre la soeur et le frère et le « Salve Regina » sont les trois climax d’une soirée qui pourtant jamais ne perd en force.
Opéra en trois actes et douze tableaux.
Texte de la pièce de Georges Bernanos avec l'autorisation de Emmet Lavery d'après une nouvelle de Gertrude Von Le Fort et un scénario du R.P. Brückberger et de Philippe Agostini
Créé en italien à la Scala de Milan le 26 janvier 1957, et en français à l’opéra de Paris le 21 juin 1957.
Mise en scène
Olivier Py
Décors et costumes
Pierre André Weitz
Lumières
Bertrand Killy
Marquis de la Force
Nicolas Cavallier
Blanche de la Force
Patricia Petibon
Chevalier de la Force
Stanislas de Barbeyrac
Thierry / Le médecin / Le geôlier
Matthieu Lécroart
Madame de Croissy
Anne Sofie von Otter
Madame Lidoine
Véronique Gens
Mère Marie
Sophie Koch
Sœur Constance
Sabine Devieilhe
Mère Jeanne de l’Enfant-Jésus
Sarah Jouffroy
Sœur Mathilde
Lucie Roche
Premier Commissaire
Enguerrand de Hys
Second Commissaire
Arnaud Richard
Chœur du Théâtre des Champs Elysées
Ensemble Aedes
Chef du chœur
Mathieu Romano
Orchestre National de France
Direction musicale
Jeremy Rhorer
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 7 février, 19h30
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