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RAMEAU, Les Boréades

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CD
15 septembre 2024
Sabine Devieilhe toujours au firmament

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Les Boréades, tragédie en musique en cinq actes
Musique de Jean-Philippe Rameau
Livret attribué à Louis de Cahusac

Détails

Alphise
Sabine Devieilhe
Abaris
Reinoud Van Mechelen
Calisis
Benedikt Kristjánsson
Borilée
Philippe Estèphe
Borée
Thomas Dolié
Adamas, Apollon
Tassis Christoyannis

Sémire, Une Nymphe, L’Amour, Polymnie
Gwendoline Blondeel

Purcell Choir
Orfeo Orchestra

Direction musicale
György Vashegyi

2 CD / 61’59 et 85’06
ERATO2734

Date de parution : septembre 2024

Rien avant 50 ans. Ou presque.
Si Rameau, né en 1683, était mort avant 1733, que retiendrions de lui ? Ses théories de l’harmonie à coup sûr, quelques motets et cantates sans doute, et ses pièces de clavecin. Mais cela aurait-il suffi à lui assurer la postérité ? Et l’enthousiasme que son nom suscite aujourd’hui encore ? Sans doute pas. C’est que ses plus grandes œuvres sont lyriques et qu’il ne s’approchera de l’opéra, coup d’essai, coup de maître, qu’en 1733 avec ce qui reste pour beaucoup le chef-d’œuvre entre tous du Dijonnais : Hyppolite et Aricie. Après ce succès, l’Académie Royale de musique va lui commander d’autres tragédies lyriques ou opéras-ballets : Les Indes Galantes (1735), Castor et Pollux (1737), et Dardanus (1739) vont s’enchaîner à un rythme échevelé.
Ensuite musicien de la Cour, il laisse de côté l’opéra et n’y reviendra que dans les dernières années de sa vie : Les Paladins date de 1757 et, enfin, Les Boréades, mises en répétition au printemps 1763, mais abandonné avant la première. Rameau tombe malade (on a parlé de fièvre putride) et meurt le 12 septembre 1763. L’œuvre n’est ni représentée ni éditée de son vivant. La première représentation intégrale (version de concert) a lieu à Londres en 1975, sous la direction de John Eliot Gardiner qui dirigera également la première représentation théâtrale lors du Festival d’Aix- en-Provence, le 21 juillet 1982, dans une mise en scène de Jean-Louis Martinoty. Gardiner captera l’œuvre en 1982 avec Jennifer Smith (Aphise), John Aller (Calisis), Philipp Langridge (Abaris), Jean-Philippe Lafont (Borée) et François Leroux (Adamas). A noter aussi l’enregistrement de 2003 par William Christie (Bonney, Agnew, Panzarella, Naouri, Degout).
L’enregistrement auquel nous nous intéressons a été réalisé du 18 au 21 septembre 2023 à Budapest. Il s’inscrit dans un vaste chantier thématique que le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV) a entamé dix ans plus tôt, en 2013, à l’occasion de la préparation de l’année anniversaire des 250 ans de la mort de Jean-Philippe Rameau (1764-2014). En partenariat avec la Société Jean-Philippe Rameau, qui se dédie à l’édition complète des œuvres du compositeur sous la direction scientifique de Sylvie Bouissou (Rameau Opera Omnia), le CMBV s’était alors donné un double objectif : d’une part, celui de recréer et d’enregistrer tous les derniers opéras inédits de cet auteur, ainsi que plusieurs versions alternatives imaginées par Rameau à l’occasion de reprises et qui n’avaient pas encore été rejouées aux XXe et XXIe siècles ; d’autre part, de réinterroger les pratiques d’interprétation, en proposant de nouvelles lectures – historiquement informées et profitant des derniers fruits de la recherche musicologique – de certains des titres les plus célèbres.
C’est ainsi qu’ont déjà vu le jour les productions discographiques des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, du Temple de la Gloire, des Fêtes de Polymnie, de Zaïs, de La Lyre enchantée, puis successivement de Naïs , des Indes galantes, de Dardanus, des Fêtes d’Hébé, d’Achante et Céphise, du Retour d’Astrée et de Zoroastre.
