Déjà proposée au Théâtre des Champs-Élysées il y a quelques jours, cette version de concert du Freischütz est à présent donnée au Festspielhaus de Baden-Baden. Comme à Paris, l’opéra se voit dépouillé de ses dialogues parlés d’origine au profit d’une prose écrite par Steffen Kopetzky en 1971, correspondant au seul rôle de Samiel. Quand bien même ce texte est récité avec éclat et une belle énergie par la comédienne Johanna Wokalek, cette dernière doit être équipée d’un micro pour emplir l’immense salle badoise et surtout, lui permettre de se mesurer aux solistes. Mais le procédé est artificiel et nuit fortement à la cohérence voire au rythme de l’opéra, sans même s’appesantir sur la nature de ce monologue, pour le moins ronflant et ampoulé. On s’interroge sur les motivations de ce choix : les dialogues parlés n’auraient nui en rien au plaisir pris par les auditeurs, tout en permettant de garantir une progression normale de l’intrigue. En l’état, il ressort une sensation de télescopage, voire de mutilation, d’où surnage une succession d’airs plus beaux les uns que les autres, enfilés comme des perles trop espacées sur leur chapelet. Ce tripatouillage est bien éloigné tant du singspiel que de l’opéra romantique dont Carl Maria von Weber est un éminent représentant. Et pourtant, on sort fasciné de ce spectacle, car cet opéra est un chef-d’œuvre qu’on aimerait entendre plus souvent et il se trouve qu’il a été remarquablement interprété ce soir.

Si les rôles de Milan Siljanov et Levente Páll ne sont pas très étoffés, les deux artistes sont tout à fait en phase avec leurs partenaires, tous impeccables. En méchant obligé de conclure un pacte avec le diable pour arriver à ses fins, Kyle Ketelsen excelle et instille dans son rôle de belles subtilités qui magnifient le rôle. Au-delà de ses qualités de diction, le baryton-basse américain possède une vraie présence et rendrait plus que sympathique le plus insignifiant suppôt du diable… Rivalisant d’excellence avec lui, la basse coréenne Jongmin Park, quoique cumulant les rôles de Kuno et de l’Ermite, n’a droit qu’à de courtes interventions, mais très remarquées. Le timbre est d’une beauté ineffable et les graves d’une profondeur à la sensualité délicate. En comparaison, le Max de Charles Castronovo ferait presque pale figure. La diction du ténor américain, régulièrement invité au Festspielhaus, est tout à fait convaincante ; l’incarnation du rôle également (en particulier au début de l’opéra, où le jeune homme n’arrive plus à toucher la moindre cible et se fait moquer par son entourage). Mais lorsque le héros reprend pied, on aurait souhaité davantage de puissance et de rayonnement.
La distribution féminine est, quant à elle, un enchantement. La soprano allemande Nikola Hillebrand campe une Ännchen absolument délicieuse, minaudant avec art et beaucoup d’humour, trouvant instinctivement les accents adaptés aux développements de son rôle. La facilité apparente de ses aigus brillants et délicats laisse augurer le meilleur pour la suite de sa carrière. Elle accompagne merveilleusement la superbe Golda Schultz. La soprano sud-africaine parvient à faire de son Agathe un personnage d’une richesse peu commune. La moindre note est accentuée par des nuances sensuelles, frémissantes ou autoritaires dans les registres les plus variés : de l’amour pur et sincère à la terreur pour finir en soulagement extatique, tant le visage de la cantatrice que ses ornementations nous émeuvent au plus haut point. Les solistes sont soutenus par le RIAS Kammerchor dont on ne peut dire que le plus grand bien, tant dans les liesses villageoises que les scènes d’épouvante de la Gorge-aux-Loups. Et l’on s’incline devant le fringuant Antonello Manacorda à la tête de la Kammerakademie Potsdam, très en forme, dans tous les pupitres. Un vrai régal !