L’œuvre a été enregistrée sur la toute nouvelle édition réalisée par Sylvie Bouissou dans le cadre de Rameau Opera Omnia. Plusieurs aspects musicologiques ont été pris en compte dans le traitement orchestral : l’absence de clavecin dans les danses et la présence d’une contrebasse dans le continuo (comme le stipulent les sources), ainsi que l’usage de hautbois et non de clarinettes (la note de Rameau les mentionnant dans l’ouverture faisant penser à un projet d’insertion non abouti). Par ailleurs, la distribution tente de rendre compte de la voix des chanteurs pour qui l’œuvre avait sans doute été pensée à l’origine, et en premier lieu Marie Fel dans le rôle d’Alphise (une soprano légère et brillante, au timbre cristallin et profondément touchant à en croire les chroniqueurs du temps) ainsi que Pierre Jéliote dans celui d’Abaris (une haute-contre ductile capable d’expressivité aussi bien que de vaillance). L’ornementation vocale (et notamment son usage non pas stylistique mais destiné à caractériser les emplois), les respirations et phrasés, les tempi et les enchaînements de sections sont également issus d’une étude méticuleuse des matériels vocaux et instrumentaux de l’époque encore conservés aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France.
L’Orfeo orchestra et le Purcell Choir (le chœur « Ciel, quels accords harmonieux ! » est de toute beauté et la prononciation du français impeccable pour toutes les interventions chorales) dirigés par György Vashegyi bénéficie d’une prise de son particulièrement limpide qui met en valeur les pupitres et notamment de somptueux cuivres. Il faudra écouter l’extraordinaire rendu de l’orage conclusif du III (de loin le plus dramatique des cinq actes) qui enchaîne directement avec la suite des vents au IV. Le quatrième acte avec les nombreuses danses ainsi que les intermèdes musicaux met bien en valeur la phalange hongroise.
Sabine Devieilhe domine la distribution et émerveille à nouveau par toutes les qualités qui semblent ne faire que s’épanouir au fil de ses apparitions sur scène et de ses enregistrements. On ne sait s’il faut d’abord louer, dans les airs ou les récits accompagnés, la souplesse, l’étendue de la gamme, les aigus filés, la légèreté (« Un horizon serein ») ou l’expressivité (« … il amène l’orage et soulève les mers » dans l’air « Un horizon serein »  où l’auditeur est comme témoin de la tempête.) C’est peut-être dans le magnifique air introductif du III (« Songe affreux ») que toutes ces qualités sont concentrées.
Reinoud Van Mechelen (Abaris) intervient au deuxième acte qu’il fait débuter par l’air « Charmes trop dangereux » avec toutes les nuances attendues et notamment un vibrato parfait qu’il sait retarder ad libitum. Qualité et finesse des ornements ; on les retrouve dans l’air du IV « Lieux désolés » où le désespoir s’inscrit dans la ligne de chant ou encore dans le mélancolique « Je vole, Amour, où tu m’appelles » qui conclut le quatrième acte.
Gwendoline Blondeel est une bien belle découverte. La soprano belge, très appréciée à Beaune cet été, s’empare de quatre petits rôles féminins : Sémire, la Nymphe, l’Amour et Polymnie. La complémentarité de sa voix avec Alphise est évidente et particulièrement bienvenue. On apprécie la technique irréprochable et la légèreté qui met en valeur une vraie personnalité (« Comme un zéphir »).
L’Islandais Benedikt Kristiánsson (Calisis) a le ténor clair et expressif (« Ecoutez l’amour qui vous presse ») même si la prononciation (« Eh ! pourquoi se défendre ») peut laisser à désirer. La maîtrise technique d’un air aussi redoutable que « Jouissons de nos beaux ans » est particulièrement flagrante.
Il faut citer aussi Tassis Chirtoyannis (Adamas/Apollon) au baryton clair et énergique, Philippe Estèphe en Borilée. Lui aussi baryton, sa prestation est toute d’autorité, de dynamisme et de clarté avec toute l’agilité nécessaire.
Voici à coup sûr un enregistrement qui s’inscrit déjà dans la discographie indispensable de l’ultime chef-d’œuvre ramiste.

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